Illustration de l'article

La marche des fiertés parisienne en crise ?

Par tkf, le

Introduction

La Marche des Fiertés en France. La Christopher Street Day (du nom de la rue du bar Stonewall où éclata l’émeute de 1969) en Allemagne. L’Orgullo Gay (la journée de l’orgueil) en Espagne. La Skeive Dager (la journée queer) en Norgève. La Canal Pride à Amsterdam (le défilé a lieu dans les canaux de la ville). La Roze Zaterdag (le samedi rose) en Flandre. La Parada Równości (parade pour l'égalité) en Pologne. La Baltic Pride dans les pays baltes. La Slavic Pride à Moscou en Russie. L’Arrial Pride à Lisbonne au Portugal. Ou tout simplement la Gay Pride au Royaume-Uni… Qu’importe le nom qu’on lui donne à travers les différents pays d’Europe, il ne s’agit que de la même chose : la célébration de l’émeute de Stonewall à New York en 1969, qui a servi de symbole pour la lutte de la conquête des droits civiques et l’accession à l’égalité avec le reste de la population, plus connu sous le nom de Gay Pride, tel que cela est désigné aux Etats-Unis. Et justement, cette année 2009 fut particulière, car elle fêta le quarantième anniversaire des émeutes de Stonewall. Un chiffre rond qui donna lieu à des célébrations particulières, à un devoir de mémoire, et à une occasion aussi, pour ne pas dire surtout, de dresser un bilan de ces quarante années de lutte, qui ont permis des avancées significatives en terme de droits et d’égalité pour les communautés homosexuelles, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles, même s’il reste du chemin à faire.

La stagnation de la fréquentation de la marche parisienne ne s’explique pas de manière convaincante par la hausse de la fréquentation des marches provinciales.

Pourtant, on ne peut nier que la marche des fiertés 2009 en France n’a pas été un réel succès. Nous l’évoquions dans notre article dressant un bilan de la marche parisienne 2009, où les chiffres montraient au mieux une stagnation de la fréquentation (700.000 participants depuis de nombreuses années maintenant), au pire une baisse de la fréquentation (le chiffre de 200.000 participants en 2009 selon la police étant difficilement vérifiable maintenant). Il ne faut pas s’étonner si après le projet d’union civile sur le modèle britannique ne soit appliqué en France, pourtant une promesse électorale de notre président Nicolas Sarkozy, qui ne peut voir dans cette évolution qu’un aveu de faiblesse.

A l’exception du pic de 800.000 participants en 2006, cela fait maintenant cinq ans que la participation à la marche des fiertés parisienne stagne autours des 700.000 personnes selon les chiffres organisateurs. Serions-nous arrivés définitivement à un mur de verre, un maximum que l’on ne peut dépasser ? Pourquoi cette stagnation parisienne ? Car en province, la progression se poursuit d’année en année.

La participation aux marches des fiertés provinciales continuent d’avoir un succès croissant. L’année 2009 a vu une forte augmentation du nombre de participants en Province, avec une estimation cumulée de 67.800 personnes. C’est peu comparé à Paris, mais cela fait quand même plus de 13.300 personnes de plus depuis l’année dernière qui ont défilé en province. Quasiment toutes les marches provinciales ont augmenté leur nombre de participants, à l’exception de Bordeaux, Lille et Toulouse. Montpellier, Lyon et Marseille rassemblent à elles seules 34.000 personnes, soit la moitié des participants hors Paris. Cette augmentation du nombre de participants en province face à la stagnation de ce qui se passe à Paris depuis plusieurs années se traduit par un poids croissant de la province sur l’ensemble de la participation nationale : en 2003, les provinciaux ne représentaient que 4,3 % des participants aux marches des fiertés hexagonales, mais ce poids a désormais doublé, puisque la part provinciale atteint désormais en 2009 près de 8,8 % !

Chiffres organisateurs

Vous aurez remarquez que ce tableau est incomplet (et pourtant j’ai pas mal cherché sur le net) : n’hésitez pas à essayer de m’aider à le compléter ! Il risque de falloir chercher dans les vieux quotidiens régionaux en édition papier…

sources :

chiffres 2009 : Têtu.com, yagg.com, touristiquement-gay.com

chiffres années précédents : voir cet article.

La marche parisienne est l’une des rares parmi les principales marches en Europe qui n’a pas vu sa fréquentation augmenter en 2009.

Il est tentant de dire que l’augmentation du nombre de participants en province s’est fait par concurrence au détriment de la marche de la capitale, ce qui expliquerait cette stagnation parisienne depuis plusieurs années. C’est-ce que nous évoquions en hypothèse l’année dernière. Mais il semble, au regard de ce qui se passe dans nos pays voisins, qu’il ne s’agit pas de cela. En effet, la participation aux marches de Londres, de Berlin et de Cologne est en progression par exemple, comme nous le montre le graphique ci-dessous…

Or, justement, ces métropoles connaissent une forte concurrence au sein de leur propre Etat. Si on regarde la carte ci-dessous, on constate en effet que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont beaucoup plus de villes que la France qui organisent une gay-pride. Or, non seulement ces manifestations régionales attirent beaucoup plus de monde qu’en France par comparaison, mais en plus, il faut aussi savoir que la majorité d’entre elles sont en progression, en parallèle avec celles des plus grandes métropoles. Ainsi, la stagnation de la participation à la marche des fiertés parisiennes ne s’explique pas au vue de l’évolution de ce qui se passe chez nos voisins britanniques et allemands.

Seule Madrid est en net recul. Mais Madrid est un cas particulier. Il faut en effet comprendre que l’explosion de la participation à Madrid en 2005 s’inscrit dans un contexte historique particulier. Cette année-là, une manifestation conservatrice s’était organisée la veille de la « Orgullo gay » (la journée de l’orgueil, soit la gay pride espagnole) à Madrid pour protester contre la volonté du gouvernement Zapatero d’instaurer l’égalité d’accès au mariage par son ouverture aux couples homosexuels. Cet événement, largement médiatisé dans les médias espagnols et européens, a bien évidemment accru la mobilisation des homosexuels espagnols pour la Orgullo gay madrilène : des Espagnols venant de tout le royaume, en train, en car, en voiture, se sont pressés vers la capitale pour réclamer à l’inverse leur volonté d’accéder à l’égalité totale par l’ouverture du mariage. Le résultat ne s’est pas fait attendre : la participation cette année là à Madrid a doublé, passant à deux millions de personnes selon les chiffres organisateurs. Cette grande victoire politique et morale a permis d’inscrire dans la tête de nombreux Espagnols les années suivantes qu’il fallait aller à Madrid pour la Orgullo gay, d’autant que des réseaux de transports s’étaient adaptés à cette demande, et la pérennisaient par des offres commerciales adaptées. La participation exceptionnelle de 2007, avec 2,5 millions de personnes, parachève ce système économico-culturel, sur la base il est vrai de l’organisation de l’Europride à Madrid. Dès lors, face à des chiffres aussi exceptionnels, des baisses de fréquentation semblent plutôt naturelles, telles les marches de 2006 et 2008. La crise économique, particulièrement virulente en Espagne, a contribué enfin très probablement à son tour d’user les chiffres de participation madrilène en 2009, car elle a encouragé de nombreux Espagnols à ne pas se déplacer vers la capitale cette année pour des raisons financières. Nous manquons de chiffres pour de nombreuses villes d’Espagne, mais pour celles que nous avons récolté, il semble bien que les marches des autres métropoles espagnoles sont en progression comme à Barcelone ou à Séville : il est plus économique de rester dans sa région. Et encore, la baisse de la participation à la Orgullo gay madrilène n’est-elle pas non plus démesurée, puisqu’elle atteint encore en 2009 près de un million de participants, soit 200.000 personnes de moins seulement par rapport à l’année dernière. Ainsi, la stagnation de la participation parisienne ne s’explique pas par l’exemple espagnol non plus.

Pour comprendre le manque de dynamisme de la marche parisienne, il faudrait peut-être tirer les leçons des marches concurrentes qui ont aussi connues à un moment de leur histoire un moins grand dynamisme. L’exemple parfait serait celui de Londres.

Londres a été la première ville européenne à créer une gay pride indépendante en 1970, soit un an après Stonewall. Paris sera la seconde avec quelques années de retard : en France, les manifestants homosexuels se mêlent aux manifestations du 1er mai dès l’année suivante en 1971, mais il faudra attendre 1977 pour que soit organisé une manifestation homosexuelle indépendante à Paris.

Les autres villes européennes suivront quelles années plus tard. En Allemagne, la ville de Munich organise sa première Christopher Street Day en 1972, mais n’étant pas reconduit l’année suivante, il faudra attendre 1979 pour voir s’organiser des manifestations annuelles à Berlin et Brême. L’Espagne le fit à Madrid en 1977, la Suisse le fit dès 1978 en commençant par Zurich, la Suède suivit en 1979 à Stockholm, Anvers en 1979 et Bruxelles en 1980 en Belgique, Turin fut la premier ville italienne en 1979, mais ne sera suivi par d’autres villes que dans les années 90’ avec Bologne ou Rome, tout comme l’essentiel des villes de l’Europe méditerranéenne et de l’ouest, etc.…

Bref, on le voit, Paris et Londres avait un rôle précurseur. Pendant longtemps, la gay pride londonienne fut la première d’Europe, attirant 100 personnes en 1971, 2000 en 1972, 15.000 en 1985, 40.000 en 1988, 60.000 en 1992, puis 200.000 en 1995 ! Pendant ce temps-là, Paris n’avait jamais atteint les 10.000 participants avant 1993. Mais les années 1990 allaient voir exploser la fréquentation parisienne, pour atteindre que 80.000 personnes en 1995 à 300.000 en 2000, et connaitre un maximum à 800.000 personnes en 2006. Cette montée en puissance permit de faire entendre les voix des gays et des lesbiennes pour obliger le gouvernement à légiférer sur le statut des couples du même sexe, accouchant ainsi du PaCs en 1999, une première en Europe latine, qui servira d’exemple à d’autres pays européens refusant de mettre en place le marige homosexuel comme aux Pays-Bas. Mais pendant que la marche parisienne devenait la deuxième d’Europe après celle de Madrid, la gay pride londonienne n’était plus que l’ombre d’elle-même, n’attirant plus les foules. En effet, de 200.000 participants en 1995, la fréquentation s’était effondrée à 40.000 en 1998, et ne dépassa jamais les 80.000 jusqu’en 2003 ! Cet effondrement était du à une organisation qui centrait la marche sur le militantisme. Peut-être un peu trop car cela rendait, selon les dire de beaucoup, la marche austère et ennuyeuse. Ceci expliquait aussi pourquoi les revendications des droits des gays et des lesbiennes étaient peu écoutés par les politiques, pourtant travaillistes. Les organisateurs changèrent alors de stratégie et décidèrent en fondant la London Pride en 2004 de la rendre plus festive et commerciale, sur le modèle parisien. L’adjonction de chars et de musique fut un succès immédiat : 825.000 participants ! Le résultat politique ne se fit pas attendre : le gouvernement travailliste accoucha en novembre du partenariat civil gay ouvrant aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux du mariage. Si les années suivantes furent moins populaires, elles ne cessèrent quasiment de le devenir de plus en plus, permettant en 2009 d’attirer un million de personnes, Londres devenant avec Madrid la première ville européenne organisatrice d’une gay pride.

Le problème n’est probablement pas l’organisation de la marche.

Mais si la marche londonienne utilise les mêmes recettes que celle de Paris, comment cela ce fait-il qu’elle marche mieux que notre marche nationale ? L’explication est ailleurs. Et si l’explication ne vient pas de l’organisation de la marche même, mais plutôt de ce qui se passe autours d’elle ? Car après la marche, les gens vont souvent à des soirées et des afters pour continuer la fête. Or, il est de notoriété publique maintenant que la nuit parisienne est aujourd’hui en crise, suite à une législation et des prix qui ne favorisent guère son développement : tarifs prohibitifs en comparaison de ce qui se fait ailleurs en Europe, loi sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics, loi sur l’interdiction de vente d’alcool une heure et demi avant la fermeture de l’établissement (pour prévenir les accidents de la route), obligation récente de fermer les établissements à 7 heures du matin (adieu donc les réels afters), plaintes récurrentes pour nuisances sonores (notamment à cause des clients qui fument en extérieur et en profitent pour discuter), fermetures administratives récurrentes pour lutter contre la drogue… Ces tracasseries ont provoqué des fermetures d’établissements, aggravant la crise économique dans le secteur, mais aussi la fuite des DJs prestigieux et hypes vers d’autres capitales. A ces conditions, certains doivent préférer alors se rendre à d’autres gay pride, comme au Royaume-Uni, en Espagne ou en Allemagne… Mais ceci n’est qu’une hypothèse.

Conclusion

Quoiqu’il en soit, cette stagnation de la participation parisienne à la marche des fiertés ne fait qu’affaiblir toujours plus Paris face à ses rivales européennes. Si Paris continue d’être une métropole de premier plan qui attire les homosexuels, elle voit depuis quelques années son attractivité s’affaiblir au profit de Londres et Madrid, où l’on considère que l’on peut plus facilement faire la fête et pour moins cher, le tout avec beaucoup plus de libertés, ne serait-ce que pour se tenir la main en public. Dans la compétition mondiale, Paris ne fait qu’illustrer par sa marche des fiertés qu’elle perd du terrain. Pour le rayonnement de notre capitale, aussi bien culturel qu’économique, les politiques et acteurs économiques feraient bien d’en prendre conscience et d’agir en conséquence pour inverser la tendance, car au final, leurs intérêt financiers sont en jeu, qu’ils aiment les gays ou non… Il devient donc urgent que l’Inter-LGBT se ressaisisse, car cette stagnation (au mieux, s’il n’y a pas eut gonflage des chiffres des participants par les organisateurs) peut être un aveu de faiblesse qui ne peut faire pencher la balancer envers nos politiques, qui pourraient y voir, au vu de ce qui se passe dans le reste de l’Europe, un certain désengagement, prétexte à un report de toutes réformes en faveur de l’égalité pour les homosexuels avec le reste de la population française. Une meilleure médiatisation d’un mot d’ordre unitaire et fédérateur de la marche serait aussi utilise, vu la cacophonie de l’année dernière, mais vu qu’à deux mois de la prochaine marche, nous n’avons rien trouvé de cela sur le net, on peut être sceptique que les choses changent cette année…