Illustration de l'article

L'homophobie en milieu scolaire en France (1�re partie)

Par tkf, le

Ce début d’année scolaire a été malheureusement riche en actualité plaçant l’homophobie au cœur de notre préoccupation. Ainsi, un article du mardi 17 août 2010 du quotidien Le Monde révélait que selon un rapport interne et confidentiel à l’Education Nationale, les discriminations se banalisaient à l’école, tel le racisme, le sexisme et l’homophobie. Fin septembre, en France, éclate le scandale de l’affaire Sexion d’Assaut, groupe de rap s’étant déclaré homophobe dans une interview et une de leur chanson. Toujours fin septembre, aux Etats-Unis cette fois-ci, les médias s’emparent et s’émeuvent du suicides de plusieurs jeunes homosexuels ou identifiés comme tels, suite à des harcèlements en milieu scolaire. Oui, l’homophobie a diminué ces dernières décennies, mais elle n’en reste pas moins présente et toujours dramatique. Et les choses risquent de changer lentement. Car si le ministère de l’Education Nationale sous l’impulsion de Darcos a décidé il y a deux ans de s’impliquer dans la lutte contre l’homophobie en milieu scolaire, reste que, comme le souligne une série d’articles « Paroles de profs homos » sur Yagg en septembre, la mise en pratique reste plus difficile et peu répandue, comme le fait que beaucoup d’établissements n’affichent pas l’affiche de la ligne Azur, mesure pourtant proposée par le ministre de l’Education Nationale.

Un bilan s’impose donc à réaliser pour que les politiques s’emparent réellement du sujet.

Notre premier article va s’attacher à décrire l’homophobie en milieu scolaire en France.

Plan :

I / Première partie – L’homophobie en milieu scolaire : les chiffres et données d’un constat alarmant.

A / Presque deux homosexuels sur trois victimes d’homophobie en milieu scolaire.

B / L’archétype des auteurs d’actes homophobes en milieu scolaire : des garçons qui agissent en groupe, en quête de leur propre masculinité.

C / Les temps de l’homophobie en milieu scolaire : l’homophobie n’est pas qu’un phénomène de cours de récréation.

LORSQUE LES ADULTES NE SONT PAS LÀ …

… MAIS AUSSI EN SALLE DE CLASSE

EN EDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE (EPS).

EN HISTOIRE

EN GEOGRAPHIE

EN EDUCATION CIVIQUE

EN FRANÇAIS

EN SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE (SVT)

D / Les conséquences de l’homophobie sur les homosexuel(le)s en milieu scolaire.

Un mal-être indéniable.

Des difficultés à vivre de manière épanouie.

Des conduites à risques accrues et un enjeu social de sur-risque suicidaire.

Le constat que peu de chose à l’école permet d’endiguer ces phénomènes.

I / Première partie – L’homophobie en milieu scolaire : les chiffres et données d’un constat alarmant.

L’école est vécue ou a été vécue souvent comme un lieu homophobe ou en tout cas peu gay-friendly, une étape de la vie pas forcément très facile, voir un calvaire pour certains. Pas à tort d’après les témoignages et les sondages disponibles.

A / Presque deux homosexuels sur trois victimes d’homophobie en milieu scolaire.

Selon une enquête réalisée par SOS Homophobie en 2006, 58 % des personnes interrogées avaient été victimes d’homophobie en milieu scolaire, principalement au collège (39 %) et au lycée (33 %), le plus souvent de manière renouvelée (33 %), mais parfois de manière unique (15 %) ou permanente (13 %). Petite remarque : il semble que le faible pourcentage d’homophobie en lycée technique, surprenant, s’expliquerait non par une attitude plus gay-friendly des élèves, mais par la composition de l’échantillon de sondés, disposant d’une faible représentation de personnes ayant fréquenté ce type d’établissements scolaires.

Si cette homophobie prend plusieurs formes, elle a avant tout une forme de violences verbales, puisque se détachent de loin les moqueries (30 %) et les insultes (26 %). Mais elle peut aussi prendre une forme de violence physique, soit de manière indirecte où on s’en prend aux affaires de la victime (4 %), soit de manière directe sur la personne elle-même avec des bousculades (11 %) et des coups et blessures (5 %). Elle peut prendre aussi une forme d’ostracisme, soit directe, la victime étant tout simplement rejetée (17 %), soit indirecte, avec l’outing (le fait de révéler l’homosexualité d’une personne) ou la menace d’outing (8 %) qui cherche à détruire la réputation de la victime et sa place dans le groupe.

B / L’archétype des auteurs d’actes homophobes en milieu scolaire : des garçons qui agissent en groupe, en quête de leur propre masculinité.

Ces actes homophobes sont principalement le fait de garçons (67 %), qui exultent généralement ainsi leur masculinité : rappelons quand même que l’homophobie n’est finalement ni plus ni moins qu’une forme de sexisme. Ces actes se font d’ailleurs principalement en groupe : la collectivité du geste permet en effet aux auteurs de se rallier à un groupe dominant, et d’exprimer sa masculinité au groupe par la complicité de l’acte homophobe. Ces actes de groupes sont donc l’expression d’un machisme - soit la recherche de la domination (ou de la crainte de la marginalisation) par l’identification d’un bouc-émissaire à qui on s’en prendra -, ainsi que, là encore une fois, une forme de sexisme.

Enfin, si la grande majorité des actes homophobes en milieu scolaire est surtout le fait des autres élèves (82 %), il convient de ne pas sous-estimer les actes des adultes qui encadrent les élèves : enseignants, adultes de la vie scolaire, membres de l’administration ou de la direction (12 %). Une étude à part entière mériterait d’être faite pour ce cas de figure, afin de connaitre un peu mieux la nature et les origines de ces actes homophobes. Ils doivent prendre à priori surtout la forme de réflexions et moqueries homophobes, ainsi qu’un manque de réaction ou de soutien face aux actes homophobes des autres…

Petite remarque : si les filles semblent minoritaires dans la réalisation d’actes homophobes (32 %) d’après l’enquête de SOS homophobie, il convient de prendre ces résultats avec précaution. En effet, l’échantillon de sondés est constitué aux deux tiers par des hommes, qui ont plus subit des discriminations homophobes de la part de leurs compères masculins, car des garçons rejettent souvent d’autres garçons parce qu’ils les rétrogradent à un statut inférieur de filles (rappelons-le, l’homophobie est une forme de sexisme). Il parait logique que les filles rejettent statistiquement moins les garçons homosexuels en France, puisque le machisme est moins imprégnée dans cette catégorie de population, et le sexisme y est moins stigmatisé, les filles voyant l’homosexualité moins ou pas cela comme une rétrogradation infamante (logique, sinon, elles se dévaloriseraient elles-mêmes). Mais quid de la lesbophobie ? L’échantillonnage des personnes de sexe féminin est trop réduit pour se faire une idée concluante sur la question du sexe des auteurs de lesbophobie, dont il serait intéressant de connaitre la proportion de filles, et voir si cela diffère sensiblement ou non avec l’homophobie ordinaire auprès des garçons…

Une autre étude, qui donne cette fois-ci la parole à des élèves par classes entières d’établissements scolaires, a été réalisée par la Direction de l'Evaluation, de la Prospective et de la Performance [D.E.P.P.] pour l’Education Nationale en 2005 et publiée en 2007, et porte sur les attitudes à l’égard de la vie en société des élèves à la fin du primaire et à la fin du collège. Elle permet de se faire une vision plus globale de l’homophobie en milieu scolaire, car cette fois-ci elle ne donne pas la parole qu’aux victimes, et en plus elle dispose d’un échantillonnage beaucoup plus important.

Ainsi, on constate une différence de la proportion d’élèves homophobes selon les types d’établissements scolaires : les établissements publics les plus difficiles, classés en Zone d’Education Prioritaire (ZEP) ou en Réseau d’Education prioritaire (REP) se classent parmi les établissements scolaires où l’homophobie est la plus importante. Ainsi, par exemple, si 73,3 % de l’ensemble des élèves, tous types d’établissements confondus, trouvent inacceptable que des personnes insultent des homosexuels, ils ne sont que 64,5 % à penser de même dans les établissements classés ZEP / REP. A l’inverse, 15 % des élèves de ZEP / REP trouvent normal qu’il y ait des personnes qui insultent les homosexuels, contre seulement 9,2 % des élèves tous types d’établissements scolaires confondus.

On constate aussi une différence d’opinions face à cette forme de discrimination en fonction du genre des élèves. Ainsi, les filles sont systématiquement plus nombreuses à trouver inacceptable que des personnes insultent des homosexuel(le)s : elles sont 81,4 % à le penser dans l’ensemble, contre 62,4 % pour les garçons.

Cette différence importante d’une vingtaine de points d’écart entre filles et garçons se retrouve dans toutes les situations, quelque soit le type d’établissement. L’homophobie chez les filles varie toutefois en fonction des types d’établissements, la proportion la plus faible se trouvant là encore dans les ZEP / REP, où 76,8 % des filles seulement trouvent inacceptable que des personnes insultent des homosexuels, soit une différence d’environ 5 points par rapport à la moyenne nationale. On remarquera que les écarts de réponses trouvant inacceptable qu’une personne insultent les homosexuel(le)s chez les garçons est beaucoup plus important entre la moyenne nationale (62,4 %) et les établissements classés ZEP / REP (52,8 %), atteignant la dizaine de points, soit le double que chez les filles. Pas de doute, l’homophobie est plus présente chez les garçons, surtout dans les établissements sensibles.

Ces chiffres indiquent bien que le fond du problème est bien un problème de machisme, le sexisme y étant beaucoup plus importants dans les ZEP / REP que partout ailleurs, hélas. L’homophobie est donc bien le résultat à l’origine d’un problème de l’image de l’homme et de la virilité qui se construit par le rejet de ce qui est perçu comme assimilable à l’autre sexe.

C / Les temps de l’homophobie en milieu scolaire : l’homophobie n’est pas qu’un phénomène de cours de récréation.

LORSQUE LES ADULTES NE SONT PAS LÀ…

Tout le monde le sait : les insultes les plus fréquentes que se donnent les élèves sont à caractères homophobes. Ainsi fleurissent à tout va dans les cours de récréation et les couloirs lors des pauses des insultes comme « pédé », « enculé », « gouine », souvent précédés d’adjectifs comme « sale » ou « gros ». Bien souvent, ces insultes sont données de manière diffuse, de façon indistincte, dit par n’importe quel profil d’élève à n’importe quel autre profil d’élève. Ce type d’insulte est tellement commun que beaucoup d’élèves les répètent sans pour autant forcément savoir ce que cela signifie, mais en sachant qu’elles font mal, car se sont les insultes les plus mal vécu au sein des établissements. La méconnaissance des conséquences sur le long terme de ce type d’insultes répétées est totalement ignorée la plupart du temps : en règle générale, l’auteur ne pense faire mal que sur l’instant. Mais ces insultes sont aussi employées de manière spécifique contre certains élèves, désignés comme différents, boucs-émissaires, ou même réellement homosexuel ou lesbienne lorsqu’ils sont suspectés ou démasqués. A tort ou à raison d’ailleurs, car du coup, même des jeunes hétérosexuels peuvent être victime d’homophobie parce que leur image ne ressemble pas à l’archétype du genre auquel ils appartiennent que s’en font les auteurs d’agression verbale homophobe. Les moins chanceux se font harcelés, parfois physiquement, le plus souvent loin du regard des adultes, ou dès qu’ils ont le dos tourné, car les auteurs d’actes homophobes ne souhaitent pas généralement que leurs méfaits soient vus ou interrompus par les adultes, sentant instinctivement qu’ils y mettraient à priori fin.

… MAIS AUSSI EN SALLE DE CLASSE

Mais cette hostilité clairement anti-gay ne se limite pas à la cours de récréation, où les élèves sont entre eux. Elle peut s’exprimer aussi en classe, lors de la présence d’adultes, par la réalisation de tags homophobes sur les tables ou les murs, ou tout simplement par le lancement d’une réflexion ou d’une insulte homophobe destinée à un autre élève, voir au professeur. Cela montre ainsi que les comportements homophobes sont tellement banalisées quelles sont alors considérées comme tout à fait normal, au point que des élèves pensent que l’adulte les cautionnera (sauf bien sûr lorsque c’est l’adulte lui-même qui est directement visé). Le pire, c’est que c’est parfois le cas. En effet, certains adultes, dans une proportion indéfinissable, ne réagissent pas ou que très mollement face à un élève qui lance une insulte homophobe, soit par manque de sensibilisation (mais non, c’est rien, c’est comme çà que cela se passe entre jeunes, il n’y a rien d’inquiétant à cela…), soit par conviction personnelle (les profs aussi peuvent être homophobes et partager les opinions des élèves insulteurs, ou penser que c’est à l’élève de se défendre ou de ne pas répliquer…), soit par manque de formation (comment réagir face à une insulte homophobe à un élève, sans faire un discours moralisateur qui est bien inefficace ; et puis quoi dire de toute façon ? ), voir par instinct de survie (plutôt lui que moi)...

Voici un petit florilège non exhaustif de comportements homophobes en classe, classés par disciplines.

EN EDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE (EPS).

Les cours d’EPS sont clairement parmi ceux où s’expriment le plus facilement l’homophobie à l’école. A tel point que l’on pourrait presque, même si en fait cela est probablement abusif et non conforme à la réalité par son systématisme, parler d’expérience collective d’une homophobie en cours de sport, d’une étape de la vie comme l’est le coming-out (fait de révéler volontairement son homosexualité) par exemple. C’est ainsi que le présente en tout cas le magazine Têtu, dans un article intitulé « Le vestiaire de la peur », et désigné sur la couverture dans la manchette « Sport à l’école : cauchemar d’homos » (Têtu n° 152, février 2010, pp. 102-103).

Cela s’explique par un cadre plus libre où les interactions entre élèves sont particulièrement dynamiques dans ces cours, mais aussi par la pratique d’une activité où les garçons les plus machos expriment ainsi leur masculinité et leur virilité par leurs performances sportives et leurs aptitudes à mener un leadership pour mener et diriger un groupe, symboles même de la puissance et de la popularité, objets de convoitise pour tout adolescent en pleine construction identitaire masculine.

L’homophobie s’exprime particulièrement lors des séances de sports collectifs.

C’est pour cela que l’homophobie s’exprime particulièrement lors des phases de jeux collectifs. Elle frappe tous ceux qui sont considérés comme différents, étranges, non conforme à l’idée que se fait le collectif de la masculinité, et frappe particulièrement les plus inaptes aux sports collectifs, car dans la tête des élèves auteurs d’actes homophobes, nul en sport égale « tapette ».

Elle commence d’abord par de l’ostracisme, lors de la constitution des équipes, généralement dévolue aux élèves eux-mêmes. L’expérience particulièrement douloureuse d’être choisi en dernier montre une forme de rejet de la part des leaders de la classe qui constituent quasi-invariablement les équipes. Sur le terrain lui-même, particulièrement au handball et au football, l’élève peut être mis à l’écart, exclu du jeu collectif afin de ne pas lui donner la balle, voir même positionner sur une partie du terrain où les autres seront sûrs à ne pas avoir à interagir avec lui : en défense, dans les buts, voir même derrière les buts...

Ensuite, l’homophobie se poursuit par des réflexions et des insultes à caractères homophobes en pleine séance d’EPS. Elles fusent en général pour rabaisser un élève, ou pour continuer à stigmatiser l’élève tête de turc. Les objectifs de l’auteur selon les deux situations ne recourent pas aux mêmes problématiques. Dans le premier cas, il s’agit de s’en prendre personnellement à un autre élève, soit parce qu’il plombe l’équipe par ses performances médiocres, soit parce qu’au contraire son jeu le place en position de rival, qu’il s’agit alors de tenter de rabaisser par l’insulte homophobe pour que l’auteur conserve sa supériorité par rapport à l’autre. Dans le deuxième cas, il s’agit là plutôt par cette attaque verbale gratuite de signifier au reste du groupe qu’il est le leader, car en exprimant à voix haute son opinion, il entend obtenir le soutien tacite ou actif des autres personnes du groupe.

Voici, à titre d’illustration, trois exemples d’homophobie en cours d’EPS, les deux premiers étant relevés dans un document de travail et de réflexion intitulé « Comment lutter contre le sexisme et l’homophobie en cours d’EPS? Constats, analyses et propositions didactiques » réalisé par des enseignants de l’académie d’Amien (K. Lainé, C. Patinet, O. Quintane, « Comment lutter contre le sexisme et l’homophobie en cours d’EPS ? Constats, analyses et propositions didactiques - Groupe de réflexion EPS « Les filles- les garçons- la mixité » « - Académie d’Amiens), le troisième étant relevé dans l’article de Têtu déjà cité ci-dessus.

- « classe de CAP mécanique LP de notre académie ( 2003) - garçons uniquement. Lors du match l’une des 2 équipes se fait encaisser plusieurs essais. Il s’en suit un jeu avec 3 cravatages en 5mn, et un jeu où les élèves refusent le contact avec l’autre et en ponctuant les actions de : « espèce de tapette »

L’enseignant n’arrête pas le cours ».

- « Autre exemple: 2ème séance de danse en 6ème dans une classe « ordinaire »

Lors de la mise en place du spectacle, 2 garçons veulent passer en premier. L’enseignant annonce alors: « Allez-y les garçons! »

Un élève spectateur, commente tout haut: « enfin plutôt les filles! »

L’enseignant qui avait pourtant demandé un grand respect n’intervient pas ni pendant, ni après le cours. »

- « En première, j’étais harcelé par trois ou quatre garçons (…), on m’insultait, encore et toujours… (…). Il n’y avait jamais eu de menaces physiques. C’était psychologique. Les quatre heures de sport hebdomadaires était infernales. Un jour, en rentrant dans le gymnase, j’ai vu inscrit sur le tableau : « Robin a le sida ». J’étais désespéré. J’avais envie de me tirer une balle dans la tête. Quelques élèves me défendaient. Le professeur ou l’encadrement, eux, ne comprenaient pas ou ne voulaient pas voir la réalité en face. » (E. R.)

Dans ces témoignages se voit aussi le rôle du professeur, qui peut encourager la continuation de ces actes homophobes s’il reste inactif. Tous n’agissent pas ainsi, mais il est impossible d’établir des proportions statistiques sur qui réagit ou non. Une telle inaction, probablement souvent issu dans une volonté de ne pas faire de vague dans le groupe-classe, ne fait en tout cas que perpétuer la construction d’une masculinité sur le rejet de la féminité et de ses assimilés, ce qui n’est pas concordant avec l’un des principaux objectifs de l’école qui est d’apprendre aux élèves à vivre ensemble dans un respect mutuel...

L’homophobie dans les vestiaires.

Les brimades, faites souvent de manières collectives, peuvent s’en prendre aux affaires de la victime qui peuvent être cachées, éparpillées, transformées en ballon, etc… Le but ici est de s’amuser aux dépends de la victime. Ces jeux se font souvent de manière collective, les suiveurs pouvant trouver cela drôle, mais pouvant trouver aussi l’avantage que cela ne soit pas eux qui subissent cela puisque c’est quelqu’un d’autre qui sert de bouc-émissaire. Elles peuvent aussi s’en prendre directement physiquement par la victime, même si cela n’est pas le cas le plus courant. Les agressions continuelles se font alors sous le prétexte d’un jeu, comme celui de faire claquer sa serviette sur la victime. Lorsque plusieurs personnes s’y mettent ensemble, cela est plutôt douloureux.

L’homophobie prend aussi la forme de réflexions ou de agressions verbales, de type « tu t’es trompé de vestiaires », ou « t’as vu comment elle me regarde, la tapette ? », etc… Ces réflexions ont une volonté d’ostracisme, de rejet de la personne qui n’est pas considérée comme faisant parti du groupe des hommes.

Dans ces conditions, il n’est donc pas rare que les victimes préfèrent aller le plus tôt ou le tard possible dans les vestiaires et partir très rapidement pour ne pas être dans la pièce en même temps que ses bourreaux….

EN HISTOIRE

En histoire, l’homophobie peut s’exprimer lors de l’étude de textes historiques qui pourtant n’ont rien à voir avec l’homosexualité, mais qui y font penser chez les élèves, suite à des malentendus culturels et historiques.

La société féodale avec l’étude de la cérémonie de l’hommage (classe de 5ème)

Un premier exemple est l’étude de la cérémonie de l’hommage au Moyen Age. La cérémonie de l’hommage, ciment de la société féodale, est la cérémonie au cours de laquelle un chevalier jure fidélité à un seigneur pour devenir son vassal. Pour résumer, le chevalier jure fidélité à son seigneur pour le servir et le conseiller, et le seigneur en retour lui fournit protection et un fief, c'est-à-dire des terres, ou plus rarement une rétribution, pour subvenir à ses besoins, notamment pour entretenir ses armes et sa monture. Cette cérémonie est étudiée à partir de textes et de miniatures, présents dans tous les manuels. Ceux-ci utilisent tous le même extrait d’un texte historique que nous reproduisons ici :

« Les vassaux du comte de Flandre firent l’hommage de la façon suivante : le comte de Flandre demanda au futur vassal s’il voulait devenir son homme sans réserve, et celui-ci répondit : « Je le veux » ; puis ses mains étant jointes dans celles du comte qui les étreignit, ils s’allièrent par un baiser. En second lieu, celui qui avait fait hommage engagea sa foi en ces termes : « Je promets d’être fidèle à partir de cet instant au comte Guillaume sans tromperie ». Il jura cela sur la relique des saints. Ensuite, le comte donna les investitures (= un fief) à tous ceux qui lui avaient fait hommage par serment ».

Galbert de Bruges, Histoire du meurtre de Charles le Bon, comte de Flandre, 1127.

Si vous avez bien compris le texte, il informe des étapes de la cérémonie : le vassal met les mains dans celles de son seigneur, les deux personnes s’allient par un baiser, le vassal prononce son serment de fidélité à son seigneur, puis le seigneur remet un fief à son vassal.

Lorsque les élèves lisent seuls le texte, il n’y a aucune réaction de leur part, car en règle générale ils ne comprennent pas la phrase « ils s’allièrent par un baiser », et ils ne s’imaginent absolument pas qu’ils puissent s’embrasser, car cela est beaucoup trop loin de leur univers culturel et de leur conception des relations entre hommes et du serment. Mais si vous récapitulez les étapes de la cérémonie avec eux, ils se rendent compte alors qu’il y a un baiser entre deux hommes, et là, les réactions sont invariablement des propos homophobes. Ils se demandent automatiquement s’ils sont homosexuels parmi les cris de surprise, voir de dégout et de haut le cœur de certains. Vous perdez plusieurs minutes de cours pour calmer la classe et clarifier les choses.

Bien évidemment, vous l’avez compris, ce texte n’évoque pas du tout l’homosexualité, mais les élèves y pensent à cause de cette histoire de baiser. Car pour eux, dans leur univers culturel contemporain, un baiser est un signe d’affection et d’amour : il est donc logique pour eux que deux hommes qui s’embrassent expriment leur amour réciproque. Sauf que cela se passe au Moyen Age, époque où le baiser n’a pas forcément la même signification. Le plus souvent, le baiser entre hommes sur la bouche constituait un signe d’amitié, de réciprocité et d’égalité, et était une manifestation d’une alliance, surtout lorsqu’il était fait en public, pour que tout le monde sache qu’un lien de féodalité était ainsi manifesté. Ce baiser, manifestation d’une société clairement homosociale à cette époque (voir à ce sujet le livre « L’invention de la culture hétérosexuelle » de Louis-Georges Tin, parut en 2008 aux éditions Autrement), offre ainsi un décalage des mentalités qui perturbe la vision des élèves sur sa signification, conduisant à une méprise de son sens.

Ce malentendu culturel explique surement la politique des éditeurs de manuels scolaires pour les illustrations de la cérémonie de l’hommage. Immanquablement, chaque manuel reproduit au moins une miniature montrant soit le vassal et son seigneur se joindre les mains, soit le seigneur donnant un fief à son vassal. Mais aucune trace de miniature représentant l’étape du baiser, probablement pour ne pas mettre le professeur en difficulté devant le débordement quasi inévitable des élèves. Pourtant, ces miniatures existent : elles arrivent en première page sur Google image lorsque l’on tape les mots clé « cérémonie de l’hommage ». Mais l’hypocrisie va plus loin, puisque l’absence de cette étape du baiser se retrouve aussi dans les exercices.

Ainsi, par exemple, dans le livre Hatier (Histoire géographie 5ème – édition 2005, p. 120), l’éditeur propose comme exercice de retrouver les différentes étapes de la cérémonie de l’hommage en montrant trois images que l’élève devra nommer : la première image montre le seigneur et le chevalier se tenir les mains, la seconde image montre le vassal faire un serment sur la Bible, et la troisième image montre le seigneur donner un fief au vassal. Nulle trace de l’étape du baiser.

Encore moins bien chez Bordas (Histoire géographie 5ème - édition 2005, p. 116), où on demande de reconstituer l’ordre des événements de la cérémonie de l’hommage en recopiant les cinq phrases suivantes dans le bon ordre : le seigneur lui demande s’il veut « devenir son homme » ; le seigneur lui donne une motte de terre qui représente le fief ; le seigneur prend les mains du vassal dans les siennes ; le vassal jure obéissance ; le vassal s’agenouille devant le seigneur.

Pire chez l’éditeur Belin (Histoire géographie 5ème - édition 2005, p. 115), où on propose de mettre en scène de façon théâtrale la féodalité en reconstituant une scène sous forme de jeu de rôle. L’éditeur propose aux élèves comme première étape préparatoire de se renseigner sur la cérémonie à l’aide des documents du livre pour rédiger le scénario et les dialogues et repérer les gestes et postures des personnages. Puis, en seconde étape, l’éditeur propose aux élèves de se répartir les rôles, et ensuite de repérer « les quatre moments importants de la scène (gestes et dialogue) : l’hommage proprement dit, l’accolade, le serment de fidélité du vassal, et l’acceptation de l’engagement par le seigneur et la remise du fief. »

Bref, en dehors du texte de Galbert de Bruges, le baiser passe totalement à la trappe, aussi bien dans les parties cours que les exercices des livres, pour probablement éviter tout débordement. Cela arrange bien les professeurs, qui la majorité du temps éludent cette étape. C’est donc entièrement à l’appréciation du professeur que l’on passe un peu de temps sur l’explication du baiser. Cette « adaptation » de la réalité historique dans un contexte de société plus ou moins homophobe se fait donc au détriment de la démarche de reconstitution et d’explication contextuelle historiques.

Ces problèmes d’irruption possible de l’homophobie dans l’étude de la cérémonie de l’hommage a toutefois visiblement été remarqué chez certains éditeurs de manuels qui, à l’occasion des changements de programmes en 2010-2011, ont modifié la façon d’aborder le sujet.

Ainsi, chez Nathan (Histoire géographie 5ème – édition 2010, p. 53), le texte de Galbert de Bruges est tout simplement remanié, pour transformer le baiser dans le texte en accolade, définit comme une étreinte.

Chez Magnard (Histoire géographie 5ème – édition 2010, p. 51), le texte a tout simplement été remplacé par celui d’un extrait du livre d’un historien (Buffière F., Ce tant rude Gévaudan, Editions SLSA Lozère, 1985) qui met l’accent sur les objectifs et les conséquences de la féodalité, tout en éludant la cérémonie en elle-même.

Censure ? Certaine chez le premier. Pas sûr chez le second, qui permet de plus axer le document sur les droits et devoirs des seigneurs et chevaliers, qui ont quand même la base de la leçon…

La monarchie absolue avec l’étude du tableau de Louis XIV en costume de sacre (en classe de 4ème jusqu’en 2010/2011, en classe de 5ème dès 2010-2011)

Un second exemple est l’étude du tableau « Louis XIV en costume de sacre » de Hyacinthe Rigaud, peint en 1701. Il est présent dans tous les manuels de 4ème (et de 5ème dès 2010 / 2011 avec la refonte des programmes) car il illustre à merveille la monarchie absolue française, Louis XIV étant représenté avec ses insignes du pouvoir, montrant son pouvoir absolu de droit divin. Là encore, aucune allusion de près ou de loin à l’homosexualité. Mais l’homophobie de certains élèves se manifeste tout de même assez régulièrement à la vue de ce tableau. Pourquoi ? Parce que l’on voit Louis XIV en collant, sur des chaussures à talonnettes, dans une posture de danse. Il faut savoir en effet que Rigaud a représenté pour flatter le roi les jambes qu’il avait à ses vingt ans, dans une posture évoquant l’art qu’affectionnait particulièrement le roi : Hyacinthe Rigaud les mettait donc en valeur. Mais pour certains élèves, cette posture est équivoque, car elle semble pour eux efféminée. Et comme en plus il y a aussi un malentendu sur les collants et les chaussures, suite à des différences de valeurs et de modes vestimentaires entre les temps modernes et l’époque actuelle, on a donc droit très régulièrement à des rires et des remarques disant que Louis XIV fait ou est pédé. Au professeur bien évidemment de démentir, et s’il en a le courage d’expliquer. De toute façon, quoique fasse le professeur, là encore le cours sera interrompu suite à des remarques homophobes d’élèves.

La Solution Finale (3ème, 1ère) – étude d’un camp de concentration et d’extermination nazi.

Durant la période 1933-1945, la dictature totalitaire nazie a envoyé des millions de personnes dans les camps de concentration, avant de créer des camps d’extermination dès 1942 ans l’optique de mettre la Solution Finale contre les Juifs. Si les professeurs insistent sur l’Holocauste, de par sa spécificité et son ampleur, comme le demande de toute façon les instructions officielles, beaucoup de professeurs parlent aussi des autres prisonniers ou condamnés envoyés dans les camps : les triangles rouges (les prisonniers politiques), les triangles verts (les criminels, les voleurs…), les triangles bleus (les apatrides), les triangles violets (les témoins de Jéhovah), les triangles roses (les homosexuels), les triangles noirs (les asociaux). Il est difficilement quantifiable toutefois de savoir combien oublient ou non d’évoquer les triangles roses destinés aux homosexuels envoyés dans les camps, dans la liste de tous les parias du régime hitlérien.

Les réactions des élèves à cette évocation sont rarement négatives. Peut-être un ou deux poufs, relativement discrets, mais rarement suivi. Logique : on leur montre des images et des films des camps, des salles de douche lâchant le zyklon B, des fours crématoires, des cadavres empilés dans les fosses communes à la fin de la guerre... Cela les refroidit suffisamment pour qu’ils se passent de commentaires homophobes, les homosexuels, dans ce contexte historique, n’étant qu’une catégorie parmi d’autres.

EN GEOGRAPHIE

Le développement en Afrique / Le développement durable et la santé avec l’étude du cas du sida (classe de 5ème)

Dans l’ancien programme en vigueur jusqu’en 2009/2010, même si on ne veut pas aborder une vision catastrophique du développement en Afrique, force est de constater qu’il est difficile de ne pas parler des entraves au développement, que l’on appelle souvent les « plaies » de l’Afrique, à savoir les famines, les conflits et la pandémie du sida. En effet, le continent africain est particulièrement touchée par cette maladie, où beaucoup de pays de l’Afrique australe ont une population fortement touchées, dépassant les 15 % de contaminés. Rarement, à l’évocation du sida, on peut entendre que c’est une maladie d’homosexuels dans la bouche d’un élève. Le fait que la maladie touche tout le monde est au moins intégré dans leurs têtes. Il en sera à priori de même dans le nouveau programme sur le développement durable et la santé, où la place de l’Afrique dans la pandémie de sida pose les mêmes problématiques.

Le développement durable et la croissance de la population : l’étude de cas de la Chine (classe de 5ème et de 2nde)

En étudiant ce pays, les élèves apprennent que la Chine a adopté une politique sévère de contrôle des naissances en limitant le nombre d’enfants par famille à un en ville et à deux à la campagne. Au départ, la politique de l’enfant unique était stricte, mais comme les autorités se rendaient compte qu’il naissait beaucoup plus de garçons que de filles, cela ne pouvait que signifier que les familles provoquaient des infanticides ou des avortements sélectifs car leur préférence allait pour un garçon. D’où la permission dans les campagnes d’avoir une chance supplémentaire pour avoir un enfant mâle. Les élèves sont toujours fascinés par cette politique de l’enfant unique. Mais si jamais vous rajoutez ce que ne disent pas forcément les livres de 5ème, à savoir que cela a provoqué un fort déséquilibre entre le nombre de garçons et de filles, ces premiers devenant beaucoup plus nombreux que les seconds, et que donc cela provoque à terme un très grand nombre d’hommes aujourd’hui obligés d’être célibataires par manque de compagnes disponibles, quasi invariablement, on a droit à la remarque d’un élève au moins disant qu’ils n’ont qu’à devenir homo. Sans être véritablement une remarque homophobe, elle traduit en tout cas une forte ignorance sur l’homosexualité, puisqu’elle est abordée alors ici comme un choix délibéré : on devient homo quand on veut. Mais si on leur dit : « et toi, tu as choisi d’être hétéro ? », invariablement ils répondent non. Cette anecdote illustre donc les préjugés persistants dans les mentalités de nombreux élèves.

EN EDUCATION CIVIQUE

Les discriminations (5ème) ou les droits des citoyens (4ème) – étude de cas de l’homophobie en éducation civique.

Peu de professeurs abordent cette étude de cas pour étudier les discriminations avec les élèves, et ceci pour plusieurs raisons. La première est que le programme officiel en éducation civique de la période 1997-2010 ne le citait pas comme exemple précis à l’inverse du racisme, du sexisme ou de l’handiphobie. Les points de suspension derrière cette liste le permettaient toutefois, selon la liberté pédagogique du professeur.

Encore faut-il que le professeur y pense de lui-même, et surtout qu’il ait les outils pour le faire. Or, non seulement la formation des enseignants est pauvre sur le sujet, mais, et c’est la deuxième raison, les manuels scolaires n’abordaient qu’exceptionnellement le sujet, même si de timides progrès ont été réalisés dans les nouveaux livres en éducation civique des éditions 2010 qui accompagnent la mise en application des nouveaux programmes. En l’absence de document disponible sur le livre, et sans formation ou instructions pour savoir comment aborder le sujet, en règle générale, le sujet passe à la trappe.

Mais si le sujet est abordé, que cela soit momentanément ou dans une réelle étude de cas, les réactions des élèves en règle générale ne tardent pas. Et elles peuvent être gratinées, voir d’une grande violence.

Etant donné qu’un tel sujet de société, de circonstance en éducation civique, relève du vécu des élèves et de leur ressenti de la société et de l’homosexualité, il n’est pas rare d’entendre alors au départ des réflexions et commentaires homophobes spontanés, sans même qu’on leur ait demandé de prendre la parole, comme « si j’avais un frère / enfant homosexuel, je le tuerai / chasserai de la maison », « si j’étais gay, je me tuerai », « c’est pas normal », « c’est dégoutant », etc., le tout au milieu de rires et de cris de dégoûts bien volontairement appuyés…

Ces déclarations hostiles de départ sont en règle générale menées par les leaders de la classe.

Si les leaders sont des garçons, l’effet recherché est bien sûr de voir les autres élèves soutenir leur déclaration par leurs rires ou encouragements provoqués, marquant ainsi leur position de dominant sachant selon eux ce qu’est la masculinité et ce qui ne l’est pas, et marquant aussi leur leadership d’opinion face aux autres réduits à l’état de suiveurs car n’étant pas assez rapides ou inventifs pour dégainer ces réflexions en premier. D’autres garçons se sentent ainsi obligés de rire ostensiblement à la suite de ces propos pour démontrer visiblement devant l’ensemble du groupe-classe, et surtout face aux leaders, qu’ils approuvent cette limite de la masculinité fixée par les réflexions homophobes, afin de montrer qu’ils sont eux aussi de « vrais hommes » et pas des « pédés ».

Si les leaders sont des filles, cas plus rare mais cela existe, leurs intentions sont différentes de celles des garçons : si leurs propos peuvent être tout aussi violents, elles ne sont alors généralement pas dans la recherche d’un leadership de domination du groupe par la provocation ou le rire, ou la recherche d’un modèle du masculin ou du féminin à affirmer. Elles sont plus en majorité dans l’expression verbale de quelque chose qui les choquent ou les dépassent, et ne s’adressent en fait pas aux autres élèves, contrairement aux garçons, mais réellement à l’adulte en face d’eux. Dans ce cas, même si cela peut être ardu et difficile, les filles sont plutôt dans l’argumentation et le débat. Bien souvent, ce sont alors les filles qui sont les plus bercées par la religion qui sont alors les plus virulentes. C’est tout l’inverse des garçons, qui, en général, ne savent plus quoi répondre d’autre que « je ne sais pas » pour expliquer leurs propos homophobes, après avoir épuisé leurs jokers « parce que ce n’est pas normal » et « c’est dégoutant ».

Dans les deux cas, la majorité de la classe reste en tout cas silencieuse sur le sujet, n’intervenant ni pour rire ou défendre ou débattre qui ou quoi que cela soit. Le fait qu’ils ne suivent pas les leaders montrent qu’ils sont assez matures ou détachés pour ne pas se sentir obliger de courtiser le groupe ayant tenu des propos homophobes. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne redoutent pas le regard du groupe : leur silence traduit aussi qu’ils n’osent pas intervenir pour contredire des opinions homophobes, car cela leur ferait prendre le risque d’être assimilé à un homosexuel(le) s’ils contredisaient les propos homophobes. Ainsi, le professeur est souvent bien seul pour amener un débat serein sur le sujet dans un esprit de tolérance et de respect d’autrui, et peut se retrouver en grande difficulté s’il ne maîtrise pas le sujet ou ne dispose pas d’aptitudes pédagogiques pour mener un débat, ou d’outils pour le maîtriser…

EN FRANÇAIS

L’argumentation – sujet de débat sur l’homophobie (4ème, 3ème, lycée) en français.

Les élèves doivent apprendre à argumenter, mais la mise en œuvre en revient à la liberté pédagogique de l’enseignant. Certains professeurs décident alors de prendre le sujet de l’homophobie, car d’une part ils sont sensibilisés à la question, et d’autre part car cela constitue un bon exemple de débat argumentatif, où il faut certes exprimer des idées, mais aussi des contre-arguments.

Si les modalités peuvent donc être différentes par rapport à ce qui se fait en éducation civique, les réactions des élèves n’y sont pas vraiment différentes face au débat. Voir donc plus haut.

La poésie (tout niveaux, mais surtout 5ème, 4ème et lycée) – étude d’un poème d’Arthur Rimbaud ou de Paul Verlaine.

Qui n’a pas étudié au moins une fois au cours de sa scolarité un poème de Rimbaud ou de Verlaine ? Leurs œuvres respectives font partis du patrimoine de la littérature poétique française, ce qui explique l’étude de leurs œuvres à l’école. Mais beaucoup de professeurs éludent le fait qu’ils étaient homosexuels, et même amants, par crainte de débordement de la part des élèves. Peur fantasque ? Pas forcément : il est déjà arrivé que des élèves, en découvrant l’homosexualité de l’auteur, disent alors à voix haute qu’ils refusent de lire ou de continuer à étudier le poème. Ce choix, généralement exprimé par un garçon, traduit en grande partie sa peur d’être assimilé à un homosexuel parce qu’il s’intéresserait à, ou même ne serait qu’approcherait, quelque chose fait par un homosexuel. Le rejet traduit ainsi une volonté de préservation de son identité masculine et de sa réputation auprès des autres. Soyons toutefois assez clair en replaçant ce type d’anecdotes dans leur contexte : bien souvent, ce type de déclaration est aussi bien souvent réalisé par un élève plutôt fâché avec l’école et le travail scolaire, et qui saisit bien souvent ainsi une excuse pour ne pas travailler. De plus, les déclarations ne sont pas forcément suivies d’actes…

Les lectures analytique et cursive (tous niveaux) – lecture d’une œuvre traitant plus ou moins d’homosexualité.

Les élèves doivent accomplir de la lecture analytique. Les œuvres de la littérature classique sont nommées pour cette partie du programme. On pourra penser en premier lieu aux études du récit de Gilgamesh, ou des extraits de la Bible, ou de l’Iliade d’Homère par exemple en 6ème. Evoquer les liaisons entre Gilgamesh et Enkiddu dans le premier, entre David et Jonathan dans le second, et entre Achille et Patrocle dans le troisième, surprend toujours les élèves, qui doivent décrypter les textes qui n’utilisent pas forcément un langage ou un style familier aisé d’accès pour eux. D’autant plus que l’image qu’ils connaissent déjà d’eux, par leur éducation religieuse ou le cinéma, brouille bien souvent les pistes. Cela n’est donc décrypté que si l’enseignant décide d’analyser en classe expressément des extraits évoquant leurs amours. Certains élèves réagissent alors en rigolant, ou en faisant des beurks pour marquer là encore leur masculinité. Cela ne va en règle général pas plus loin, peut-être tout simplement parce qu’ils ont du mal à y croire.

Les élèves doivent aussi faire de la lecture cursive : le plus souvent, on leur donne alors de la lecture pour la maison. Le choix des œuvres est de la libre appréciation du professeur, qui peut piocher dans la collection croissante de littérature jeunesse. Certains professeurs choisissent alors volontairement de faire lire aux élèves un livre jeunesse qui aborde le sujet de l’homosexualité, dont on peut trouver une liste exhaustive sur le site internet HomoEdu.

Les réactions des élèves sont dans ce cas présent intéressants, car elles diffèrent des autres du fait qu’elles ne peuvent à priori s’exprimer à l’oral en cours, puisque justement cette lecture cursive et le travail de fiche de lecture se font en dehors des heures de cours. L’homophobie ne s’exprime donc pas de la même façon, les élèves découvrant l’œuvre à la maison, et n’ayant donc pas à subir le regard des autres. Tout se fait donc ici à l’écrit, dans leur fiche de lecture.

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple des réactions d’une classe de 3ème à la lecture de « Maïté coiffure » de Marie-Aude Murail, que Lionel Labrosse expose sur le site HomoEdu. Mais prenons d’abord connaissance de l’histoire du livre.

« Maïté coiffure » raconte l’histoire d’un jeune garçon en rupture scolaire, qui finit par se passionner pour le métier de coiffeur, et parvient à apprendre le métier dans un salon de coiffure de quartier où le personnel s’est pris d’affection pour lui. C’est dans ce salon qu’il rencontre Fifi, garçon coiffeur homosexuel, qui va lui apprendre le métier.

L’enjeu du questionnaire de lecture est de voir si les lecteurs ont bien compris l’histoire et cerné les personnages. On demande donc logiquement de définir les différents personnages, dont Fifi.

Les plus homophobes s’exprimeront en fait par leur silence à l’écrit, en éludant, volontairement ou non, d’écrire que le personnage est homosexuel. Ne pas écrire le mot homosexuel ou gay traduit une aversion pour le mot et ce qu’il représente, ce qui fait que même l’écrire ou le prononcer face à soi-même seulement devient gênant ou désagréable pour ces élèves homophobes, comme si l’écrire « diminuait » leur propre masculinité. A l’oral, ils se seraient probablement exprimés, puisqu’ils auraient eut pour enjeux de définir et d’affirmer leur masculinité face aux autres, en exprimant bien fort leur dégout, afin de bien montrer aux autres qu’ils ne sont pas comme le personnage de Fifi, mais « des hommes, des vrais ». Mais puisqu’ils sont à l’écrit, il n’y a rien à prouver aux autres, et encore moins au professeur, ce qui fait qu’aucune réflexion négative n’est écrite dans la classe sur le personnage. Lionel Labrosse fait toutefois remarquer qu’il est possible que certains, au niveau faible, n’aient pas compris ou voulu comprendre l’homosexualité du personnage…

Ainsi, selon cet exemple, la lecture individuelle permet d’aborder le sujet en isolant les homophobes, ce qui limite leurs interactions et donc leurs réactions homophobes, et accroit leur silence.

La grammaire (tous niveaux) – Les homonymes et homophones

Cela parait tout bête, mais bien souvent des élèves rigolent aux débuts de ces leçons, parce que dans homonyme ou homophone, il y a « homo », qui fait tout de suite penser à « homosexuel ». Ces rires montrent que le terme homo n’est pas pour eux très bien considéré…

EN SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE (SVT)

Cette discipline a une place un peu à part dans cette étude. Car si les autres matières voient s’exprimer de la part des élèves une homophobie assez caractérisée, il n’en est pas vraiment de même ici. Ou disons qu’elle ne s’exprime pas de la même façon. La spécificité de la matière fait en effet que les élèves ne sont plus confrontés à aborder le thème de l’homosexualité dans son aspect social, mais plutôt dans son aspect biologique. Or, si l’homosexualité est dans l’inconscient collectif des élèves encore fortement rejetée d’un point de vue social, ce qui explique la virulence des propos dans les autres matières, l’homosexualité est surtout un gros point d’interrogation pour les élèves d’un point de vue biologique. Dès lors, le rejet cède la place à l’interrogation. Le beurk est remplacé dans la bouche des élèves homophobes par « pourquoi ? ». Et de manière active. En effet, les programmes de SVT n’abordent nullement le thème de l’homosexualité. Mais en étudiant la reproduction ou le corps humain, le sujet est invariablement abordé par les élèves.

La reproduction chez les animaux. (6ème et 5ème)

Ce chapitre étudie la diversité des formes de reproduction dans le monde animal. Et force est de constater leur étonnement face à certaines espèces végétales ou animales. Ainsi, chez les escargots par exemple, ils apprennent la notion d’hermaphrodisme : l’animal possède en effet à la fois les organes reproducteurs mâles et femelles. Sauf que pour le coup des élèves confondent ou assimilent cet état physiologique avec l’homosexualité. De même, l’autosexualité possible chez les plantes hermaphrodites comme la rose par une pollinisation autogame (le pollen féconde les organes femelles d'une même fleur ou d'autres fleurs d'une même plante) est aussi apparentée dans la tête des élèves à de l’homosexualité. Leur jeunesse explique ces interrogations, car pour eux la sexualité et la reproduction sont encore des choses assez floues. Quoiqu’il en soit, souvent les élèves demandent s’il existe des animaux homosexuels, et sont souvent surpris lorsqu’on leur dit que oui. Il faut dire que beaucoup ont entendu dire que l’homosexualité n’est pas naturelle, alors forcément, lorsqu’on leur montre que cela existe aussi dans la nature… Les choses s’améliorent en grandissant, mais d’autres interrogations apparaissent alors…

image 22, 23

La puberté. (4ème)

La physiologie du corps se transforme à l’adolescence sous l’effet des hormones. S’il n’y avait pas les hormones sexuelles, testostérones et œstrogènes, les garçons n’auraient pas une voie qui mue et un plus gros pénis, les filles n’auraient pas de poitrine, et aucun n’auraient plus de poils. Pour illustrer ce propos, le professeur peut alors parler des castrats, jeunes garçons dont on a fit une ablation des testicules pour qu’ils conservent une voix aigue. Cet exemple sert à démontrer que les hormonent conditionnent la formation physiologique sexuelle. De par ce fait, des questions se posent alors dans la bouche de certains élèves, qui demandent alors qu’elles sont les origines de l’homosexualité, et donc comment devient-on homosexuel. Or, dans leur esprit, elle n’est pas naturelle. Ils se demandent donc si les hormones n’agiraient pas à l’adolescence pour transformer quelqu’un en homosexuel. Raté, mauvaise conclusion.

La reproduction humaine et la génétique. (4ème et 3ème)

Une espèce est un ensemble d’être vivants capable de se reproduire entre eux et d’avoir des descendants féconds. A titre d’exemples, on comprendra qu’une girafe et un lion sont bien deux espèces différentes car ils ne peuvent se reproduire, et qu’un cheval et un âne sont deux aussi deux espèces différentes, car s’ils peuvent se produire, leur descendant - le mulet - ne peut se reproduire. Mais il y a toujours des élèves pour aller chercher la petite bête dans leurs interrogations sur l’homosexualité. Ainsi, lors du chapitre sur la reproduction humaine, en s’appropriant cette définition de la notion d’espèce, certains font remarquer que les homosexuels ne peuvent pas faire d’enfant en s’accouplant entre eux. D’où l’interrogation : les homosexuels font-ils partis de l’espace humaine ? Remarquons que l’interrogation porte toujours sur un couple d’hommes, jamais de femmes. Cette réflexion, assez consternante au premier abord, s’explique en fait assez logiquement, car il s’agit là en fait de la part de l’élève de la confusion entre différentes notions.

Tout d’abord, il y a une méprise sur les finalités de la sexualité, ne distinguant pas encore formellement dans leur esprit la sexualité comme acte de transmission de la vie, reproductif, et la sexualité comme acte social et de plaisir. Quand on leur dit que les hommes et les femmes ne font pas l’amour uniquement dans le but d’avoir un enfant, on leur rappelle une vérité un peu occultée par moment dans leur esprit.

Ensuite, il y a une méprise entre homosexualité et stérilité, entre la sexualité d’un couple homosexuel et la capacité de ses membres de pouvoir se reproduire biologiquement. Dans leur tête, un homme qui couche avec un homme ne peut pas avoir d’enfant. Logique si on se concentre seulement sur l’acte sexuel homosexuel (rappelons qu’ils ne se posent aucune question sur les couples de lesbiennes). Mais cela leur sort complètement de l’esprit que cela n’empêche pas les spermatozoïdes des membres de ce couple de féconder des ovules d’une femme. C’est juste qu’ils ne s’imaginent absolument pas qu’un homosexuel puisse éventuellement avoir une relation sexuelle avec une personne du sexe opposée, ou faire un don de sperme pour une fécondation in-vitro. Bref, pour eux, la sexualité est quelque chose de très rigide. Il suffit alors de leur demander si on devait considérer une femme stérile comme appartenant à l’espèce humaine pour leur faire réaliser leur erreur… S’ils sont plus grands, par exemple en troisième, le rappel du partage de mêmes caractéristiques génétiques (23 paires de chromosomes chez l’espèce humaine) permet d’enfoncer le clou. Encore que cela soulève alors d’autres interrogations…

Quoiqu’il en soit, ce sujet finit bien souvent par faire réagir spontanément des élèves sur le thème de l’adoption par les couples homosexuels. Ce qui n’est pas du tout au programme. Mais leurs interrogations sur la biologie finissent par dériver sur des interrogations sociétales, preuve qu’ils se sentent concernés par ce débat.

D / Les conséquences de l’homophobie sur les homosexuel(le)s en milieu scolaire.

Quelque soient les auteurs d’actes homophobes et d’où qu’ils viennent et quand ils agissent, les victimes d’homophobie en milieu scolaire n’en ressortent pas forcément indemnes, d’autant que les conséquences peuvent être cumulables.

Un mal-être indéniable.

Selon le rapport de SOS Homophobie, on observe ainsi des conséquences psychologiques, qui vont de la dévalorisation de soi, conséquences de l’image négative renvoyée par les autres (33 %), au mal-être et à la déprime (35 %), et pouvant aller jusqu’à la dépression avec traitement médical (6 %).

L’homophobie en milieu scolaire a aussi des conséquences sociales dans la vie de la victime. Il y a tout d’abord l’ostracisme, imposé ou choisi : on peut en effet observer un isolement ou un repli de la victime (32 %). Pour éviter cet ostracisme, la stratégie de survie la plus employée est bien sûr la dissimulation de son homosexualité (30%), où on parle souvent des personnes du sexe opposées de la même façon que ses camarades pour donner le change, voir même sortir avec une personne de sexe opposée afin d’obtenir la plus parfaite des couvertures. Mais cette stratégie n’est pas exempte d’effets psychologiques négatifs, car vivre dans le mensonge n’est guère sain, la peur d’être démasquée pouvant même conduire à la paranoïa et la dépression.

Ainsi tourmentés, les victimes peuvent dès lors percevoir le milieu scolaire comme peu épanouissant, voir répulsif, ou ne pas leur permettre de se concentrer sur leurs études, ce qui peut expliquer des notes en baisse (16 %) ou l’échec scolaire (8 %).

Certains parviennent à se révolter (21 %). Mais contre qui, et avec quelle efficacité, nous ne pouvons le dire au vu de l’enquête, hélas. Cela serait un thème, assurément, à développer dans une prochaine étude de SOS Homophobie, à notre avis.

Des difficultés à vivre de manière épanouie.

Ce mal-être et cette dévalorisation liée à l’homophobie ambiante influe directement sur le comportement psychologique et social des jeunes homosexuels. Cela a été analysé par le québécois Michel Dorais dans son livre « Mort ou Fif » en 2000, « fif » étant un terme péjoratif que l’on pourrait traduire par « pédé » en français. Dans son chapitre 4, il identifie deux profils de jeune homosexuels et quatre scénarios de stratégies mise en place par la jeune personne pour affronter l’homophobie ambiante. L’extrait qui suit a été publié sur internet par Ecoute gai, l’organisme qui a financé cette étude, on peut donc le considérer comme libre de droit.

« Deux profils : les précoces et les tardifs. Chez les jeunes que nous avons rencontrés, deux profils se dessinent : les précoces et les tardifs. Les précoces sont ceux que l’entourage a identifiés en tant qu’homosexuels relativement tôt, c’est-à-dire entre l’âge de 6 à 14 ans. Pour identifier une orientation homosexuelle chez un jeune, son entourage s’appuierait sur des stéréotypes physiques et psychologiques, tels que le fait d’être moins habile dans les sports ou d’avoir des attitudes que l’on associe au féminin. […]

Les précoces ne savent pas comment précisément ils ont commencé à se faire identifier comme homosexuels. Il semble néanmoins que l’école primaire soit un lieu où peut très tôt pointer l’intolérance face à cette différence et par conséquent la prise de conscience de cette dernière. […]

Les tardifs, quant à eux, sont ceux que leur milieu a identifié en tant qu’hétérosexuels et en conformité de genre (un garçon masculin), mais qui se révéleront pourtant homosexuels, généralement à la surprise de leur entourage, vers la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Pour les tardifs, il y a une « sortie » ou révélation publique à faire, en quelque sorte, car leur homosexualité est demeurée cachée aux yeux de leurs proches et de leurs pairs. Cette sortie est cependant longuement précédée puis accompagnée de la peur du rejet. […]

Quatre scénarios

Les précoces et les tardifs développent différentes stratégies de survie que nous avons appelées des scénarios adaptatifs au rejet. Comme nous le verrons, hélas, faute de pouvoir évoluer vers un dénouement positif, la plupart de ces scénarios ont conduit nos répondants à une impasse. Il s’agit des scénarios du parfait garçon, du fif de service, du caméléon et du rebelle. Nous allons maintenant tracer un portrait de chacun.

Le parfait garçon. Le parfait garçon veut répondre aux attentes sociales, qu’il voit comme une injonction. Il veut être aimé. Or, décevoir d’emblée son entourage en se révélant homosexuel ne lui apparaît pas comme la meilleur façon d’être aimé. C’est le garçon qui se veut parfait à tous les égards. La plupart du temps, c’est un tardif, donc insoupçonnable, jusqu’à preuve du contraire, d’avoir des attirances homosexuelles (quitte à passer pour asexué). […]

Le fif de service. Celui que nous appelons le fif de service est toujours un précoce, puisque identifié très tôt comme garçon homosexuel par son entourage. À la maison, dans les lieux publics, à l’école, il est la cible de moqueries, de harcèlement, de violences psychologiques ou physiques. Devant l’inaction des adultes qui l’entourent face à ce qu’il endure, il se sent impuissant face à sa situation et finit parfois par considérer son sort comme une fatalité. […]

Le caméléon. Le caméléon se perçoit tantôt comme un simulateur, tantôt comme un imposteur. Il joue à être ou à se montrer hétérosexuel en dépit de ses fortes attirances homosexuelles. C’est toujours un tardif, c’est-à-dire un jeune dont les attitudes et comportements précédents ne laissent en rien présager une orientation homosexuelle. Le caméléon peut donc jouer un rôle sans trop être inquiété, du moins dans un premier temps, avant que la pression à la conformité et au mensonge étant devenue trop forte, il finisse par ne plus vouloir jouer cette comédie qui l’étouffe. […]

Le rebelle. Nous n’avons identifié que très peu de cas de cette catégorie, car le rebelle est celui qui, refusant l’homophobie, développe une résistance qui le protégera en quelque sorte de la dépression ou des idées suicidaires. […] »

Bref, vous l’aurez bien compris, l’insouciance est rarement de mise, ce qui est plutôt normal à l’adolescence, mais on peut considérer que c’est encore plus difficile pour un jeune homosexuel à cause de l’homophobie ambiante, à la fois à l’école et à la maison où l’adolescent ne peut pas forcément trouver un soutien familial pour affronter cette période, car se condamnant à l’isolement.

Ces profils et stratégies diverses s’expliquent selon le docteur Dorothy Riddle par une homophobie intériorisée graduelle, exposé dans le livre « Vivre ses différences. Comment parler de l’homophobie » (2003) qui accompagne une mallette pédagogique diffusée par l’association Couleurs Gaies pour parler d’homophobie en milieu scolaire :

- étape 1 : la phase du déni de son identité. Je suis attiré par les personnes du même sexe que moi. La société dit que les homos sont anormaux. Je suis normal, donc je ne suis pas homosexuel.

- étape 2 : la phase de l'intégration des complexes. Je sais que je suis homo. La société dit que les homosexuels sont anormaux, donc je suis anormal ; je me déteste.

- étape 3 : la phase du rejet du groupe stigmatisé. Je sais que je suis homo. La société dit que les homosexuels sont anormaux. Je sais que je suis normal, donc je ne suis pas un homosexuel comme les autres. Je déteste les autres homosexuels.

- étape 4 : la phase de l'affirmation de soi. Je sais que je suis homo. Je sais que je suis normal. J'ai compris que la société racontait tout et n'importe quoi au sujet des homosexuels.

Le problème est que certains ne parviennent pas jusqu’à la dernière étape, car ils retournent leurs souffrances envers eux-mêmes…

Des conduites à risques accrues et un enjeu social de sur-risque suicidaire.

Le plus grave est toutefois que face à ce mal-être, la vie des victimes est parfois mise en danger : certains adoptent des conduites à risques (9 %), avec la consommation d’alcool et de stupéfiants notamment ; d’autres ou les mêmes font même des tentatives de suicide (5 %).

Rappelons à cet effet qu’il est désormais prouvé par de multiples études dans différents pays occidentaux que les jeunes homosexuels ont un taux de risque de suicide très supérieur à celui des jeunes hétérosexuels. Depuis quelques années, la statistique de 13 fois plus de probabilité pour une jeune homosexuel de faire une tentative de suicide qu’un jeune hétérosexuel, statistiques issues des travaux du docteur Marc Shelly dans son enquête « Souffrance psychique et conduites à risque » de 2005, a longtemps fait autorité et a été reprise dans les médias (voir par exemple les reportages de France 2 et France 3 consacré au traitement de la marche des fiertés 2008). Ce chiffre doit être désormais revu à la baisse. Selon l’excellent livre « Les minorités sexuelles face au risque suicidaire » édité et diffusé gratuitement par l’INPES en 2010, et disponible en téléchargement légal et gratuit sur leur site, le recoupement des études sur le suicide des homosexuels à travers le monde occidental permet de donner désormais des statistiques plus fiables. « Ainsi, selon les enquêtes, les homme homo/bisexuels ont un rapport de risque de 2 à 7 fois plus grand que les hommes exclusivement hétérosexuels, tandis qui les femmes homo/bisexuelles présentent un rapport de risque de tentative de suicide de 1,4 à 2,5 fois supérieur à celui des femmes exclusivement hétérosexuelles. Les estimations de ces rapports de risque varient en fonction du champ pris en compte (classe d’âge, zone géographique) et de la définition de la population (comportement sexuel, attirances, identité sexuelle). » (pp. 37-38)

Ces chiffres confirment toutefois le sur-risque suicidaire des personnes homosexuelles, et notamment les jeunes. Et la première cause d’explication de cette statistique, c’est justement l’homophobie dont ils sont victimes. Pour en revenir au rapport de SOS Homophobie, difficile toutefois de dire si les hospitalisations (3 %) sont liées à la conséquence d’une agression physique, d’une tentative de suicide ratée, ou la nécessité d’un suivi psychologique plus poussé d’une dépression.

Le constat que peu de chose à l’école permet d’endiguer ces phénomènes.

Face à une telle homophobie, les sondés sont unanimes : l’institution de l’Education Nationale ne fait rien pour combattre cette discrimination. Cela se traduit par une absence de l’évocation de l’homosexualité ou de l’homophobie en classe. L’absence d’incitation de l’institution et le manque de formation des adultes au sein des établissements y sont largement tenues pour responsable de cet état de fait : c’est ce que nous allons voir dans une deuxième partie consacrée aux balbutiements de la lutte contre l’homophobie initiée par l’institution scolaire…

Bibliographie :

Les chiffres et statistiques

- Enquête de SOS Homophobie sur l’homophobie en milieu scolaire (2006) : https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/analyse_enquete_milieu_scolaire.pdf

- Les attitudes à l'égard de la vie en société des élèves en fin d'école primaire et en fin de collège -

Les dossiers évaluations et statistiques - Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance - N°186 juillet 2007

https://media.education.gouv.fr/file/82/4/5824.pdf

Les témoignages

- Dossier Yagg « Paroles de profs homos » - septembre 2010

Paroles de profs homos (1): Histoires d’homophobie « ordinaire » : http://yagg.com/2010/09/07/paroles-de-profs-homos-1-histoires-dhomophobie-ordinaire/

Paroles de profs homos (2): Visible ou pas? : http://yagg.com/2010/09/08/paroles-de-profs-homos-2-visible-ou-pas/

Paroles de profs homos (3): « Lutte contre les discriminations », mais que fait l’Éducation nationale? : http://yagg.com/2010/09/10/paroles-de-profs-homos-3-lutte-contre-les-discriminations-mais-que-fait-leducation-nationale/

- « Le vestiaire de la peur », et désigné sur la couverture dans la manchette « Sport à l’école : cauchemar d’homos » (Têtu n° 152, février 2010, pp. 102-103).

- « Comment lutter contre le sexisme et l’homophobie en cours d’EPS? Constats, analyses et propositions didactiques - Groupe de réflexion EPS « Les filles- les garçons- la mixité », K. Lainé, C. Patinet, O. Quintane, « Comment lutter contre le sexisme et l’homophobie en cours d’EPS ? Constats, analyses et propositions didactiques - Académie d’Amiens.

Version PowerPoint : http://pedagogie.ac-amiens.fr/eps/groupes_acad/IMG/ppt/Comment_lutter_contre_le_sexisme_et_l_homophobie.ppt.

Version HLML : Version html

- « Maïté coiffure » de Marie-Aude Murail, que Lionel Labrosse expose sur le site HomoEdu

http://www.altersexualite.com/spip.php?article70

Les risques de suicide chez les jeunes homosexuels- « Les minorités sexuelles face au risque suicidaire. Acquis des sciences sociales et perspectives », 2010, Beck F., Firdion JM., Legleye S., Schiltz, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), Saint-Denis, 122 p.

http://www.inpes.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1291.pdf

- « Mort ou fif : contextes et mobiles de tentatives de suicide chez des adolescents et jeunes hommes homosexuels ou identifiés comme tels. Et perspectives de prévention », 2000, Dorais Michel, Université Laval, Québec, Canada, 120 pages.

http://www.youth-suicide.com/gay-bisexual/suicide-gai-dorais.htm#resume

un bon résumé du livre fait dans un blog

http://mortoufif.skynetblogs.be/

quelques extraits édités par Gai écoute qui a financé cette étude

http://www.homophobiaday.org/default.aspx?scheme=83

Autres

- Les discriminations se banalisent à l'école, selon un rapport confidentiel – le Monde – 17/08/2010

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/08/17/les-discriminations-se-banalisent-a-l-ecole-selon-un-rapport-confidentiel_1399640_3224.html

- Les débuts de l’affaire Sexion d’assaut en septembre 2010

http://www.tetu.com/actualites/france/homophobie-linterview-scandale-du-groupe-sexion-dassaut-17965

- Les débuts médiatiques du scandale des suicides à répétition chez les jeunes gays aux Etats-Unis en septembre 2010

http://www.tetu.com/actualites/international/etats-unis-harceles-quatre-jeunes-gays-se-sont-suicides-en-septembre-18006

- « L’invention de la culture hétérosexuelle », 2008, Tin Louis-Georges, éditions Autrement.

http://www.autrement.com/ouvrages.php?ouv=2746712041

- Le traitement de la marche des fiertés 2008 à la télévision

http://www.et-alors.net/articles/news/general/453/La_marche_des_fiertes_2008_montree_au_journal_televise.html

- « Vivre ses différences. Comment parler de l’homophobie » (2003)

http://couleurs.gaies.free.fr/mallette.html