Vous lire, Jimbo et Kliban, me rappelle un peu un article lu récemment dans
Les études gay et lesbiennes (Colloque du Centre Georges Pompidou 23 et 27 juin 1997), dont je ne peux m'empêcher de vous recopier quelques extraits, les plus significatifs, sur cette notion (controversée) d'identité gay. Peut-être que les passages en gras éclaireront certaines dimensions du problème...
L'identité gay après Foucault
David M. Halperin
« Je vis dans un monde où plein de choses que
je pensais impossibles sont possibles. »
Guillaume Dustan, Dans ma chambre
« On pourrait dire que l'une des dimensions les plus caractéristiques de la culture gay a été sa critique constante et la réévaluation permanente de ce que cela signifie d'être gay. L'identité gay est surtout une identité discutée, contestée, réfléchie – une identité autocritique.
En France, l'expression intellectuellement la plus remarquable de cette tradition critique et autocritique se trouve dans les travaux de Michel Foucault. »
« Foucault a clairement précisé que le but d'une critique de l'identité gay n'était pas de la disqualifier, ni de se débarrasser de toute identité sexuelle, ou de proposer une sorte de suspension avant-gardiste de toute signification sexuelle et de toute catégorie sexuelle. L'objectif de cette critique était plutôt d'ouvrir la voie à la formation de nouvelles multiplicités des identités gay, des multiplicités que l'insistance sur une identité gay unique, univoque, déjà établie et définie, sert à empêcher. « L'homosexualité est une occasion historique de rouvrir des virtualités relationnelles et affectives », déclarait Foucault dans une interview publiée dans Gay Pied en 1981. Il voyait l'homosexualité non pas comme une espèce humaine singulière, une catégorie spéciale d'êtres sexuels nouvellement libérée, mais comme une position marginale, stratégiquement bien placée, à partir de laquelle il serait possible d'inventer de nouvelles formes de rapports à soi-même et aux autres. « Être gay, c'est être en devenir », expliquait-il en 1982 : « Il ne faut pas être homosexuel, mais s'acharner à devenir gay, se placer dans une dimension où les choix sexuels que l'on fait sont présents et ont leurs effets sur l'ensemble de notre vie. Ces choix sexuels doivent être en même temps créateurs de mode de vie. Être gay signifie que ces choix se diffusent à travers toute la vie, c'est aussi une manière de refuser les modes de vie proposés, c'est faire du choix sexuel l'opérateur d'un changement d'existence. »
L'homosexualité, en d'autres termes, n'est pas une condition psychologique que nous aurions à découvrir mais une manière d'être que nous mettons en pratique afin de redéfinir la signification de ce que nous sommes et de ce que nous faisons – et afin de rendre notre monde et nous-mêmes encore plus gay. Au lieu de traiter l'homosexualité comme une occasion d'expliciter la vérité secrète de nos propres désirs, Foucault nous invite à nous poser la question : « Quelles relations peuvent-être, à travers l'homosexualité, établies, inventées, multipliées, modulées... Le problème n'est pas de découvrir en soi la vérité de son sexe, mais c'est plutôt d'user désormais de sa sexualité pour arriver à des multiplicités de relations. » Foucault insistait donc sur le fait que « l'homosexualité n'est pas une forme de désir mais quelque chose de désirable. Nous avons donc à nous acharner à devenir homosexuels et non pas à nous obstiner à reconnaître que nous le sommes. »
L'homosexualité n'est donc pas une forme déterminée de vie psychosexuelle ou une catégorie d'êtres érotiques – c'est-à-dire qu'elle n'est pas une positivité sexuelle – mais une situation marginale et une forme de résistance à la régulation sexuelle – c'est-à-dire une positionnalité sexuelle non-normative. »
« L'effet ultime de l'intervention de Foucault est de nous mettre en garde contre l'acceptation de l'identité gay comme un fait accompli – comme s'il s'agissait d'une chose positive, réelle, déjà existante – et de nous inciter à la voir plutôt comme quelque chose de désirable qui reste à créer et recréer, un signifiant flottant, une quantité algébrique, dont la fonction est de tenir la place d'une identité future qui est encore à construire. »
« Et il ajoute : « Que l'interrogation sur l'identité se fasse au nom même de l'identité qu'elle entreprend d'interroger, témoigne de l'importance de ce double mouvement qui consiste :
- d'une part, à résister à toute tentation de réserver un espace prédéfini pour une identité gay qui serait fantasmatiquement cohérente et reconnaissable parce que totalisée et prématurément refermée,
– et, d'autre part, à continuer d'affirmer les énergies – toujours porteuses d'un potentiel de résistance – qui peuvent être mobilisées par les actes de nomination des gays par eux-mêmes, énergies qui maintiennent leur capacité subversive en refusant d'offrir aucune vérité déterminée sur la nature et sur l'usage de la sexualité gay. »