La mue de l’escargot-maçon
Par Mizc, le
1. De l’utilité de la métaphore pour brasser l’air et faire écran de fumée
Dans la vie, il y a les Don Quichotte et puis il y a les Moulins. Il y a ceux qui s’agitent pour défendre des causes à l’occasion ridicules, qu’on regarde les yeux ébahis car il n’y a qu’eux qui ne réalisent pas leur propre bêtise, et il y a ceux qui passent leur vie à battre l’air pour produire, ou parfois ne rien produire, se demandant encore quelle est leur place entre ciel et Terre. Tournant, à l’occasion, à vide.
Les métaphores sont en général dangereuses, menant leur vie propre en nous enchaînant à elles par les trop nombreuses connexions qu’elles engendrent dès lors qu’elles ont été énoncées. (Il y a du Kundera, là dedans, c’est vrai). Ce qui suit comporte son lot métaphorique, ce qui constitue ainsi un risque à courir. Les métaphores sont également d’habiles paravents pour cacher les angoisses, les révéler l’air de rien tout en pouvant aisément les nier le jour suivant. Pratique pour ceux et celles qui ont cette foutue fierté. Et cette peur maladive de se dévoiler, toujours… Il n’en va pas de la peur d’être jugée, non : plutôt de la peur d’être jugé inintéressant. Alors, pour se protéger de cette peur du vide … restent toujours les mots, les multiples jeux et pirouettes de l’esprit. La rhétorique pour la rhétorique. Il en va aussi de sa propre incertitude quant à ce qu’on est vraiment, quant à ses propres sentiments ou ressentis. Pas forcément de la difficulté à en parler, mais surtout de la difficulté à les laisser se révéler à soi.
Ce qui suit relève de l’homosexualité et de son acceptation au regard du propre personnage social que l’on s’était a priori construit, mais pas seulement. En fait, ce texte parle surtout de ma propre expérience (sans blague) fut-ce de façon souvent voilée, d’où le paragraphe précédent en forme de message d’excuses liminaires.
Appuiera sur le bouton « Envoyer », n’appuiera pas ? Osera, n’osera pas se dévoiler sur internet sur de tels sujets ? Et l’assumera-t-elle ? On verra bien.
2. Réflexions en vrac sur les modalités d'une construction sociale
Il existe une théorie sociale qui raconte comment chacun de nous peut endosser n’importe quel rôle social, selon le groupe de pairs parmi lesquels il évolue. C’est une faculté que nous partageons avec les animaux, comme l’ont démontré des expériences variées à base de souris de laboratoires. Ma mémoire étant est sélective et imprécise, je ne me souviens donc plus des références exactes de l’expérience, mais des invariants y était clairement établis entre la répartition d’animaux dominants, subalternes, ou encore bouc-émissaires, schéma qui se reproduit quasi-systématiquement si l’on mélange les groupes, en formant par exemple un groupe de dominants, l’un d'entre eux étant inévitablement amené à endosser le rôle de bouc-émissaire. De même pour les boucs-émissaires, de même pour les électrons libres, etc.
Il y a là matière à extrapoler, et à penser que nous sommes tous versatiles, que la nature humaine pour sa propre survie s’est dotée de la polyvalence. Cette forme de polyvalence sociale est d’ailleurs dans la suite logique de la polyvalence technique de l’homme, animal non spécialisé sur les créneaux des griffes ou des carapaces, mais dotés de mains à pouce opposable… ces mains étonnantes qui lui permirent à la fois de construire ses villes, d’inventer la roue, de construire des cathédrales, de raser celles des autres par la guerre le feu et le sang, de tenir une arme, de tenir un violon, un pinceau, d’écrire … La main est multiple, à l’image de la nature humaine. Il y a la main qui soigne et la main qui tend le bâton. Et aussi la main qui montre du doigt et qui condamne. Mais là n’est pas la question, c’est vrai.
Bref, c’est que j’en perdrais presque le fil avec ces digressions. La nature humaine ? Un peu trop prétentieux. La versatilité humaine, donc. Trop imprécis encore. La faculté d’adaptation, disons. Disons même plus l’instinct de survie, l’instinct d’endosser des rôles qui ne sont certes pas ses premiers choix pour éviter au groupe d’éclater. Et cela de la petite tribu jusqu’aux systèmes politiques complexes que forment les nations. Mais aussi intéressant que soit le sujet, et même si ce n’est pas l’envie qui me manque de me lancer dans une analyse détaillée, je n’ai cependant ni le temps ni les compétences pour me fendre d’une étude généraliste et argumentée sur le sujet. Et je cherche, une fois de plus, à noyer le poisson. Bon …
Bref (2e édition). Moi aussi j’ai endossé divers rôles au cours de mon existence, bien que celui de l’électron libre me soit de loin le plus naturel. La sociabilité indépendante, tel serait mon créneau, si je devais lui donner un nom. Car en dépit de l’expérience développée plus haut, même si nous portons en nous la polyvalence, nous portons également l’invariant, ce quelque chose qui définit profondément ce que nous sommes. Nous pouvons, momentanément, le contraindre. En sommes, comme si le roseau-individu pouvait se plier pour éviter à la hutte-collectivité de se briser. Mais l’invariant contrarié revient toujours sur le tapis à un moment ou à un autre, car le domaine dans lequel nous sommes à l’aise dans notre faculté d’adaptation est forcément limité. Forcément, car si nous sommes potentialités, nous ne pouvons être le tout. Nous ne pouvons être illimités, ce qui est en plus métaphysiquement impossible.
Bref (3e édition), c’est que je perds un peu le fil. Je, tu, ils, elles, nous sommes donc polyvalents dans une certaine mesure, lorsqu’une situation d’urgence émerge. Mais nos personnalités sont construites autour d’un noyau qui lui est invariant, et qui a conditionné cette construction. Et autour duquel plusieurs constructions sont d’ailleurs possibles. Des constructions plus ou moins adaptées, plus ou moins branlantes, et sur lesquelles on peut fort heureusement intervenir, pour stabiliser ou au contraire faire vaciller des fondations. Nous sommes nos propres architectes, nos propres maçons. Si dans ce monde nous ne sommes que des nombres, alors nous sommes des nombres fascinants, à la fois multiples et premiers. Nous sommes des paradoxes.
Le problème de ces invariants, c‘est qu’ils ont souvent la sale habitude d’aller se cacher dans le subconscient. La construction peut alors se fissurer sans faille apparente, l’épicentre résidant à des étages bien plus profonds, au niveau des fondations. Il y a quelques temps déjà je crois, il se peut que j’aie enfin mis le doigt sur un de ces invariants, sur un de ces fondamentaux. Ce qui a fait tomber un sacré mur. De toutes façons ce n’était pas un mur porteur, et puis il était fissuré : qu'il soit tombé n’est donc pas un mal.
Un broc de plâtre liquide à ma gauche, et un rouleau à peinture à ma main droite, j’avais donc attaqué les grands travaux. C’était il y a peu ou prou 1 an environ, que le petit escargot que je suis avait tâché d’agrandir sa coquille et de la rendre plus confortable, plus représentative de ce qu’elle était à l’intérieur.
3. S’accepter tardivement, quitte à sentir ses fondations vaciller
Bien évident, ce qui précède est une manière de parler implicitement de l’homosexualité, et des répercussions sur la construction de soi que son déni entraîne : à commencer par les échecs sentimentaux à répétition, qui font que l’on peut en venir à vouloir effacer la fonction « sentiment amoureux » de soi-même. Et j’avoue que c’est un peu ce que j’ai essayé de faire, pendant deux ans, suite à des échecs à répétition avec des messieurs. A tellement refouler le désir que j’avais parfois pour des filles et que je n’avais pas eu pour les garçons que j’ai jusque là rencontrés, j’en étais venu à oublier que c’était ça, ce qui me faisait défaut dans mes malheureuses relations.
A côté de ça, l’homosexualité est accessoire, et ne définit pas son personnage. Dans l’immergé des malaises inexprimés, ce n’est après tout qu’une cause comme une autre. Cette impression de « faire semblant », de construire une image qui n’était pas la mienne n’est pas liée qu’à ça, et remonte à l’adolescence. Une grande perplexité face à la vie, et cet étrange souhait de se conformer du mieux que l’on peut à ce qu’on attend de nous. Pour faire plaisir. Mais paradoxalement ce refus de gommer ses aspérités, qui finit par rendre malheureux et qui finit par aboutir à la fissuration du personnage bien lisse : comme je le disais plus haut, la réalisation d’être attirée par les gens du même sexe a juste été un facteur déclenchant pour faire voler en miettes une carapace qui était déjà bien lourde à porter. Une sorte de mue, oui. Mais fort démuni se retrouve l’escargot dépourvu de coquille … Alors au final, au lieu de l’ouvrir comme escompté, on la renforce encore et on s’y calfeutre confortablement.
Demeure cependant cette tenace impression de ne pas être méritante auprès de mes proches (vestige de cette envie d’être celle qu’ils attendaient que je sois, qui m’a jadis animée .. ?). D’où cette difficulté, cette hésitation à me révéler à eux. Même si aucune réaction franchement homophobe n’est à prévoir (enfin, j’espère ne pas me méprendre, mais a priori non), mais j’ai peur de leur tristesse ....
Alors, en attendant le petit escargot se fait hérisson, se met en boule, et attend. Attend on ne sait quoi, le coup de pied qui l’enverrait bouler sur la grande autoroute pour qu'elle se bouge enfin peut-être ?!
3. La mue : transfigurer sa propre pulsion de mort
Et il y a ce qu’on pourrait qualifier de pulsion de mort (au sens psychanalytique. Je ne suis pas suicidaire, hein, je crois.) Cet élan de toujours se rabaisser, de se foutre la tête sous l’eau volontairement quand on en a l’occasion. De ne plus respirer, juste pour voir, pour toucher le fond, respirer de l’eau, se débattre pour enfin réveiller cette pulsion de vie. C’est une tentation qui a souvent été présente, comme une sorte de « punition » quant tout allait de travers. Mais qui n’a plus lieu d’être : jamais, ne plus jamais baisser les yeux à regarder des cailloux, maintenant que je sais que je préfère largement jouer avec mes pairs dans l’autre champ, celui qui était interdit, et où pourtant l’herbe est tellement plus verte.
La mue commencée il y a quelques mois a largement porté ses fruits, même si elle ne fut pas forcément indolore. Est-elle achevée ? Je l’ignore. Je ne pense d'ailleurs qu'un tel processus ne peut être que dynamique et ne finit jamais. J’ai 23 ans, j’ai fini des études assez ennuyeuses, et je suis sur les rails de la vie rêvée du personnage lisse que je m’étais il y a longtemps construit, mais qui n’existe plus aujourd’hui. C’est qu’il est alors temps de cesser d’être ce ridicule hérisson se laissant porter par le courant, roulé en boule en évitant les voitures. Il est inévitable de voir retomber sur soi les débris du mur porteur que l’on s’était auparavant construit, et ça fait forcément parfois encore un peu mal.
Les carapaces ne sont pas faites pour cacher qui l’on est, mais pour se donner le courage d’être pleinement soi. Et surtout, il doit toujours rester possible de l’ouvrir de l’intérieur, au risque d’en finir prisonnier. Et se laisser la possibilité de les adapter, de les laisser s'adoucir, s'ouvrir, se modifier.
Nous sommes en évolution perpétuelle, ainsi se doivent de le rester nos avatars sociaux.