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C'est en parlant que le passé cesse d'être présent

Par luluth, le

Quelque chose s'est passé, il y a longtemps. Quelque chose qui est peut-être passé inaperçu pour les autres, voire pour vous même, mais qui persiste dans votre souvenir comme quelque chose d'extrêmement douloureux. Une odeur, une couleur, un mot suffit parfois à vous rappeler cette période affreuse de votre existence, qui à mesure que le temps passe vous semble comme un cauchemar, détaché de toute réalité. Et quand vous n'y pensez plus, tout ceci ressurgit en rêve. Tout ceci : un ensemble d'événements qui ont marqués votre vie et qui ont laissés en vous une blessure durable et profonde, où croissent comme la gangraine la honte, la culpabilité, le chagrin, le remord, la douleur en somme. Tout ceci date, pourtant : il y a bien 1 an, 10 ans, 20 ans que ces événements se sont déroulés. Peut-être plus. Peut-être étiez vous alors enfant ou adolescent. Or, tout ceci est encore présent. Infiniment présent, comme une araignée collée au fond de votre cerveau et qui guette sa proie au milieu de sa toile.

On vous dit que c'est du passé, qu'il vous faut oublier : on ne bâtit pas l'avenir sur des fantômes. On vous dit : « cessez de ruminer ces sombres événements, enfin ! Pensez que tout ceci est fini, mort et enterré. Ah quoi bon y pensez ? Puisqu'on vous dit que c'est fini ! » Mais non, ces pensées vous restent. L'araignée retourne parfois dans son petit cocon mais dés que la nuit tombe elle regagne sa position. Vous ne pouvez rien contre. Pire : ces traumatismes s'impriment sur votre présent. Vous craignez de revivre ces événements dans des situations qui n'ont parfois franchement rien à voir, même à vos yeux. Un berger allemand vous a mordu et vous craigniez le teckel. On vous a trop humilié jadis et vous vous enflammé à la moindre moquerie gentillette. Vous avez pris peur des hommes et perdez vos moyens dés que l'on vient vers vous. Nul ne sert de se répéter que tout cela est terminé : ça continue, ça continue, encore et encore.

Peut-être avez vous déjà songé à raconter votre histoire à quelqu'un. Un proche, un parent, un médecin. Vous vous imaginez, posant d'abord les bases permettant à votre auditeur de comprendre la suite, et narrant les diverses difficultés que vous avez du affronter durant cette période. Et puisque vous êtes dans votre imaginaire, vous vous payez même le luxe de prendre votre temps, d'insister sur des détails, d'essayer de dire au mieux ce que vous avez pu ressentir à ce moment là. Et quand vous imaginez cela, vous vous dites : « qu'est-ce que ça fait du bien ! ». Ca soulage, n'est-ce pas ? Mais vous vous dites aussi que vous êtes bien égoïste, nombriliste, égocentrique. Raconter sa vie n'est bon que pour les gens qui ont des choses intéressantes à dire : votre ego se situe au 25ème étage, mais vous vivez au rez-de-chaussée ! Franchement, qu'est-ce qu'on s'en fout de vos petits drames personnels ! Et puis, on vous l'a déjà dit : enterrez votre passé, diantre !

Or, si égocentrique puisse paraître votre envie de raconter votre histoire, elle mène pourtant à la solution la plus efficace : c'est en parlant de son passé que celui-ci cesse d'être présent. Ce n'est pas une belle parole, c'est une théorie éprouvée depuis longtemps. Parler d'un événement ou d'une période traumatisante n'est certainement pas un mal, c'est au contraire le meilleur moyen de lutter contre. Au contraire, l'idée d'enterrer le passé, de ne plus y penser, de ne pas en parler, enterre certes le traumatisme mais ne le fait pas disparaître. Il suffit donc de peu : l'écoute est suffisante ; la réplique, fort facultative, nullement indispensable. C'est le fait de parler et de savoir que quelqu'un vous entends et partage une part de votre vie, grâce au récit, qui est libérateur.

Ceci explique cela : le silence des psychanalystes, d'abord. Puisque c'est avant tout le fait de parler et de se savoir écouté qui est important, essentiel, salvateur, le psychanalyste n'est pas une personne inutile incapable de vous sortir de votre situation. Et l'écoute du psychanalyste est plus précieuse qu'on ne le pense, car un ami sera souvent tenté de parler, et de dire par conséquent des choses maladroites (dans le style : « mais tu sais bien que c'est du passé tout ça... »). L'utilité des exposés de tourments individuels sur le forum, d'autre part. Là encore, puisque c'est être lu qui compte le plus, il ne sert à rien de tenter de se justifier, de trouver un prétexte, ou de critiquer son propre nombrilisme. Et surtout : la réponse comptant moins que la lecture, il est bon de poster même si l'on est persuadé de ne recevoir aucune réponse convaincante.

Comme je ne voudrais pas me faire passer pour un donneur de leçon, je précise que cela me viens des cours de Psychanalyse du rêve de M. DARCOS et de mes lectures à ce sujet (essentiellement Freud, quelques articles de ci-delà). Donc, si vous voulez jeter des pierres, n'attaquez pas le messager !