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Le bien de son enfant

Par floridjan, le

C’est l’histoire d’un petit garçon qui, ma foi, était plutôt bien dans sa tête, bien dans ses pompes, gentil, sage et confiant, au point qu’à 4 ans, il jacassait comme une pie avec les inconnus pour leur raconter la vie trépidante de sa chienne en peluche et ne craignait pas de partir à l’aventure une bonne heure durant sur la plage, avec le grand père qui le suivait discrètement à son insu et se demandait quand est-ce que ce petit bonhomme aurait enfin l’idée de retourner sur ses pas…

Un petit garçon rêveur, la tête dans les nuages, qui aimait les contes de fée et les histoires de princesse au point qu’il aurait bien aimé en être une. Sans complexe, il se déguisait en Blanche neige, essayait les bijoux de sa mère et se faisait des couettes. Il était heureux comme ça.

Et puis ses parents lui ont gentiment fait comprendre que ce n’était pas un comportement normal pour un garçon et, pour son bien, ils l’ont emmené voir une psy.

Attention, ses parents n’étaient pas des gros réac de droite, oh non ! Communistes militants avant de devenir socialo, cultivés et prônant la tolérance et l'ouverture, le père était informaticien de la première heure, la mère féministe post-soixante-huit et un peu hippie sur les bords, écoutant les rolling stone et Deep purple. Sauf qu’un fils pédé, ça les faisait flipper grave.

Je me souviens de cette psy. Elle était gentille, elle m’écoutait, j’adorai jouer avec ses coussins et construire des maisons avec. Je l’ai vu pendant plusieurs années. Par la suite, mes parents ont dit qu’elle m’avait fait beaucoup de bien. Et c’est vrai : j’ai cessé définitivement de vouloir porter des robes, des couettes et des bijoux. Bon, cela ne m’a pas épargné le fait de me faire régulièrement traiter de pédé au collège parce que j’étais efféminé, maniéré dans ma gestuelle et mes intonations de voix. Mais quand même, cela m’a fait du bien.

Cela m’a fait tellement de bien que de toute mon adolescence, puis ma jeune vie d’adulte, je n’ai pas eu un seul flirt, une seule galoche, pas le moindre commencement de vie amoureuse. Il a fallu que j’attende l’âge de 27 ans pour me décider à flirter avec un mec et avoir une vie sexuelle.

Alors voilà, merci papa, merci maman : j’étais un gamin plutôt épanoui, qui savait ce qu’il aimait et ce qu’il était, et j’ai été cassé dans mon élan, au point d’enfouir au plus profond de moi cette homosexualité dont j’ignorai même l’existence lorsque que naïvement je décidai de me costumer en Blanche-neige pour un goûter déguisé et que j’éclatai de rire après qu’un mec m’ait pris pour une fille. 27 ans de déni, d’occasions manquées, de vide sentimental et amoureux. Vous en avez souffert aussi, de voir votre ainé galérer autant dans sa vie affective, ne jamais ramener de filles à la maison, être encore célibataire à 27 ans sans avoir jamais connu personne. Cela vous a inquiétés, tourmentés. Et au final, l’aveu de mon homosexualité vous a plutôt soulagé qu’autre chose. Il faut dire que durant les années 2000, vous avez fait du chemin, surtout toi maman, qui est allée à Bègues assister au mariage de deux hommes par Noël Mamère. Tu auras fais la gay pride avant moi et, à présent, nous manifestons main dans la main pour le mariage pour tous.

Nous en avons discuté brièvement et vous m’avez dit que, oui, vous regrettez d’avoir emmené votre garçon blanche-neige chez une psy, que vous ne l’auriez pas fait si vous aviez su que ça le condamnait à 20 ans de désert amoureux. C’est pas grave, il ne vous en veut pas. Avec le temps, il a retrouvé son chemin. L’enfer est pavé de bonnes intentions.