Dans le chapitre précédent, j’ai expliqué que je ne suis jamais personne dans les mariages où je suis invité : un simple ami, jamais assez proche pour être un témoin ou me trouver placé à la table d’honneur. Il est donc surprenant que le mariage où j’ai finalement joué le rôle le plus important est celui où je ne connaissais vraiment personne, et à peine les deux mariés en question. La vie est quelque fois riche en bizarrerie de ce genre…
MeilleureAmie (voir chapitre 6) s’est trouvée être la témoin du mariage de sa plus ancienne amie. Cette corvée l’ennuyait parce qu’elle connaissait assez la famille et les amis de la mariée pour savoir que ces gens dans leur ensemble n’ont pas plus de jugeote, d’humour et de conversation qu’un troupeau d’oie échappé du Bonheur est dans le pré. Quant au marié, c’est un gentil garçon qui ne dit pas grand-chose mais qui ne semble pas penser grand-chose non plus, tant il parait subjugué par sa promise. Rien de bien folichon, donc. D’autant plus que le copain de MeilleureAmie a décliné avec force l’invitation. En désespoir de cause, MeilleureAmie appelle donc Floridjan a la rescousse et parvient, facilement, à m’imposer comme son cavalier. Je suis toujours partant lorsqu’il y a à boire et à manger.

Première étape : le cadeau. La mariée a demandé un vase. Nous voilà donc partis à la recherche de la perle rare, quelque chose de classe, de pas trop cher car MeilleureAmie est dans la dèche, mais de pas trop cheap non plus, mariage oblige. On finit par trouver un grand vase en verre soufflé bleu, ravissant. Pour faire bonne mesure, je prends à mes frais le chandelier en verre soufflé assorti. Nous sommes éblouis par le faste de notre présent et nous songeons déjà au visage rayonnant de la mariée à la vue de tant de splendeur, à son regard éperdu de joie et à son frêle corps tombant en pamoison sous l’effet de tant de grâce.
Nous voici donc en route pour l’Oise, vase et chandelier précieusement empaquetés dans notre valise. Je ne connais personne et les mariés à peine mais tout de même, je suis le cavalier du témoin, donc je suis hébergé chez les mariés himself. La mariée est prise en main par ses innombrables cousins et cousines qui, dans un tourbillon, la conduise au mariage. La maison, pleine de monde une seconde plus tôt, se retrouve vide. Il ne reste que MeilleureAmie et moi dans la chambre d’amis du rez de chaussée, qui achevont tranquillement de nous préparer.
Et le marié, abandonné dans sa chambre au premier étage.
Il est temps de partir. Je monte voir si le marié est prêt. Je suis ému de me trouver soudain aux premières loges, quasi garçon d’honneur. C’est tellement inattendu. Je toque à la porte. Une voix timide me répond d’entrer. Le marié est là, en costume, un peu penaud, un peu désemparé, dans la maison déserte où tous s’en sont allés en le laissant derrière, seul avec son désarroi. Il m’adresse un sourire confus :
- Je… je ne sais pas faire un nœud de cravate…
Il me présente l’objet embarrassant. Je m’approche de lui, je prends la cravate, un peu tremblant, je la lui passe délicatement autour du cou, mes mains sont moites, je lui fais son nœud de cravate, j’ai la gorge serrée, le moment est d’une solennité rare, l’émotion est palpable. Voilà, j’ai aidé un homme à mettre sa cravate le jour de son mariage. J’ai été le dernier témoin, l’unique soutien de ses dernières heures d’homme libre. Et nous ne nous connaissions même pas.
MeilleureAmie survient sur ces entrefaites. De son œil d’experte, elle rajuste la tenue du marié, corrige mon nœud de cravate un peu lâche. Il nous demande, un peu gêné, s’il est bien ; et nous, les deux inconnus qui devont le conduire à la Mairie, presque jusqu’à l’autel, nous lui répondons, à l’unisson et d'une voix émue, qu’il est très beau.
MeilleureAmie et moi avons donc escorté le marié en voiture jusqu’au lieu de son mariage, où enfin il se trouve pris en charge par des personnes moins étrangères.
Je coupe court aux deux cérémonies dont je n’ai rien retenu et je passe directement à la soirée. La cadre est très beau, une vieille bâtisse donnant sur un parc. Un type, la cinquantaine, plutôt pas mal, ne cesse de prendre des photos. Nous nous interrogeons de savoir si c'est le photographé attitré du mariage puis nous nous faisons la réflexion que, physiquement, c’est le sosie de l’acteur Jacques Perrin.
MeilleureAmie a bataillé pour ne pas être trop près des mariés et de sa bêtifiante famille. La mère de la mariée, massive, a le regard complètement torve. On la pose dans un coin et elle ne bouge plus. La mariée veut absolument nous imposer un de ses amis qu’elle trouve spirituel et hilarant mais le bonhomme nous assomme pendant vingt minutes de blagues pourries et de réflexions à deux balles, alors nous sombrons rapidement dans un mode autiste. D’autant plus que Jacques Perrin est venu s’asseoir en face de nous. Il se présente : il s’appelle Jacques (véridique^^). L’alcool aidant, Jacques se livre vis-à-vis de MeilleureAmie et moi-même à une drague lourde. Sa femme semble habituée à la chose et considère son manège avec un détachement amusé.
Pour fuir la conversation insipide de Blaguesnulles et le bavardage arrosé de Jacques, nous nous concentrons sur la bouffe, mais là aussi, nous ne sommes pas vraiment à la noce. Buffet froid bas de gamme, genre repas de Noël pour les salariés d’une PME pas trop fortunée… Le champagne n’est même pas bon. Les sanglots longs des violons de l’automne bercent nos cœurs d’une langueur monotone. Arrive enfin le temps des rires et des chants : on a le droit au CD complet du mariage beauf : la chenille, la danse des canards, etc. Mais tout de même, c’est assez fendard, en fait, de danser là-dessus : j’envoie balader toute dignité et je participe activement à l’ambiance générale, tandis que MeilleureAmie m’observe de loin avec indulgence, tandis que Jacques Perrin lui souffle amoureusement dans la nuque.
Entre deux danses, MeilleureAmie et moi avons passé pas mal de temps à dire du mal de tout le monde, à se moquer des mariés, de leur famille, de leurs amis, de Jacques Perrin, de Blaguesnulles, de la bouffe, de la musique, de la déco. Les deux langues de pute de ce mariage c’était nous. On ressemblait tout à fait aux deux vieux du Muppet Show.
La soirée se poursuit et tire vers sa fin et les mariés n’ont toujours pas ouvert leurs cadeaux. MeilleureAmie et moi sommes à l’affût mais rien ne semble devoir se produire. Rongés par l'incertitude, on décide de se renseigner directement à la source. Réponse légère de la mariée : « oh les cadeaux, on pensait ouvrir ça demain, entre nous ! »
Hé bien non, ma poulette, tu vas les ouvrir maintenant et devant tout le monde et tu as intérêt à tomber à genoux devant le vase et le chandelier, à nous baiser les pieds et à chialer de bonheur, ok ? Parce que c’est pour ça qu’on a enduré ton poulet froid et ta mayonnaise Amora, ton champagne Leader Price et ta musique de chiotte des meilleures tubes de l’été 2002, les blagues fumeuses de ton pote soi-disant trop fendard et les roucoulements d’amour d’un Jacques Perrin bourré, et qu’on a été jusqu’à aider ton mec à faire son nœud de cravate ! Alors, tu ne vas pas nous priver maintenant de notre unique plaisir !!! Tu vas t’exécuter séance tenante et tu vas faire ça bien, en prenant ton temps et en ne ménageant ni ta peine ni ta joie, comprendo Amigo ?
La mariée a compris. Elle a vu à notre mine sévère qu’elle ne devait pas déconner sur ce point. Elle a donc ouvert ses cadeaux, elle a poussé des « oh » et des « ah » et elle a eu le bon goût de pousser un « oh » et un « ah » un peu plus fort devant le vase et le chandelier.
L’honneur était sauf.
Au moment des adieux, Jacques Perrin très ému s’est approché de nous et, sans que nous puissions nous échapper, il nous a pris dans ses bras et nous a pressé très fort contre lui :
- Vous savez… je vous aime beaucoup… tous les deux… vraiment beaucoup ! »
C’était le mariage beauf.
