tout à fait dans le vent : essai sur les TCA
Publié : ven. sept. 07, 2007 12:37 am
je ne sais pas trop où le mettre, ici?
Quelle maladie à la con, quand on y pense ! Une maladie de pays en phase A, maladie de pays riche. Une maladie peu explicable et très difficilement compréhensible quand on ne le vit pas
De manière générale , les gens assimilent trop souvent les troubles de l'alimentation à des manifestations d'orgueil, d'immaturité, de folie.. Si c'est vrai à ceratins égards, ils sont d'abord et surtout UNE VERITABLE DEPENDANCE
Ils ne sont ni une phase ni un signe de folie. Ils constituent un noeud de contradiction mortel, on croit que la maladie protège, rend indépendant, et on s'aperçoit que c'est l'inverse.
Si notre société ne valorisait pas tant la maigreur, peut être que bcp d'entre nous aurait trouvé une manière de nous détruire qui n'aurait pas aussi profondément porté atteinte à notre corps et à notre perception de nous même.
Car les TCA sont à bien des égards une réponse à une culture . Alors oui, sans doute que si nous vivions dans une culture où la maigreur n'aurait pas cette aura étrange la plupart des malades de TCA ne seraient pas tombé(e)s ainsi, passé(e)s de l'autre côté du miroir, dans l'infernal monde des tca où nourriture est synonyme de gloutonnerie, où les murs sont tapissés de glaces déformantes et où la chair est faible. Un monde de métamorphoses, de mirages et de miroirs.
C'est si facile de passer de l'autre côté, tellement plus dur D'EN REVENIR!
Je ne pense pas que l'on ne se remette jamais vraiment de l'anorexie et de la boulimie.
Je ne suis pas pessimiste, j'essaie d'être lucide.
La grande majorité d'entre nous sera hantée par elles notre vie durant. On peut changer de comportement, penser autrement son corps et son identité, abandonner ce mode de relation au monde. On peut apprendre qu'il vaut mieux être un être humain qu'une enveloppe vide.On peut guérir. Mais on n'oublie jamais.
Pour ma part, je sais que j'ai depuis longtemps dépassé le "stade critique des 5ans", stade où les tca font partie intégrante de notre vie, et sont notre manière de gérer nos émotions, le monde dans lequel on vit, notre vie quotidienne.
Pour comprendre cette dépendance qui incombe aux tca, il faut se rendre compte que ces derniers ont des points communs avec la toxicomanie.
On devient , entre autre, dépendant d'un ceratin nombre d'effets, les deux principaux étant la décharge d'adrénaline provoquée par la faim _ on plane, rempli d'une énergie frénétique, incapable de dormir_, et l'intensité accrue de l'expérience _au départ tout a une odeur et un goût plus forts, les sensations tactiles sont plus intenses, les impulsions plus vives.
LE SENTIMENT DE PUISSANCE EST EXTREMEMENT FORT. Mais on devient rapidement accro. Et par la nature même des tca, l'obsession du poids ne diminue pas avec le poids que l'on perds. Au contraire. Plus on s'inquiète de son poids, plus on a envie de maigrir, moins on a une image réaliste de soi. Vous pesez 66 kg, en perdez 2 et vous réjouissez, en perdez deux autres et souriez, le temps passe un jour vous découvrez que vous ne faites plus que 40 kg, vous ne vous réjouissez pas, ça vous est presque égal, vous lancez un regard méprisant à votre reflet dans la glace et repartez en pensant "je suis vraiment énorme! maigrir encore!!"
C'est que, quand on commence à faire des régimes, le mode de pensée se modifie radicalement: on devient obnubilé par la nourriture. Certain(e)s continuent de penser que si nous diminuons nos rations quotidiennes de matières grasses, sucres,calories, ect.. nous perdrons du poids et tout sera comme avant sauf que nous serons plus minces.
En fait, rien ne sera plus comme avant.
Vous aurez constamment envie de parler de nourriture. Vous aurez constamment besoin d'avoir un goût dans la bouche. Vous voudrez que tout est un goût intense.
Dans cette quête frénétique d'une saveur non coupable vous perdrez tout rapport normal à la nourriture. Essairez de vous remplir la bouche mais pas l'estomac, pour essayer de faire croire à l'Esprit que l'on est rassasié.
Peu de monde fera attention à ce manège, faire des régimes est à la mode de nos jours. Notre génération et la précédente font semblant de se désinteresser de la nourriture. Nous sommes "trop occupés", "trop stressés", pour manger. Regardez autour de vous, écoutez.
Combiende fois entendrez vous "Oh je n'ai pas faim. Je n'aime pas manger le matin (l'après midi, le soir , quand il pleut, quand il fait beau, quand il fait froid/chaud, quand j'ai mal au tibia,les jours fériés, aux fêtes, avant ou après 1h du matin...)
A nous entendre, nous n'avons jamais faim. Nous nous contentons d'avaler de petites boulettes d'énergie, comme dans les jeux vidéos. La nourriture nous donne la nausée, et puis c'est sale.
A nous entendre, nous sommes des êtres éthérés pour qui les repas sont une corvée. QUELLE VASTE CONNERIE!!
C'est que manger, comme faire l'amour, est perçu comme un aveu de faiblesse. On a succombé aux vils plaisirs de la chair. On est devenu un être dissolu, les passions échappant à tout espèce de contrôle. Dans notre culture, une femme comme il faut doit manger et faire l'amour en soupirant et en regardant le plafond. Une femme comme il faut doit avoir un appétît d'oiseau. Les très jeunes filles commencent à imiter les femmes autour d'elles. Elles parlent de "surveiller leur ligne", de "faire attention" (A quoi bon sang ?!), se pincent le ventre avec un air circonspect. Devenir femme signifie aussi MEPRISER SON CORPS, ETRE DANS UN ETAT DE MANQUE PERMANENT.
Imaginez, 30 secondes. Vous marchez dans la rue, croisez une jeune femme mince en train de manger une gauffre. Quel regard porterez vous sur elle? Que penserez vous?
Quelque mètres plus loin, vous croisez une personne obèse, également en train de manger une gauffre. Que penserez vous? Quel regard porterez vous sur elle?
Fiez vous à votre réaction naturelle. Oui, nous sommes formatés. La mince aura notre sympathie, "elle se fait plaisir c'est bien", quand la personne obèse aura au mieux votre mépris au pire votre dégout "elle pourrait se contrôler/ faire attention"
Notre génération a grandi avec la télévision, les magazines pour ados et les panneaux publicitaires, tous truffés de conseils "perdez votre cellulite musclez vous devenez mince". Le corps "parfait" devient une vitrine, une babiole de luxe.
Quand au corps anorexique il exerce une attraction puissante. Les magazines, publicités, et autre porteur de la cacophonie culturelle nous sereinant de maigrir, nous ont appris que nous pouvions nous débarasser de notre chair, perdre "magiquement" des kilos, les faire "fondre", les regarder "disparaitre". Pour une somme modique, nous pouvons nous aussi prétendre à un corps mince. Quelle joie!Et bcp s'y jettent la tête la première. Puisque tout le monde y va, ce n'est pas si dangereux que ça, non?
A mesure que le français moyen devient plus gros, la fascination pour le corps anorexique croît. C'est un paradoxe terrible.
La nourriture a de manière générale 2 fonctions essentielles pour les humains. Elle fait d'abord naître un sentiment de plénitude, la nourriture physique se transformant dans notre esprit en nourriture affective. Lorsqu'on se goinfre pendant une crise, on a l'impression, même passagère, de combler un vide. Ensuite, la nourriture a un effet apaisant sur le cerveau. Ne croyez donc surtout pas que l'on déteste manger. C'est faux.
Anorexique ou boulimique, on est littéralement habité par la nourriture. On en rêve, on la regarde, la nourriture c'est le soleil, la lune, les étoiles, le centre de gravité, l'Amour de notre vie. Seulement on en a terriblement peur.
Et oui, à la source de ces maladies, il y a la peur: de la nourriture, de nos désirs, du sommeil, du toucher, d'une simple conversation, du contact, de l'amour. La peur d'être un être humain. L'énorme peur de se faire dévorer dès qu'on aura mis un pied dans le monde. La peur de soi : peur de ne pas avoir ce qu'il faut pour y arriver, redoublée par le sentiment de devoir accomplir quelque chose de grandiose. C'est un peu paralysant de s'aventurer dans le monde avec une telle disposition d'esprit, vous ne trouvez pas?
La plupart des gens se disent qu'ils feront ceci ou cela et que tout ira bien. Imaginez, vous, vous partez avec la certitude que vous échouerez de tt façons. Vous rentrez chez vous, éclatez votre baromètre calorique, vomissez. Vous rentrez chez vous, enfilez votre jogging, courrez jusqu'à avoir l'impression (mais n'est-ce vraiment qu'une impression?) que votre genoux se déchire.
Anorexique ou boulimique, vous tenez un remède, les pensées ne partent plus dans tous les sens, il ya un ordre. Ici, je tiens à préciser que bien souvent, et c'est malheureux, la boulimie est considerée comme un cran en dessous de l'anorexie. Elle renvoit aux orgies romaines, et les boulimiques ne portent généralement pas les stigmates bénies d'un corps squelettique. Leur mutilation est privée, plus secrète, plus coupable que la déclaration ouverte des anorexiques dont la maigreur est vénerée. Rien d'admirable il est vrai à s'enfoncer les doigts au fonds de la gorge.
La négation de la chair est, en revanche, non seulement l'aboutissement de siècles de pensées sur la fragilité des femmes, mais l'incarnation de certains idéaux religieux et culturels. Et pourtant, nous vivons dans une culture où la consommation est permanente et effrenée, où l'insasiabilité est quasi universelle. L'adoration du corps anorexique et la haine de la graisse sont le signe non pas que l'anorexie est "belle" ou la graisse méprisable mais que nous sommes déchirés et devons choisir notre camp.
La boulimie reconnaît explicitement et violemment le corps. Elle s'attaque à lui mais ne le renie pas. C'est un acte d'une grande violence, trahissant une angoisse et une colère profonde envers soi-même, acte où s'énonce à la fois DEGOUT et BESOIN.
Dégoût et besoin ont un rapport direct avec le corps et les émotions.
L'hyperphagie (de hyper/ et phagos: l'estomac, le ventre) est une tentative pour contrôler ce qui entre. Se purger permet de définir son corps en rejetant certains contenus. On a besoin de se sentir vivant et de se remplir en absorbant certaines substances, besoin alimenté par le fait que l'on se perçoit comme intraséquement vide ou mort. Boulimique, on est dans l'excès _trop émotive, trop passionnée_, et l'on reporte ce sentiment sur son corps. C'est lui qui en pâtit, mais ce n'est pas lui le véritable problème. Il y a un sentiment de désespoir, un "qu'est ce que çq peut foutre autant que je m'empiffre". Ce constat est dangereux mais réaliste, car il tient compte du fait que le corps est inéluctable.
(L'anorexique, quant à elle, a l'illusion insensée qu'elle peut échapper à la chair, et du même coup à l'emprise des émotions. Le problème est le corps, un problème défini avec un début et une fin, qui sera résolu en se débarassant du corps.)
Voyez l'enfer qu'est devenue votre vie: ne pouvoir avaler une bouchée sans vous demander si, où et quand vous pourrez vomir. Ne pouvoir vous regarder dans la glace sans vous percevoir, au delà de l'image de "gros", comme informe, débordant de vos propres limites corporelles, limites imaginaires que vous ne percevez plus depuis longtemps. La boulimie vous terrifie. Vous savez que quelque chose ne va pas. Que vous ne contrôlez plus rien. Et la première chose que vous vous dites, ce n'est pas "ok, on se calme, si j'y réfléchissais calmement, qu'est ce qui va pas ?"
Non, la première chose que vous vous dites, c'est "MANGER encore". Vite, combler le vide. Vite, se débarasser du plein. Et au lieu de se dire que le meilleur moyen de ne pas être obsédé par la nourriture est de manger normalement, on croit qu'il faut s'en éloigner complétement. On devient anorexique, c'est à dire ni plus ni moins que l'incarnation du vide qui nous habite. Jusqu'au jour où le besoin d'avoir quelque chose sous la dent, de mâcher, d'avaler, devient trop fort.
Car on ne peut pas tromper son propre corps. Et on craque. C'est la revanche du corps sur l'esprit.Un beau jour, on commence à s'empiffer et à se faire vomir presque sans s'en rendre compte.
On se surprend à payer une montagne de courses, à raccrocher après avoir commandé une pizza. Plus moyen de faire marche arrière. On commence même à déchirer les premiers emballages sur le chemin du retour, à enfourner la nourriture, on ne peut pas attendre, tant pis pour les personnes qui nous regardent avec un air effaré.
Cette impulsion, ces pulsions,...Avoir une vie gouvernée par les TCA: qui peut s'imaginer ce que cela signifie à moins de l'avoir vécu?
C'est tout cela qui rend la guérison si difficile. Il faut ariver à penser qu'il existe un juste milieu. Se convaincre que l'on s'en sortira quoi qu'il arrive. Se faire confiance, quand on se sait capable des pires mensonges (aux autres, mais surtout à nous mêmes).
Pour se débarasser de troubles alimentaires qui durent depuis longtemps et qui, dans mon cas, sont apparus en même temps que l'intellect, le corps et l'identité, il faut faire table rase. Et pour y parvenir, il faut pouvoir renoncer à des comportements qui sont si anciens qu'ils ont presque le statut d'instinct primaire.
On ne peut pas aller mieux du jour au lendemain. Il faut du temps. C'est un long et lent processus. Il faut en avoir conscience. De plus, contrairement aux autres dépendances, il n'existe pas de traitement, pas de "pilule miracle"; c'est à soi de faire le travail. C'est la tâche la plus difficile que j'ai jamais eu à accomplir. Mais je sais qu'au final, elle me rendra bcp plus forte.
Même si j'ai encore bcp de mauvais jours, les troubles alimentaires étant une pure habitude, habitude bien plus profondément installée qu'on ne pourrait le croire. Le simple fait d'être dans ma cuisine actionne une manette dans ma tête, une enseigne lumineuse se mets à clignoter "vas-y, BOUFFE!"
Il y a tous les cauchemards, spectrale présence de mes tca, rêves délirants où je me goinfre et cherche déseperément un lieu où vomir, et dont je m'éveille la gorge serrée, des larmes de culpabilité rageuse coulant sur mes joues, le dégoût au bout des lèvres...L'impression d'être un petit hippopotame qui me poursuit des jours durant, que ma peau est trop serrée, que je suffoque.
Il y a les incursions, les doigts lisant le corps comme du braille, comme si l'agencement des os allait donner un sens à ma vie. Les tentatives pour s'extraire des sables mouvants de l'obsession, les glissades en arrière, à ne pas dramatiser mais à prendre très au sérieux, car au delà d'une semaine c'est la rechute . C'est terriblement court, une semaine. Et le besoin est toujours là. Chaque jour. "Allez, rien qu'une fois, tu te sentiras mieux après." Les toilettes ne sont jamais loin. A quelques pas se trouvent la sécurité, le réconfort, le sentiment de soulagement. Tous les jours , il faut se rappeler qu'à quelques pas se trouve l'anéantissement de tous mes efforts, la honte et la culpabilité à venir. Mais aussi la possibilité d'une mort grotesque, vision d'un corps baignant dans une marre de sang et de vomissures, résultat d'une rupture gastrique.
Il y a l'attente, implicite, que l'on me dise que j'ai maigri. Le sursaut de fierté que cette phrase fera naître. Je rêve de ne plus sentir mon coeur s'emballer à ces mots. Je ne veux pas de cette fierté, de ce sentiment fugace d'avoir accompli quelque chose.
Je voudrais manger ce qui me chante, aller au restaurant avec mes amis sans me posre de questions, apprendre à m'aimer, et surtout me percevoir comme autre chose qu'un cerveau relié à une masse vide.
La grande question étant "comment est ce que je veux vivre, et quels moyens mettre en oeuvre pour y arriver ?"
Quelle maladie à la con, quand on y pense ! Une maladie de pays en phase A, maladie de pays riche. Une maladie peu explicable et très difficilement compréhensible quand on ne le vit pas
De manière générale , les gens assimilent trop souvent les troubles de l'alimentation à des manifestations d'orgueil, d'immaturité, de folie.. Si c'est vrai à ceratins égards, ils sont d'abord et surtout UNE VERITABLE DEPENDANCE
Ils ne sont ni une phase ni un signe de folie. Ils constituent un noeud de contradiction mortel, on croit que la maladie protège, rend indépendant, et on s'aperçoit que c'est l'inverse.
Si notre société ne valorisait pas tant la maigreur, peut être que bcp d'entre nous aurait trouvé une manière de nous détruire qui n'aurait pas aussi profondément porté atteinte à notre corps et à notre perception de nous même.
Car les TCA sont à bien des égards une réponse à une culture . Alors oui, sans doute que si nous vivions dans une culture où la maigreur n'aurait pas cette aura étrange la plupart des malades de TCA ne seraient pas tombé(e)s ainsi, passé(e)s de l'autre côté du miroir, dans l'infernal monde des tca où nourriture est synonyme de gloutonnerie, où les murs sont tapissés de glaces déformantes et où la chair est faible. Un monde de métamorphoses, de mirages et de miroirs.
C'est si facile de passer de l'autre côté, tellement plus dur D'EN REVENIR!
Je ne pense pas que l'on ne se remette jamais vraiment de l'anorexie et de la boulimie.
Je ne suis pas pessimiste, j'essaie d'être lucide.
La grande majorité d'entre nous sera hantée par elles notre vie durant. On peut changer de comportement, penser autrement son corps et son identité, abandonner ce mode de relation au monde. On peut apprendre qu'il vaut mieux être un être humain qu'une enveloppe vide.On peut guérir. Mais on n'oublie jamais.
Pour ma part, je sais que j'ai depuis longtemps dépassé le "stade critique des 5ans", stade où les tca font partie intégrante de notre vie, et sont notre manière de gérer nos émotions, le monde dans lequel on vit, notre vie quotidienne.
Pour comprendre cette dépendance qui incombe aux tca, il faut se rendre compte que ces derniers ont des points communs avec la toxicomanie.
On devient , entre autre, dépendant d'un ceratin nombre d'effets, les deux principaux étant la décharge d'adrénaline provoquée par la faim _ on plane, rempli d'une énergie frénétique, incapable de dormir_, et l'intensité accrue de l'expérience _au départ tout a une odeur et un goût plus forts, les sensations tactiles sont plus intenses, les impulsions plus vives.
LE SENTIMENT DE PUISSANCE EST EXTREMEMENT FORT. Mais on devient rapidement accro. Et par la nature même des tca, l'obsession du poids ne diminue pas avec le poids que l'on perds. Au contraire. Plus on s'inquiète de son poids, plus on a envie de maigrir, moins on a une image réaliste de soi. Vous pesez 66 kg, en perdez 2 et vous réjouissez, en perdez deux autres et souriez, le temps passe un jour vous découvrez que vous ne faites plus que 40 kg, vous ne vous réjouissez pas, ça vous est presque égal, vous lancez un regard méprisant à votre reflet dans la glace et repartez en pensant "je suis vraiment énorme! maigrir encore!!"
C'est que, quand on commence à faire des régimes, le mode de pensée se modifie radicalement: on devient obnubilé par la nourriture. Certain(e)s continuent de penser que si nous diminuons nos rations quotidiennes de matières grasses, sucres,calories, ect.. nous perdrons du poids et tout sera comme avant sauf que nous serons plus minces.
En fait, rien ne sera plus comme avant.
Vous aurez constamment envie de parler de nourriture. Vous aurez constamment besoin d'avoir un goût dans la bouche. Vous voudrez que tout est un goût intense.
Dans cette quête frénétique d'une saveur non coupable vous perdrez tout rapport normal à la nourriture. Essairez de vous remplir la bouche mais pas l'estomac, pour essayer de faire croire à l'Esprit que l'on est rassasié.
Peu de monde fera attention à ce manège, faire des régimes est à la mode de nos jours. Notre génération et la précédente font semblant de se désinteresser de la nourriture. Nous sommes "trop occupés", "trop stressés", pour manger. Regardez autour de vous, écoutez.
Combiende fois entendrez vous "Oh je n'ai pas faim. Je n'aime pas manger le matin (l'après midi, le soir , quand il pleut, quand il fait beau, quand il fait froid/chaud, quand j'ai mal au tibia,les jours fériés, aux fêtes, avant ou après 1h du matin...)
A nous entendre, nous n'avons jamais faim. Nous nous contentons d'avaler de petites boulettes d'énergie, comme dans les jeux vidéos. La nourriture nous donne la nausée, et puis c'est sale.
A nous entendre, nous sommes des êtres éthérés pour qui les repas sont une corvée. QUELLE VASTE CONNERIE!!
C'est que manger, comme faire l'amour, est perçu comme un aveu de faiblesse. On a succombé aux vils plaisirs de la chair. On est devenu un être dissolu, les passions échappant à tout espèce de contrôle. Dans notre culture, une femme comme il faut doit manger et faire l'amour en soupirant et en regardant le plafond. Une femme comme il faut doit avoir un appétît d'oiseau. Les très jeunes filles commencent à imiter les femmes autour d'elles. Elles parlent de "surveiller leur ligne", de "faire attention" (A quoi bon sang ?!), se pincent le ventre avec un air circonspect. Devenir femme signifie aussi MEPRISER SON CORPS, ETRE DANS UN ETAT DE MANQUE PERMANENT.
Imaginez, 30 secondes. Vous marchez dans la rue, croisez une jeune femme mince en train de manger une gauffre. Quel regard porterez vous sur elle? Que penserez vous?
Quelque mètres plus loin, vous croisez une personne obèse, également en train de manger une gauffre. Que penserez vous? Quel regard porterez vous sur elle?
Fiez vous à votre réaction naturelle. Oui, nous sommes formatés. La mince aura notre sympathie, "elle se fait plaisir c'est bien", quand la personne obèse aura au mieux votre mépris au pire votre dégout "elle pourrait se contrôler/ faire attention"
Notre génération a grandi avec la télévision, les magazines pour ados et les panneaux publicitaires, tous truffés de conseils "perdez votre cellulite musclez vous devenez mince". Le corps "parfait" devient une vitrine, une babiole de luxe.
Quand au corps anorexique il exerce une attraction puissante. Les magazines, publicités, et autre porteur de la cacophonie culturelle nous sereinant de maigrir, nous ont appris que nous pouvions nous débarasser de notre chair, perdre "magiquement" des kilos, les faire "fondre", les regarder "disparaitre". Pour une somme modique, nous pouvons nous aussi prétendre à un corps mince. Quelle joie!Et bcp s'y jettent la tête la première. Puisque tout le monde y va, ce n'est pas si dangereux que ça, non?
A mesure que le français moyen devient plus gros, la fascination pour le corps anorexique croît. C'est un paradoxe terrible.
La nourriture a de manière générale 2 fonctions essentielles pour les humains. Elle fait d'abord naître un sentiment de plénitude, la nourriture physique se transformant dans notre esprit en nourriture affective. Lorsqu'on se goinfre pendant une crise, on a l'impression, même passagère, de combler un vide. Ensuite, la nourriture a un effet apaisant sur le cerveau. Ne croyez donc surtout pas que l'on déteste manger. C'est faux.
Anorexique ou boulimique, on est littéralement habité par la nourriture. On en rêve, on la regarde, la nourriture c'est le soleil, la lune, les étoiles, le centre de gravité, l'Amour de notre vie. Seulement on en a terriblement peur.
Et oui, à la source de ces maladies, il y a la peur: de la nourriture, de nos désirs, du sommeil, du toucher, d'une simple conversation, du contact, de l'amour. La peur d'être un être humain. L'énorme peur de se faire dévorer dès qu'on aura mis un pied dans le monde. La peur de soi : peur de ne pas avoir ce qu'il faut pour y arriver, redoublée par le sentiment de devoir accomplir quelque chose de grandiose. C'est un peu paralysant de s'aventurer dans le monde avec une telle disposition d'esprit, vous ne trouvez pas?
La plupart des gens se disent qu'ils feront ceci ou cela et que tout ira bien. Imaginez, vous, vous partez avec la certitude que vous échouerez de tt façons. Vous rentrez chez vous, éclatez votre baromètre calorique, vomissez. Vous rentrez chez vous, enfilez votre jogging, courrez jusqu'à avoir l'impression (mais n'est-ce vraiment qu'une impression?) que votre genoux se déchire.
Anorexique ou boulimique, vous tenez un remède, les pensées ne partent plus dans tous les sens, il ya un ordre. Ici, je tiens à préciser que bien souvent, et c'est malheureux, la boulimie est considerée comme un cran en dessous de l'anorexie. Elle renvoit aux orgies romaines, et les boulimiques ne portent généralement pas les stigmates bénies d'un corps squelettique. Leur mutilation est privée, plus secrète, plus coupable que la déclaration ouverte des anorexiques dont la maigreur est vénerée. Rien d'admirable il est vrai à s'enfoncer les doigts au fonds de la gorge.
La négation de la chair est, en revanche, non seulement l'aboutissement de siècles de pensées sur la fragilité des femmes, mais l'incarnation de certains idéaux religieux et culturels. Et pourtant, nous vivons dans une culture où la consommation est permanente et effrenée, où l'insasiabilité est quasi universelle. L'adoration du corps anorexique et la haine de la graisse sont le signe non pas que l'anorexie est "belle" ou la graisse méprisable mais que nous sommes déchirés et devons choisir notre camp.
La boulimie reconnaît explicitement et violemment le corps. Elle s'attaque à lui mais ne le renie pas. C'est un acte d'une grande violence, trahissant une angoisse et une colère profonde envers soi-même, acte où s'énonce à la fois DEGOUT et BESOIN.
Dégoût et besoin ont un rapport direct avec le corps et les émotions.
L'hyperphagie (de hyper/ et phagos: l'estomac, le ventre) est une tentative pour contrôler ce qui entre. Se purger permet de définir son corps en rejetant certains contenus. On a besoin de se sentir vivant et de se remplir en absorbant certaines substances, besoin alimenté par le fait que l'on se perçoit comme intraséquement vide ou mort. Boulimique, on est dans l'excès _trop émotive, trop passionnée_, et l'on reporte ce sentiment sur son corps. C'est lui qui en pâtit, mais ce n'est pas lui le véritable problème. Il y a un sentiment de désespoir, un "qu'est ce que çq peut foutre autant que je m'empiffre". Ce constat est dangereux mais réaliste, car il tient compte du fait que le corps est inéluctable.
(L'anorexique, quant à elle, a l'illusion insensée qu'elle peut échapper à la chair, et du même coup à l'emprise des émotions. Le problème est le corps, un problème défini avec un début et une fin, qui sera résolu en se débarassant du corps.)
Voyez l'enfer qu'est devenue votre vie: ne pouvoir avaler une bouchée sans vous demander si, où et quand vous pourrez vomir. Ne pouvoir vous regarder dans la glace sans vous percevoir, au delà de l'image de "gros", comme informe, débordant de vos propres limites corporelles, limites imaginaires que vous ne percevez plus depuis longtemps. La boulimie vous terrifie. Vous savez que quelque chose ne va pas. Que vous ne contrôlez plus rien. Et la première chose que vous vous dites, ce n'est pas "ok, on se calme, si j'y réfléchissais calmement, qu'est ce qui va pas ?"
Non, la première chose que vous vous dites, c'est "MANGER encore". Vite, combler le vide. Vite, se débarasser du plein. Et au lieu de se dire que le meilleur moyen de ne pas être obsédé par la nourriture est de manger normalement, on croit qu'il faut s'en éloigner complétement. On devient anorexique, c'est à dire ni plus ni moins que l'incarnation du vide qui nous habite. Jusqu'au jour où le besoin d'avoir quelque chose sous la dent, de mâcher, d'avaler, devient trop fort.
Car on ne peut pas tromper son propre corps. Et on craque. C'est la revanche du corps sur l'esprit.Un beau jour, on commence à s'empiffer et à se faire vomir presque sans s'en rendre compte.
On se surprend à payer une montagne de courses, à raccrocher après avoir commandé une pizza. Plus moyen de faire marche arrière. On commence même à déchirer les premiers emballages sur le chemin du retour, à enfourner la nourriture, on ne peut pas attendre, tant pis pour les personnes qui nous regardent avec un air effaré.
Cette impulsion, ces pulsions,...Avoir une vie gouvernée par les TCA: qui peut s'imaginer ce que cela signifie à moins de l'avoir vécu?
C'est tout cela qui rend la guérison si difficile. Il faut ariver à penser qu'il existe un juste milieu. Se convaincre que l'on s'en sortira quoi qu'il arrive. Se faire confiance, quand on se sait capable des pires mensonges (aux autres, mais surtout à nous mêmes).
Pour se débarasser de troubles alimentaires qui durent depuis longtemps et qui, dans mon cas, sont apparus en même temps que l'intellect, le corps et l'identité, il faut faire table rase. Et pour y parvenir, il faut pouvoir renoncer à des comportements qui sont si anciens qu'ils ont presque le statut d'instinct primaire.
On ne peut pas aller mieux du jour au lendemain. Il faut du temps. C'est un long et lent processus. Il faut en avoir conscience. De plus, contrairement aux autres dépendances, il n'existe pas de traitement, pas de "pilule miracle"; c'est à soi de faire le travail. C'est la tâche la plus difficile que j'ai jamais eu à accomplir. Mais je sais qu'au final, elle me rendra bcp plus forte.
Même si j'ai encore bcp de mauvais jours, les troubles alimentaires étant une pure habitude, habitude bien plus profondément installée qu'on ne pourrait le croire. Le simple fait d'être dans ma cuisine actionne une manette dans ma tête, une enseigne lumineuse se mets à clignoter "vas-y, BOUFFE!"
Il y a tous les cauchemards, spectrale présence de mes tca, rêves délirants où je me goinfre et cherche déseperément un lieu où vomir, et dont je m'éveille la gorge serrée, des larmes de culpabilité rageuse coulant sur mes joues, le dégoût au bout des lèvres...L'impression d'être un petit hippopotame qui me poursuit des jours durant, que ma peau est trop serrée, que je suffoque.
Il y a les incursions, les doigts lisant le corps comme du braille, comme si l'agencement des os allait donner un sens à ma vie. Les tentatives pour s'extraire des sables mouvants de l'obsession, les glissades en arrière, à ne pas dramatiser mais à prendre très au sérieux, car au delà d'une semaine c'est la rechute . C'est terriblement court, une semaine. Et le besoin est toujours là. Chaque jour. "Allez, rien qu'une fois, tu te sentiras mieux après." Les toilettes ne sont jamais loin. A quelques pas se trouvent la sécurité, le réconfort, le sentiment de soulagement. Tous les jours , il faut se rappeler qu'à quelques pas se trouve l'anéantissement de tous mes efforts, la honte et la culpabilité à venir. Mais aussi la possibilité d'une mort grotesque, vision d'un corps baignant dans une marre de sang et de vomissures, résultat d'une rupture gastrique.
Il y a l'attente, implicite, que l'on me dise que j'ai maigri. Le sursaut de fierté que cette phrase fera naître. Je rêve de ne plus sentir mon coeur s'emballer à ces mots. Je ne veux pas de cette fierté, de ce sentiment fugace d'avoir accompli quelque chose.
Je voudrais manger ce qui me chante, aller au restaurant avec mes amis sans me posre de questions, apprendre à m'aimer, et surtout me percevoir comme autre chose qu'un cerveau relié à une masse vide.
La grande question étant "comment est ce que je veux vivre, et quels moyens mettre en oeuvre pour y arriver ?"