A toi la fille de la manif.
Par zphyr, le
A toi, la fille qui marchait dans mon dos à la manif du 16 décembre pour défendre le mariage pour tous et combattre l’homophobie.
Le cortège à peine sorti de la place de la Bastille stagnait à cause du goulet d’étranglement quelques mètres en amont, et nous étions serrés les uns contre les autres, sans avoir l’impression d’être déjà dans l’acte militant, et pourtant tout aussi engagés. Un temps d’incertitude avant la marche décidée.
Or je hissais au-dessus de ma tête, la pancarte que j’avais confectionnée soigneusement : une photo de nous quatre, mes deux enfants au milieu, mon compagnon et moi autour, assis dans le canapé de la maison. L’ambiance très sereine me plaisait particulièrement : c’était exactement ce que je voulais montrer. Au-dessous de l’image, ces simples mots : « Nous existons déjà ! » Je l’avais réalisée recto-verso, pour qu’elle ait un maximum d’impact.
Alors, tu t’es penchée vers moi pour me glisser à l’oreille : « C’est cool ! ». Je me suis retourné, tu souriais. Je t’ai regardé, tu n’étais ni très belle, ni originale, tu semblais seule, puis à mieux regarder, tu devais accompagner ton pote gay qui se tenait à côté de toi. Tu étais si tranquille. Je t’ai souri à mon tour, mais tes mots trop courts m’ont poussé à te préciser : « C’est notre vie qui est cool ! Ce sont mes enfants ! »
Tu n’as pas répondu de suite, et j’ai réalisé que tu avais tout compris, que cette image, tu la regardais depuis de nombreuses minutes. Je me suis senti un peu bête, mais nous nous souriions toujours, puisque notre échange confirmait notre présence ici. Mon compagnon à mes côtés se contenta d’acquiescer. Tu as finalement ponctué : « Oui, c’est cool ! » Et le cortège s’est soudain mis en route, et les slogans ont été scandés.
Nous nous sommes séparés au gré des flux humains, mais je gardais en tête ton sourire et tes mots, sans parvenir à leur donner tout leur sens, sans même comprendre pourquoi ils restaient là, au seuil de ma mémoire sans y être absorbés. En marchant j’interrogeais ce phénomène sans savoir le comprendre. « C’est cool ! »
Et puis bien plus tard vers Saint-Michel, je t’ai aperçue de nouveau, tu étais devant moi cette fois-ci. Nous avons échangé un sourire, mais toi comme moi, arborions un visage bien plus radieux que la première fois.De la complicité. Des gens nous ont caché, t’ont fait disparaître définitivement. Et là j’ai compris : Il y avait dans tes mots, dans ta douceur souriante tellement de bienveillance, d’humanité et même comme une pointe d’admiration devant le fait de nous exposer heureuse famille, que j’en fus désarçonné. Depuis tant de jour que les propos homophobes avaient fait monter ma colère rentrée, celle que je voulais exprimer en venant à Paris crier mon dû d’égalité, j’avais oublié qu’un être humain pouvait aussi donner le meilleur. Et toi, simplement, tu m’as montré combien pour toi j’étais légitime dans ce monde, et encore plus : nécessaire, parce que je t’avais donné une image de bonheur vécu, et que peu importait son contexte, ses acteurs, la singularité de cet amour, pour toi c’était de l’amour partagé et ça te faisait du bien.
Alors, tu as dissous d’un coup ma rage, ma rancœur, tu m’as rendu à ma qualité d’homme, dans ce qu’elle peut avoir de noble, de bienfaisant. J’ai donc défilé apaisé et heureux, fier de promener mon expérience de vie au milieu de tous ces gens venus dire que l’important c’est d’aimer. Il me reste dans mes souvenirs, ce sourire et ces mots qui ont su me remettre sur le bon chemin, la simplicité de ta générosité. J’ai depuis mesuré la beauté de ce cadeau offert sans rien attendre en retour, j’en ressens un regret, celui de n’avoir su te remercier.
A toi la fille qui m’a rendu heureux dans la manifestation du 16 décembre pour défendre le mariage pour tous et combattre l’homophobie, aujourd’hui je dis merci.
« C’était cool ! »