Je me suis pris une salutaire gifle, quoique tardive. Je pensais vraiment avoir à peu près pris conscience des mécanismes de domination sexiste, de leur enracinement dans les mentalités, et les avoir largement extirpés de la mienne. Je connais les statistiques terrifiantes des viols dans notre société, et mon expérience du syndicalisme étudiant m'a permis d'avoir accès à des formations en matière de féminisme et d'anti-sexisme qui m'ont été plus que précieuses.
Sauf qu'il y a de cela 5 ans (en plein militantisme susnommé, donc), une de mes amies, R., rencontrée sur un autre forum, a hébergé dans sa chambre d'étudiante un pote plutôt populaire du même site, J. Elle a raconté comment il l'avait draguée alors qu'ils étaient couchés, à grands renforts de contacts physiques intempestifs, malgré ses refus répétés. Il a heureusement fini par abandonner, mais R. avait passé l'une des pires nuits de sa vie, empoisonnée par la peur. Elle avait songé à porter plainte, et qualifier J. de "violeur".
Ça avait fait du bruit à l'époque, parmi la bande de potes forumeurs (dont je faisais également partie). Et l'avis général était que J. avait "juste été un gros lourd" (c'était le terme consacré), mais qu'il était "beaucoup trop niais et romantique" pour faire du mal à une fille, qu'il était de toutes manières naturellement, et même culturellement (il était antillais, une région apparemment plus chaleureuse que la métropole) tactile, que R., connues pour ses convictions féministes affirmées et son caractère emporté, avait sur-réagi, et qu'il était déplorable que cette histoire ait plombé l'ambiance au sein du forum. Un petit groupe réuni pour un wk à Rennes en était arrivé aux mêmes conclusions un soir entre la poire et le fromage. Outre moi, il comprenait mon meilleur pote d'alors et camarade de SUD-étudiant-e-s, qui était aussi celui de R. (si), et deux ami-e-s étudiant-e-s en psycho, que du gauchiste et de la progressistes cultivé-e-s et sensibles aux problèmes des inégalités.
Aucun d'entre nous, pas même la seule fille du groupe, n'a envisagé un instant que J. n'avait pas à insister après un refus et qu'il avait commis une violence traumatisante. Et ce n'est qu'à la lecture de ce tumblr que cette histoire m'est revenue à l'esprit. Je ne sais toujours pas si R. avait raison de qualifier J. de "violeur", mais je sais que nous avions tort en niant la gravité de cette histoire, et en refusant de remettre en cause notre certitude qu'il était un type bien. J'ai mis 5 ans à m'en rendre compte.
Et je repense avec des sueurs froides à cette soirée de fin de lycée, où une fille, draguée avec succès par un vague pote, s'était retrouvée ivre au point de ne plus pouvoir marcher. Ses amies avaient heureusement décidé de la ramener chez elle, et elles se mirent en route avec trois ou quatre mecs qui se relayaient pour la soutenir, dont moi et le vague pote dont j'ai maintenant oublié le nom, tout ce beau monde plus ou moins imbibé. Au cours du chemin, elle s'est plainte que quelqu'un lui touchait la poitrine, avant de retomber dans un quasi-coma éthylique. Des parents d'une de ses amies sont finalement venus la chercher en voiture.
En rentrant vers la maison où se tenait la fête, un de mes copains a avoué sans aucune gêne qu'il lui avait effectivement "un peu touché les seins", mais pas beaucoup, les amies l'entourant. Le type qui avait dragué la fille ivre avait approuvé en riant, déclarant en substance qu'il était heureux si ses potes avait pu profité de sa conquête. J'ai des nausées en repensant à cet épisode glauque où des types au demeurant sympathiques s'étaient conduits de façon aussi répugnante, mais sur le coup, du haut de mes presque 18 ans, je m'étais contenté d'un rire plus ou moins gêné, et d'ignorer soigneusement cette fille par la suite (heureusement pour elle, cette soirée n'a pas impacté sa vie sociale). Surtout, en lisant ce tumblr, je me demande ce qui se serait passé si elle avait été seule avec les garçons. Si l'ignoble était arrivé, aurais-je participé ? J'ose croire que non. Enfin, j'espère. Aurais-je tenté de l'empêcher ? Aussi effroyable que cela puisse être, je dois bien avouer que je n'en suis pas sûr. A l'époque, je ne pense pas que j'aurais considéré comme un viol le fait d'imposer une relation sexuelle à une fille trop ivre pour donner un consentement ou pour exprimer un refus constant.
Et donc je me suis dit que si ce tumblr peut contribuer à faire prendre conscience de la profondeur des réflexes sexistes dans l'inconscient collectif (et individuel), ça vaut le coup de le partager. Je ne sais pas si parmi vous il y a des expérience semblables à celles que j'ai racontées (j'espère que je ne suis pas le seul à avoir été un connard sexiste
