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La marche des fiertés 2009 montrée au journal télévisé

Par tkf, le

Les journaux et reportages consacrés sur la marche des fiertés peuvent être visionnés grâce à ce lien.

TF1 – journal de 20 heures

Claire Chazal : « La gay pride, ou marche des fiertés homosexuelles, a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes à paris. Après 40 ans de lutte pour l’égalité des droits, les défenseurs de l’homosexualité ont défilé au son de la musique techno. Il y avait dans le cortège de nombreuses personnalités, dont Liza Minelli qui est en concert ce soir. Joslin Huchet et Yuan Lin ont suivi la manifestation. »

premier reportage.

Voix off : S’ils battent le pavé, c’est qu’il y a encore du chemin à faire. Aujourd’hui, ce n’est plus la gaypride, mais la marche des fiertés lesbiennes gay bi et trans. Une cinquantaine d’associations réunies qui réclament l’égalité. En tête de cortège, responsables politiques et associatifs reviennent sur quarante années de lutte.

Philippe Castel (porte parole de la marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans) : « Comme les hétéros, nous aimons faire la fête, mais nous n’aurons pas besoin d’organiser des marches revendicatives le jour où enfin nous serons considérés comme des personnes à part entière, des citoyens avec tous les droits des citoyens. »

Bertrand Delanoé : « Qu’il n’y ait pas de discriminations, ni dans les têtes, ni dans les droits, entre hétérosexuels, homosexuels, lesbiennes, trans. Nous sommes une société qui mérite ce degré de civilisation ».

Voix off : La marche des fiertés à une résonnance particulière cette année, alors que le législateur réfléchi à un nouveau statut pour les beaux-parents. En France, il existerait environ 100.000 familles homoparentales.

Anonyme 1 : « Moi, j’ai une fille, qui a 6 ans-et-demi. Je suis le copain du père. J’ai aucun droit, je ne suis pas reconnu par la loi, quoi. »

Anonyme 2 : « On attend que les politiques se bougent, et pouvoir enfin être comme tout le monde, tout simplement. »

Voix off : Selon les associations, il y a aussi des progrès à faire du côté des entreprises, où l’homosexualité est encore trop rarement prise en compte.

Anonyme 3 : « Lorsqu’il y a des signatures de PaCs, la RATP est un petit peu à la traine par rapport à d’autres entreprises, on n’a absolument aucun jour de congés. »

Voix off : L’ambiance n’est absolument plus à la fête, quand on parle d’homophobie. En milieu de cortège, symboliquement ils sont à terre pour dénoncer les agressions homophobes : depuis le début de l’année, 5 meurtres d’homosexuels font l’objet d’enquête judiciaire.

fin du premier reportage

Claire Chazal : « Et on l’a bien compris, l’une des revendications des homosexuels est de pouvoir adopter un enfant en couple. [Bafouillement]. Ou en tout cas pour avoir un enfant en couple, de l’élever à deux. En France, ce n’est toujours pas autorisé pour deux hommes ou deux femmes. Et pourtant la question de l’homoparentalité se pose avec de plus en plus d’acuité, et notamment avec le développement de nouvelles techniques médicales comme les mères porteuses. Elise Le Guevel et Karim Belhadj posent quelques éléments du débat. »

deuxième reportage

Voix off : Etre homosexuel, et avoir des enfants : deux réalités à priori inconciliables. Pourtant Jérôme n’imaginait pas sa vie sans famille. Il s’est alors lancé dans la recherche d’un partenariat, une femme elle aussi en désir d’enfant.

Jérôme Aubert : « En fait, j’ai rencontré la maman par le biais d’un ami commun. Tous les deux la quarantaine, y’a urgence aussi au bout d’un moment pour passer à l’acte. »

Voix off : Six ans plus tard, Lou partage son quotidien entre son père et sa mère, comme une fille de parents divorcés.

Jérome Aubert : « Dans notre état d’esprit, il fallait que cela soit simple entre nous, pour que cela soit simple pour notre enfant. Et nous, on s’arrange dans le quotidien sur des navettes, sur des transports, sur l’école, sur euh … enfin, comme n’importe quels couples, c’est pareil. »

Voix off : Faire un enfant ensemble, sans être un couple, et en partager la garde, c’est ce qu’on appelle la coparentalité. Et c’est le cas de figure le plus courant. Sur internet, une multitude d’annonces mettent en relation des lesbiennes à la recherche de géniteurs, ou l’inverse. Récemment, Gisèle a déposé une annonce sur un site comme celui-là. Déjà mère d’une petite fille, elle voudrait aujourd’hui un enfant avec sa compagne Anne-Lise, mais la quête d’un père n’est pas chose aisée.

Gisèle Be : « Bah faut déjà trouver. Faut déjà s’entendre avec les personnes. On n’a pas forcément la même conception sur l’éducation, sur tout çà… Et euh… C’est difficile aussi d’accepter de partager un enfant. Nous, notre problème, c’est de trouver un couple d’hommes qui accepterait de partager mais … pas trop. »

Voix off : Et si Gisèle hésite, c’est qu’elle envisage une autre solution, rendue possible par la médecine : l’insémination artificielle. C’est illégal en France pour les couples de femmes, mais possible dans certains pays, tout comme le retour aux mères porteuses. Autrement dit, devenir parents sans partage. Une association parle même d’explosion des demandes.

Philippe Rollandin (association APGL) : « Nous avons recensé quelque chose comme 200 à 250 projets de mère porteuse à des stades très différents, de la simple envie, au stade de la réalisation, et évidemment il y a tous les jours, tous les jours ou presque, il y a une naissance annoncée au sein même de la PGL. »

Voix off : Que fait-on du droit aux origines ? Faut-il placer une limite au désir d’enfant ? Ce couple refuse pour l’instant les mères porteuses. Dans leur vie, il y a ce jeune garçon, dont les parents ne peuvent s’occuper à plein temps. Ils ont lancé une procédure d’adoption civile.

Federico Jong Do : « L’option qui me parait la plus … juste, la plus évidente, la plus entre guillemet nécessaire, également, est celle de l’adoption. Y’a des millions d’enfants, qui ne demandent que çà, d’être accueilli dans un foyer comblé d’amour, donc euh… »

Voix off : Adopter d’autres enfants leur sera sans doute très difficile car l’homosexualité est encore un motif de refus. Mais Gilles et Federico ne renonceront pas. Grâce à Rami, ils ont acquis une certitude : ils sont capables d’être de bons parents.

Federico Jong Do : « A chaque fois, en allant me coucher, je dois aller dans sa chambre, veillez sur lui. Donc, c’est pas vrai qu’on a l’instant juste quand on est une mère, quand on a porté l’enfant, ou que l’on est le géniteur. Il y a un instinct qui se créé au contact de cette petite vie qui grandit avec nous quoi. C’est vrai, çà c’est émerveillant, c’est magnifique. »

France 2 – journal de 20 heures.

Laurent Delahousse : « Plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé aujourd’hui à Paris à l’occasion de la gaypride. Musique et fête bien sûr, mais aussi revendications. 40 ans après, le combat homosexuel pour l’égalité continue. Aurelia Braud et Patrick Desmulie. »

Voix off : Il n’en revient pas, mais c’est bien elle : Liza Minelli. La star américaine a demandé elle-même à être présente pour l’ouverture de cette marche, quarante ans après le début de la lutte pour les homosexuels. Dans la foule, des centaines de milliers de personnes, gaies, lesbiennes, bisexuels, transsexuels et hétéros : mélange des genres pour moments d’euphorie.

Anonyme 1 : « Le but c’est de montrer qu’on peut manifester de façon joyeuse, tout simplement. »

Anonyme 2 : « Ah bah on se lâche, on rigole, on expose nos droits, c’est tout, c’est notre journée. »

Anonyme 3 : « A quand la hétéropride ? Pour que les hétéros puissent s’intégrer parmi les gays… »

Voix off : La fête ne fait pas oublier les raisons de cette marche. Iran, Yémen, Soudan, Afghanistan : comme le rappelle ce char, dans plusieurs pays, les homosexuels sont parfois condamnés à mort. En rance, la situation est bien différente, mais aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est l’égalité.

Philippe Castel (porte parole de l’inter-LGBT) : « Nous sommes toujours des sous-citoyens. Des citoyens de seconde zone. Euh, moi je vis avec mon ami depuis au moins dix-sept ans, et bien je n’ai pas le droit de me marier avec lui alors que je l’aime et qu’il m’aime. Euh, j’ai pas envie d’avoir d’enfant, mais si j’avais envie d’en avoir, et bien je ne peux pas l’adopter. »

Voix off : Cette après-midi, beaucoup de parents homos sont d’ailleurs venus avec leurs enfants.

Anonyme 4 : Nous on a une grande joie d’avoir des enfants, euh …C’est tellement injuste… mais çà changera un jour.

Voix off : Et si les revendications sont sérieuses, une fois encore, cette année, l’humour était un invité d’honneur.

France 3 – l’édition nationale du 19 / 20

Catherine Matausch : « La huitième marche des fiertés, l’ex gay pride, selon les sources entre 200.000 à 700.000 personnes ont défilé à Paris cet après-midi sous le soleil. Un cortège comme d’habitude haut en couleurs. Dominique Mari et Denis Bassompierre. »

Voix off : [sur un air de « Fuck you » de Lily Allen, devenu un buzz au sein de la communauté gay mondiale] Son univers scénique extravagant a fait d’elle une icône gaie. Liza Minelli ne devait faire qu’une simple apparition, mais la star américaine s’est laissée emportée par la musique et l’esprit convivial du défilé.

Anonyme 1 : « Y’a de l’ambiance, franchement c’est bien, y’a la musique. C’est une bonne ambiance y’a pas çà tous les jours. »

Voix off : Dans la foule, quelques créatures étonnantes et colorées, mais surtout un public jeune et enthousiaste, des homos, qui dans leur quotidien se sentent parfois obligés d’être très discrets sur leurs amours.

Anonyme 2 : « On peut pas faire çà dans la rue tout le temps. Ce qui est pourtant le truc le plus simple. »

Voix off : Paris fêtait aujourd’hui les quarante ans des premières manifestations pour les droits des homosexuels. 1969 : tout commence à New York lorsqu’une descente de police dans un bar gay provoque plusieurs nuits d’émeutes, ainsi nait la première gay pride. Depuis, les homosexuels ont progressivement acquis des droits, mais pour eux, le combat n’est pas fini.

Bertrand Delanoë : « Si on se reporte à il y a quarante ans, cinquante ans, voir même il y a vingt ans, bien sûr beaucoup de choses ont évolué, mais alors pourquoi ne pas terminer ? La conclusion de tout cela doit être l’égalité totale entre tous. »

Voix off : Sous les bannières colorées, près de 500.000 personnes ont marché aujourd’hui dans Paris, une grande fête musicale, mais aussi et surtout une manifestation politique pour réclamer une égalité réelle entre homos et hétéros.

Philippe Castel : « Nous voulons l’égalité des droits, nous voulons accéder au mariage, nous voulons accéder au droit à l’adoption, parce que nos amours sont aussi nobles que les amours hétérosexuels, et notre façon d’aimer les enfants est aussi belle que celle qu’ont les hétérosexuels. »

Voix off : Un combat qui semble payer, après des années de lutte en France, la transsexualité vient d’être retirée de la liste des maladies mentales.

Après avoir retranscrit le traitement de la marche des fiertés parisienne par les journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3, il est temps de faire quelques remarques et analyses générales sur ce traitement médiatique, car tout n’a pas été dit.

1 ) La cacophonie des chiffres

Il est très difficile de s’entendre sur les chiffres de la participation à la marche des fiertés parisienne de cette année 2009 : c’est une véritable cacophonie. En effet, les organisateurs parlent de 700.000 participants, contre seulement 200.000 seulement pour la police. Devant cet écart impressionnant, les journaux de TF1 et de France 2 préfèrent n’évoquer aucun chiffre précis et restent dans le flou en n’évoquant que quelques centaines de milliers de personnes. A France 3, on ose tout, on cite trois chiffres : les deux officiels, et ensuite un chiffre relativement médian de 500.000 participants.

Qu’il existe un décalage entre les chiffres des organisateurs et ceux de la préfecture de police n’est pas en soi très surprenant, il en est quasiment toujours ainsi. Mais ce qui est particulier cette année, c’est l’écart très important entre les deux estimations : cela fait quand même un demi-million de participants de différence ! Comme le montre le document ci-dessous, il n’y avait jamais eu de tels écarts : ceux-ci se limitaient à 200.000 personnes de différence en moyenne depuis de nombreuses années.

Alors, que c’est-il passé ? Il y a-t-il eu une réelle diminution de la participation, constatée par la préfecture mais niée par les organisateurs pour des raisons politiques ? Les organisateurs ont-t-ils truqués les chiffres pour éviter de dire que la participation a diminué afin de pouvoir toujours être en rapport de force face au gouvernement pour la réclamation du droit à l’égalité ? Ou au contraire, la préfecture aurait-elle reçue des consignes pour publier des statistiques plus favorables au gouvernement qui tarde à prendre des mesures en faveur de l’égalité totale et complète des homosexuels avec le reste de la population, une participation plus faible justifiant le manque d’empressement d‘appliquer des réformes ou ne serait-ce que les promesses présidentielles faites durant la campagne de 2007 sur l‘union civile calquée sur le modèle britannique ? Il est facile de sortir des théories du complot. Mais est-ce réaliste ? Et si tout simplement, il ne s’agit que d’une erreur de comptage ? C’est-ce qu’il y a de plus probable après tout.

En effet, il faut bien comprendre comment sont estimés les chiffres de participations à une manifestation. Ce qui suit reprend le commentaire p. 31 du Geo Hors série spécial été n° 1 de juillet-août 2009 :

« Pour les manifestations de faible ampleur, la police se place en un ou deux points du cortège et compte le nombre de rang à l’aide d’un compteur manuel. Mesurer la largeur du rang de la chaussée permet d’obtenir celle de la rangée et de déduire le nombre de personnes qui la forment. Le calcul est donc le suivant : nombre total de personnes = nombre de rangées du cortège X largeur d’une rangée en mètre X nombre de gens par mètre de rangée.

Pour les défilés les plus importants, la police détermine la surface du cortège à l’aide de photos aériennes. Le nombre de personnes au mètre carrée fournit une estimation globale en procédant au calcul suivant : nombre total de personnes = surface du cortège en mètres carrés X nombre de gens par mètre carré. »

On le voit, donc, on ne peut faire que des estimations empiriques. Les organisateurs n’ayant pas à priori les moyens d’avoir des photographies satellitaires, on peut penser qu’ils emploient la première méthode. Mais la préfecture de police, qui devrait dans le cas de la marche des fiertés, première manifestation de France, a-t-elle eut accès cette année à des photos satellitaires vu la baisse des moyens budgétaires actuels ? On peut se poser la question lorsque l’on a entendu l’énorme scandale qui a éclaté à la mi-août lorsqu’on avait annoncé que près de 1050 cadets de la République n’intégreraient pas comme prévu leurs écoles de police à un mois du début des cours pour raisons de contraintes budgétaires [1]. Si les moyens financiers n’étaient pas là, il aurait alors fallu passer à la méthode manuelle sur place, autrement dit la première méthode. Mais dans ce cas, pourquoi des chiffres si dissemblables si la même méthode aurait été utilisée ? Le ou les lieux choisis pour effectuer le comptage ont alors leur importance. Or, cette année, en fin de parcours, sur la place de la Bastille, il n’y a pas eut le traditionnel concert / podium FG en plein air (une autre conséquence de la crise économique ?), ce qui fit que la foule se dispersa aussitôt : en imaginant que la police faisait ses opérations de comptage là, il est alors explicable que les chiffres avancées soient si discordants avec ceux des organisateurs, s’ils faisaient leurs opérations de comptage ailleurs, le plus logique étant sur le Pont de Sully, puisqu’il y a déjà du personnel mobilisé à cet endroit stratégique.

Enfin, tout ceci n’est que supposition. Mais ces chiffres sont vraiment étonnants. Il faudra attendre les chiffres de participation de l’année prochaine pour savoir s’il s’agit d’une erreur ou d’une réelle tendance à la baisse…

2 ) Le traitement journalistique de la marche parisienne 2009 : un net avantage qualitatif pour TF1

Si l’année dernière, toutes les grandes chaines avaient consacré du temps et des moyens pour la réalisation et la diffusion d’un reportage supplémentaire sur l’homophobie ou les revendications des homosexuels [2], cette année, seul TF1 l’a fait. Ce bon reportage sur l’homoparentalité, doublé par un compte rendu assez complet de la marche, fait de la rédaction de la Une la meilleure et de loin de l’année face à toutes ses concurrentes. Il y a eut un véritable travail de préparation à l’mont pour couvrir cet événement. Dès lors, la fixation d’une ligne éditoriale a permit à TF1 de réaliser un reportage de la marche de 91 secondes avec un professionnalisme certains, qui lui a permis de limiter les images « racoleuses » (87 % du reportage montre un public ordinaire, et 13 % montre des participants plus ou moins extravagants) et de privilégier le discours politique, sur les thèmes de l’homoparentalité, de l’inégalité dans le monde de l’entreprise, ou des agressions homophobes (90 % du reportage est consacré aux revendications politiques, aux dénonciations de l’inégalité ou de l’homophobie, aux interviews, et 10 % est consacré à la description de la marche).

A l’inverse, c’est une grosse déception pour le service public qui n’a pas consacré de moyens financiers et de temps d’antenne à des reportages annexes comme l’année précédente. On peut de demander si France 2 et France 3 avaient des moyens cette année : la crise économique, la chute des revenus publicitaires liée à la réforme de la suppression partielle de la publicité à France télévisions, auraient-elles provoqué des coupes sombres budgétaires dans les rédactions ? Mais ce manque de moyens est aggravé par le fait la qualité très relative des reportages consacré à la marche des fiertés elle-même. On sent que les deux rédactions ont privilégié de donner la parole aux manifestants, ce qui n’est pas forcément un mal. Mais hélas, vu la qualité de certaines des interviews, on constate qu’un manque de sensibilité ou de formation sur la question donnent par endroits des moments des témoignages peu constructifs (« A quand l’hétéropride ? », vu sur France 2 par exemple).

Il semble un peu près clair que France 2 y est allé un peu près les mains dans les poches, sans trop de réflexion et de préparation en amont, se contentant de récolter des infos sur place, ce qui a pour effet de rapporter un discours superficiel et de s’attarder sur les clichés. Ainsi, 79 % du reportage montre un public ordinaire, et 21 % montre des participants plus ou moins extravagants, ce qui est presque deux fois plus qu’à TF1. Et seulement 67 % du reportage est consacré aux dénonciations de l’inégalité ou de l’homophobie et aux interviews (et encore, de manière superficielle et très incomplète), contre 33 % consacré à la description de la marche. A ce problème quantitatif se rajoute celui du qualitatif. En effet, la moitié de personnes interviewées ne sont pas là pour parler ou illustrer un message politique ou une revendication, ce qui contribue à un sentiment de superficialité de l’événement. Mais surtout, la rédaction a voulu privilégier l’humour, mais c’est finalement soit peu constructif (on en revient à cette fameuse « hétéro pride »), soit carrément d’un goût douteux et contre-productif, en terminant sur l’image de la banderole d’une association avec le jeu de mot sur les « rois de la pédale »... Bref, la déception est grande, France 2 a bâclé son travail.

France 3 s’en tire un tout petit peu mieux, déjà parce qu’elle a consacré une partie de son reportage pour expliquer l’événement de Stonewall, avec des images d’archives qui plus est, et qu’elle montre une interview de Bertrand Delanoë qui y fait plus ou moins indirectement allusion (« Si on se reporte à il y a quarante ans, cinquante ans, voir même il y a vingt ans, bien sûr beaucoup de choses ont évolué, mais alors pourquoi ne pas terminer ? La conclusion de tout cela doit être l’égalité totale entre tous »). France 3 a donc un peu préparé son sujet. Mais comme France 2, elle a comblé le reste en venant se servir sur place pour récolter des infos, et donc récolter des témoignages qui décrivent plus l’ambiance du cortège que le discours politique qui motive son existence : ainsi, seulement 61 % du reportage est consacré aux revendications politiques, aux dénonciations de l’inégalité ou de l’homophobie, aux interviews, contre 39 % qui est consacré à la description de la marche. C’est le plus mauvais score des trois grandes chaines nationales. Il n’en est pas mieux du côté des images, où l’équipe de France 3 s’attarde sur des clichés et leur consacre un grand temps d’antenne alors que les personnes « extravagantes » sont pourtant minoritaires : ainsi, 67 % du reportage montre un public ordinaire, et 33 % montre des participants plus ou moins extravagants. Et France 3 a un véritable manque de timing, car ces images « racoleuses » arrivent même pendant le discours politique, soit durant le discours de la voix off, soit pendant l’interview d’un responsable politique ou associatif (pas de bol). Comme cela n’est donc pas toujours voulu, et qu’au moins il y plus de préparation et surtout pas d’humour douteux, France 3 serait donc mieux noter que France 2 en cas d’évaluation du reportage. Mais cela reste quand même très loin de TF1, ce qui pourrait en surprendre plus d’un, j’en conviens, mais les faits sont là…

3 ) Une médiatisation du mot d’ordre de la marche complètement ratée

Le thème choisit par les organisateurs cette année était « 1969-2009 : fier-e-s de nos luttes, à quand l'égalité réelle ? ». Autrement dit, la célébration du quarantième anniversaire des émeutes de Stonewall, en 1969 à New York. Mais si tous les journaux ont évoqué cet anniversaire, ou tout du moins parler de quarante ans de lutte, force est de constater que seul France 3 a expliqué ce qu’était cette émeute de Stonewall. Autrement dit, seule France 3 a fait un travail de recherche pour en parler, et accompagner le commentaire d’images d’archives. Mais pour les autres chaines : rien.

Pourtant, comme chaque année, l’Inter-LGBT fournit un communiqué de presse pour expliquer le mot d’ordre de la marche [3], et les émeutes de 1969 y sont effectivement expliquées. Mais visiblement, peu de rédactions y ont fortement prêté attention : TF1 a certes réalisé un réel travail préparatoire, illustré par un reportage sur l’homoparentalité, mais l’explication de ces chiffres de quarante années de lutte n’est pas expliquée ; et idem à France 2 qui évoque tout de même comme dans le communiqué la situation des homosexuels dans certains pays étrangers.

Existe-t-il un manque de professionnalisme ? Possible. Un manque de moyens humain et financier cette année ? Possible d’un point de vue financier avec la crise économique actuelle. Possible aussi d’un point de vue humain avec la mobilisation sans précédent des équipes pour couvrir la mort de Michael Jackson, événement médiatique qui fit à cette époque la une des journaux (TF1 y consacra par exemple la moitié du temps d’antenne de son journal). La mort du roi de la pop le 25 juin 2009 nous a probablement fait de l’ombre dans toutes les rédactions où l’on n’a pas travaillé la marche en avance.

Mais l’explication serait trop simpliste, car l’explication viendrait peut-être aussi du fait que le communiqué de presse de l’Inter-LGBT est paru beaucoup trop tard : il a été édité le vendredi 26 juin 2009, soit la veille de l’événement ! Comment voulez-vous dans ces conditions effectuer un réel travail de recherche documentaire et de tournage préparatoire ? Or cela prend du temps, cela nécessite un travail à l’amont. Editer ce type de communiqué plusieurs semaines à l’avance faciliterait la mise en place de conditions pour que les rédactions puissent correctement fixer les lignes éditoriales sur la couverture de ce sujet marronnier. Du moins, s’il existe un certain professionnalisme du côté des journalistes bien sûr …

Mais il y a pire : aucun des reportages des différentes ne montre un interviewé parler de cet anniversaire symbolique. Même pas Philippe Castel, le porte parole de la marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans ! D’ailleurs, on peut se demander s’il en a parlé aux équipes de télévision, car il a quand même été interviewé par toutes les chaines, et aucune ne le montre en train d’en parler. Que cela soit-lui ou les chaines, tous ont préféré parler du mariage et de l’homoparentalité. Très bien. Mais dans ce cas, le mot d’ordre de la marche ne sert à rien. Il est dans ce cas soit mal trouvé, soit absolument pas mis en avant par les organisateurs, qui ont voulu exploiter un symbole, mais ne l’ont pas fait… Seul Bertrand Delanoë fait une brève allusion sur le journal de France 3 de ces quarante années de lutte.

Il existe enfin une dernière explication, certainement celle qui a le plus de poids : les hétéros ne comprennent pas l’importance de cet événement et donc de cet anniversaire, car ils ne connaissent absolument pas l’histoire des communautés homosexuels. Cela se voit dans l’inexploitation de cet événement médiatiquement : il n’y a eu le même jour qu’une référence à la gay-pride dans Secret Story sur TF1 pour proposer une animation pour les joueurs, et une question consacré à Stonewall dans le jeu « Tout le monde veut prendre sa place » sur France 2. La mobilisation médiatique sur cet enjeu historique était donc bien faible cette année, probablement aussi bien pour des raisons de méconnaissances culturelles des journalistes, que d’insuffisance de promotion de la part des organisateurs…

4 ) Les médias se sont concentrés sur le thème de l’homoparentalité

En dehors de TF1 qui en a fait son axe éditorial, il est difficile de dire si ce thème était dans l’air du temps pour les autres équipes de journalistes, ou s’ils se sont laissés guidés par le discours et la visibilité des organisateurs et les manifestants. Mais c’est un fait, l’homoparentalité a été le sujet principal évoqué dans les revendications des homosexuels, à tort ou à raison.

Le reportage de TF1 est traité de manière professionnelle, exposant les revendications et les interrogations, et est même légèrement partisan ou favorable, car privilégiant de montrer des parents homosexuels avec leurs enfants dans des scènes de la vie quotidienne, où les enfants, même floutés à l’image, semblent joyeux et heureux : leurs rires ou l’intonation de leur voix ne trompent pas.

Le reportage de TF1 cite la statistique de 100.000 familles homoparentales. Quand est-il de ce chiffre ? Ce chiffre est une estimation donnée par l’APGL (Association Parents Gays et Lesbiens) en 2004, qui circule un peu partout dans la presse. Sauf que ce chiffre a évolué, l’association parlant en 2006 d’environ 100.000 à 250.000 familles homosexuelles, et d’environ 300.000 enfants élevées dans une famille homosexuelle.

Mais le chiffre fait débat, car il est en total discordance avec ceux de Patrick Festy, membre de l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), qui aurait évalué en 2006 le nombre de familles homoparentales à seulement 15.000 à 20.000.

Cette discordance s’explique par le fait que l’INED et l’AGPL ne compte pas la même chose. L’INED compte le nombre de familles homoparentales dans l’unique schéma d’un couple d’hommes ou de femmes élevant un ou des enfants. L’AGPL adopte une définition beaucoup plus large des familles homoparentales, et prend en compte aussi la coparentalité (40 % des cas chez les femmes et 85 % chez les hommes selon l’association), les familles de parents divorcés avec un père ou une mère homosexuel ex-hétéro, sans oublier les célibataires ayant eu recours à une insémination artificielle ou à une mère porteuse… TF1 n’est donc pas rentré dans cette querelle de chiffres liée à des différences méthodologiques [4]. A moins que la rédaction n’était pas au courant de ce débat…

5 ) La transsexualité retirée des maladies mentales ? Un effet d’annonce et non une réalité concrète actuellement.

En fin de reportage, France 3 annonce en ce samedi 27 juin 2009 que « la transsexualité vient d’être retirée de la liste des maladies mentales ». Sauf que c’est faux. La ministre de la Santé Roselyn Bachelot avait en effet annoncé son intention de déclassifier la transsexualité de la liste des maladies mentales par décret. Cette annonce se faisait la veille de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie (C'est parce que l'OMS avait décidé le 17 mai 1990 de sortir l'homosexualité de la liste des maladies mentales, que cette date a été retenue pour la Journée mondiale contre l'homophobie, célébrée dimanche et dès samedi dans de nombreux endroits). La date ne relevait pas de hasard, car le thème de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobe était cette année «Refusons la transphobie, respectons l’identité de genre !», à l’initiative de Louis-Georges Tin, organisateur de la Journée. Une initiative personnelle pour accroître sa popularité périclitante auprès des communautés LGBT ? Une façon de montrer ses convictions personnelles (elle aurait soutenu l’idée un an auparavant) ? Une façon pour le gouvernement de donner quelque chose aux communautés LGBT sans lâcher de réformes sur le mariage ou l’homoparentalité ? Ce qui est sûr en tout cas, c’est que cela fut un effet d’annoncer pour illustrer les efforts du gouvernent en cette veille de journée symbolique.

Mais un mois plus tard, aucun décret n’est passé ! Et aujourd’hui, on attend toujours. Mensonge ? Non, à priori, car notre ministre a réuni à cet effet la Haute autorité de santé en vue de ce décret. Mais cela veut dire qu’aucun décret n’est possible tant que la Haute autorité de santé n’aura pas fini de travailler sur le sujet, et en imaginant qu’elle rende des conclusions en concordance avec la volonté de notre ministre de la Santé. Et cela va prendre du temps. Bref, notre ministre n’a fait en fait qu’une annonce [5]. Et on sait bien que les politiques doivent vivre médiatiquement en faisant des annonces continuelles, même si leurs réalisations peuvent prendre beaucoup de temps. Alors, si les journalistes déforment les faits en plus, on ne s’en sort pas.

6 ) Les meurtres homophobes.

Le journal de TF1 conclu son reportage en disant que « depuis le début de l’année, 5 meurtres d’homosexuels font l’objet d’enquête judiciaire ». Si la presse se fait régulièrement échos de meurtres d’homosexuels, j’avoue ne pas avoir trouvé la source de ce chiffre. Je n’ai trouvé que la statistique fourni par SOS-Homophobie dans son rapport 2008, qui fait état de 14 meurtres en six ans, entre 2002 et 2008. C’est déjà trop, et cela se rajoute aux chiffres de deux agressions physiques en moyenne par semaine, toujours selon SOS Homophobie, et sur la seule base de leur avoir été signalées [6].

Dans notre prochain article, nous ferons un point sur l'homophobie en France.

Sources :

[1] https://www.liberation.fr/societe/2009/08/12/les-cadets-de-la-republique-sur-le-carreau_575563/

[2] https://www.et-alors.net/articles/gay-pride-2008-journal-televise

[3] http://www.inter-lgbt.org/spip.php?article951 (lien mort)

[4] http://www.apgl.fr/documents/statistiques_homoparentalite.pdf (lien mort)

[5] https://www.liberation.fr/societe/2009/05/16/la-transexualite-ne-sera-plus-une-maladie-mentale_558232/

[6] https://ressource.sos-homophobie.org/Rapports_annuels/Rapport_homophobie_2008.pdf