Je ne sais pas bien ce que je cherche en venant poster ici, certainement de quoi patienter quelques jours sans me ronger les sangs. Dans la situation de tempête émotionnelle où je me trouve, c'est sûrement ce que j'ai de plus sage à faire, aussi parce que je compte sur vos mots qui sont souvent pleins de bon sens.
Ça va bientôt faire deux ans que je suis avec mon gars, et même si j'avais déjà vécu de jolies choses avant, je crois bien que c'est la relation amoureuse la plus authentique et la plus épanouissante que j'aie eue jusqu'à présent. C'est une relation qui porte en elle, en plus du côté "amoureux", tous les bénéfices de l'amitié : désintéressement, désir que l'autre soit heureux/-se coûte que coûte, crises de fou-rire... et puis une relation qui met en avant le meilleur de chaque personne, qui nous donne l'impression d'être des gens chouette, avec plein de qualités et presque pas de défauts, voyez le genre ? L'impression que notre existence et notre manière d'être est voulue ou acceptée jusque dans les moindres détails. L'impression que si on pouvait changer l'autre, on le ferait pas, et que si l'autre pouvait nous changer, il le ferait pas non plus, parce qu'on est juste bien comme ça. On parle chacun la langue de l'autre, c'est un bon exemple.
Nous avons vécu ensemble quelque temps, pris le temps de bien nous connaître, mais comme je l'avais rencontré à 10000 km d'ici et que j'ai dû revenir en France au bout de quelques mois, nous avons continué la relation à distance. La dernière fois que je l'ai vu, au bout de six mois sans se voir, il est venu passer deux semaines et demi en France. Quand il est reparti, j'ai mis deux mois à m'en remettre, parce que notre relation est tellement pleine de vie et de bonne humeur qu'on dirait que le monde se vide quand elle se dématérialise... Suite à ça, nous venons de passer un an jour pour jour sans nous voir du tout. Il était question qu'il vienne en février, mais pour des raisons familiales et financières, ça s'est révélé impossible. Aucun de nous n'a perdu pied pour autant, et nous avons continué à nous appeler de manière plus ou moins quotidienne, à partager nos pensées, nos découvertes, nos chagrins et nos joies, au téléphone. Si on n'a pas perdu pied c'est parce qu'il était question qu'il vienne en France un an, à partir de juillet ou août, grâce à une bourse de post-doc qu'il a toutes les chances de décrocher, étant donné qu'il vient de soutenir sa thèse et que ça s'est bien passé. En plus, il a vécu un an en France avant de me rencontrer, il aime bien la France, et il parle bien la langue. Bien sûr, ça ne nous donnait aucune certitude sur le très long terme (et au bout d'un an, que faire ?) mais on s'accommodait de cette incertitude si bien que ce "choix" qu'il vienne en France n'avait jamais été remis en question. Et puis ça ne faisait pas question, parce qu'on sentait qu'on était bien ensemble, que la relation avait du sens, non pas simplement parce qu'il y avait de l'amour (ça, à distance, ça suffit pas toujours), mais aussi parce que c'était une source de bien-être, de partage, de rires. Bref, je n'ai pas eu l'impression de m'être attristée pendant un an et demi, même s'il y a eu des moments difficiles où la volonté de se blottir l'un contre l'autre se heurte à la conscience que 10000 km nous séparent. Si la relation a tenu le coup au bout d'un an et demi de distance, c'est parce que dedans, il y avait beaucoup plus de joie que de tristesse, y a pas photo, c'est comme les pims qui ont plein de coulis de framboise dedans, c'est pas juste un emballage chocolat avec rien dedans. Pour situer la densité du coulis de framboise, il faut situer ça : je suis tombée amoureuse d'une nana l'année dernière, une amie proche. Et mon gars, c'est lui qui s'en est rendu compte le premier, parce que je lui parlais beaucoup d'elle. Au lieu de me faire une crise de jalousie ou de me dire "tu choisis, c'est moi ou elle", il m'a soutenue jusqu'au bout de ce qui lui paraissait être mon authenticité envers moi-même. Et il m'a encouragée à dire à la fille ce que je ressentais pour elle, me garantissant que quelle que soit l'issue de l'histoire, il ne douterait pas de mon amour pour lui (ce dont je n'ai d'ailleurs pas douté une seconde non plus, d'ailleurs), et qu'on resterait ensemble. Bon, ça n'a pas marché avec cette fille qui a fui lamentablement sans plus donner signe de vie après m'avoir dit que son coeur battait plus vite chaque fois qu'elle me voyait

Si ça s'arrêtait là, vous vous doutez bien que je ne serais pas venue poster... Mais, comme dans les contes de Grimm et d'Andersen, il y a un élément perturbateur dans le récit, suite à la description de cette situation initiale, qui fait qu'il y a quelque chose à raconter, parce que les événements se nouent, les certitudes tombent ou se fragilisent, des monstres viennent toquer à la vitre.
Hier au téléphone, il était angoissé. Parce que deux possibilités se présentent.
Possibilité 1 : il finit son projet de post-doc en philo et il se donne les moyens d'obtenir une bourse pour venir en France six mois ou un an - ce qui était prévu au départ - sans aucune certitude de ce qu'il fera après. Une des particularités du pays où habite mon gars c'est qu'on peut faire un master de quelque chose et ensuite un doctorat d'autre chose. Du coup il a fait un master de psycho, il a son diplôme de psychologue, et ensuite il a tellement aimé un des auteurs qu'il a étudiés dans le cadre de la psycho qu'il a choisi de l'étudier aussi sur le versant philo, et il a fait un doctorat de philo. Ça fait qu'en philo, il connaît seulement un auteur ; certes il le connaît à fond, mais il ne connaît que ça, et du coup, pour passer les concours d'enseignement, ici ou ailleurs, c'est très problématique, car les concours demandent d'être aussi généraliste.
Possibilité 2. Hier, paf, sort cette annonce d'un concours dans une université tout près de là où habitent ses parents, donc, oui, à 10000 km de chez moi. Et c'est un concours de recrutement d'un prof de psycho. En psycho il est fort aussi bien dans des domaines précis que sur les généralités, il a une bonne culture générale, il a ses chances. En plus, le cours qu'il donnerait serait dans une université reconnue, et ce serait un cours super intéressant pour lui, un super travail. Et le salaire du poste est énorme, pour ne rien gâcher. J'oublie de vous dire qu'il habite dans un pays où la famille a une importance considérable. Qu'il vient d'une famille pauvre, que son père a cumulé trois ou quatre boulots en même temps parfois pour nourrir tout le monde et qu'il a toujours soutenu mon copain dans ses études bien que les valeurs de ce milieu ne soient pas du tout liées aux études. Bref, ses parents se sont battus pour qu'il puisse faire ce qu'il voulait, faire une thèse etc, et les liens familiaux sont si forts que ses frères (deux gaillards adorables) se sont même cotisé pour lui acheter un appart'. Sa famille, ce n'est pas une somme d'individus, c'est vraiment une fourmilière, il y a une cohésion et une unité très forte. Il a donc une dépendance affective, matérielle, financière, extrêmement forte vis à vis de sa famille. Ajoutons à ça que son papa s'évanouit régulièrement ces derniers temps et a une santé très fragile, et que sa maman risque fort de bientôt devenir aveugle. Que sa petite soeur de 15 ans, qu'il adore, compte beaucoup sur lui et le considère comme un repère. Donc là, il a ses chances d'avoir un boulot tout près d'eux, de vivre dans la fourmilière, comme ses frères (jumeaux) qui habitent dans le même immeuble, à 5 minutes des parents... et de pouvoir d'une certaine manière "rendre" le don - moral, affectif, matériel - qu'il a reçu de ses parents et de ses frères pendant toutes ces années où ils l'ont soutenu. Je crois que pour lui, tenter ce concours, et éventuellement l'avoir, c'est aussi montrer à sa famille que tout cet investissement qu'ils ont mis en lui, sur le plan du capital symbolique, de la fierté (sont tous fiers de lui), et aussi sur le plan financier, valait la peine.
Moi, je suis à un croisement de ma vie aussi, et je dois encore six ans à l'État français, ce qui fait que je suis obligée de tenter un concours de la fonction publique et de le réussir sous peine de devoir rembourser des dizaines de milliers d'euros. Je me suis décidée récemment à repasser un concours difficile, que j'avais déjà tenté sans succès, parce que parmi tous les concours, c'est encore celui qui me permet de faire ce que je préfère, tout en gagnant une indépendance matérielle. Hors de question, donc, que je passe, l'année prochaine ou celle d'après, un an dans le pays de mon copain. C'est juste impossible, sinon je mets vraiment en danger la suite pour moi. Donc, s'il ne vient pas, je ne peux pas non plus aller le voir, et au bout d'un certain temps sans se voir, les choses s'effilocheront je le crains

Il m'appelle, il était perdu, angoissé, au seuil d'un dilemme. Je lui ai dit que quel que soit le choix qu'il allait faire, de toute manière je continuerais à le soutenir et à l'aimer. Et qu'on avait déjà vécu des choses pas classiques, de nouveaux modes d'être en relation, passant par la bisexualité, le polyamour, la distance... que ce serait pas ça qui aurait le pouvoir de me faire douter de nous deux.
Mais dans les faits, c'est super dur d'imaginer ma vie sans lui. J'ai pu le faire avec légèreté pendant un an et demie, j'ai supporté ça de bon coeur parce qu'on a partagé beaucoup et grâce à mon réseau d'amitiés qui se consolide fortement ces derniers mois. Et aussi parce que tout en m'aimant sincèrement il m'a toujours laissé ma liberté au lieu de m'enfermer. Je sais que c'est presque impossible de trouver quelqu'un comme lui, qui m'apporte à la fois le partage, la proximité affective, et qui me laisse ma liberté. Je suis déjà tombée amoureuse d'autres personnes, et de toute manière mon coeur est un prédicat à plusieurs places, comme on dit en logique, je n'ai jamais été très exclusive, considérant que la monogamie me ferait autant de mal qu'un bon vieux monothéisme... Mais mince, un gars comme ça, c'est rare, ça me ferait vraiment ch*** de devoir renoncer à ce lien, à cette relation qui m'a bâtie pendant deux ans, qui m'a appris autant, qui m'a donné tant de bonheur. J'ai beaucoup de mal à m'imaginer sans lui, parce qu'il a été une source de joie permanente pour moi, et parce qu'on se comprend en profondeur.
Donc je n'ai pas de question à vous poser. Mais j'aimerais m'en remettre à votre sagesse pour savoir comment passer ce mois-ci sans faire porter une culpabilité à mon copain, sans le brusquer dans sa décision, sans faire pression sur lui, sans perdre pied. Et sans passer mes soirées à faire des crises de larmes et de doute, toute seule, comme hier soir. Surtout que ça mouille la jolie fourrure de mon chat, c'est pas pratique, après il doit s'ébrouer et ça envoie de l'eau salée dans la pièce... J'en profite pour vous réclamer des chaudoudoux, des mots gentils, des marques d'amitié, des câlins, et des gâteaux, si vous en avez en réserve, je vais en avoir bien besoin.