Lectures déstabilisantes

Les bouquins et les maisons d'édition.
Eilraet
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Eilraet »

Je sais assez peu pourquoi mais le bouquin qui m'a mis le plus mal à l'aise est très certainement Half Broken Things de Morag Joss. Ma mère me l'avait acheté à une époque où je me suis mis à lire pas mal en anglais, un vendeur ayant réussi à la persuader que ce bouquin avait eu beaucoup de succès (bon, c'est pas faux, mais quand même).

Arrivé au quart, je n'accrochais absolument pas, le bouquin m'avait laissé la même impression que si j'avais regardé le générique d'un film, impatient que quelque chose se passe, avant de me rendre compte que ce que je prenais pour le générique n'était autre que le film lui même. Mon niveau d'anglais étant suffisamment bon, je comprenais bien les évènements (peut être qu'un niveau de lecture m'a échappé par contre), mais je n'avais aucun empathie avec les personnages, ce livre me faisait profondément chier.

Je me suis forcé à lire jusqu'à la moitié, parce que mon égo en aurait pris un coup de ne pas le finir. Je me suis retrouvé complètement emporté dans cette mécanique lugubre, ou des personnages qui n'avaient pour moi aucun relief, et aucune existence autre que syntaxique et grammaticale - les palpitantes aventures d'un groupe de meubles - commençaient à se retrouver embarqués dans une spirale de fausseté et d'auto destruction. J'en étais rendu à lire à propos de la profonde intensité de ce qui était à mes yeux un néant absolu. C'est finalement la fatigue qui m'avait aidé à lâcher le bouquin, et depuis je lui voue une haine des plus profondes.

Je l'avais emmené dans mon voyage en Angleterre, et malgré trois tentatives, je n'ai jamais réussi à le laisser dans la collection de livres de ma famille d'accueil (j'avais l'impression de leur faire un cadeau empoisonné, alors que mon intention était de le leur laisser sans les prévenir), je l'ai donc ramené en France un peu honteux. Il est resté à traîner sur mon bureau pendant des semaines, parce que je n'osais pas y toucher pour éviter d'être tenté de le lire. Puis je l'ai caché dans la bibliothèque de mes parents. Sauf qu'étant le seul à lire en anglais, ma mère a cru bon de le déplacer pour le remettre avec mes autres bouquins en anglais. Désemparé, j'ai vaguement essayé de convaincre des amis de me le prendre, mais il faut dire que je n'en faisais pas particulièrement une bonne pub.

Finalement au bout de quelques années, où la vue du bouquin me mettait toujours mal à l'aise, mais où je me démerdais pour l'éviter, un ami à qui j'avais parlé de ce malaise profond que m'inspirait ce livre m'a donné un lien vers la bande annonce du film. Curieux, j'ai cliqué. Tout s'est très bien passé les premières minutes, l'accent anglais attirait mon attention, les acteurs donnaient un peu de vie à mes personnages. Et puis tout d'un coup, j'ai reconnu le bouquin dans la bande annonce, à travers des répliques, et l'intrigue qui commençait à apparaitre. J'ai arrêté la lecture (de la vidéo), je me suis précipité dans ma chambre et j'ai à nouveau caché le livre dans la bibliothèque de mes parents.

Et là du coup, j'ai profité de mon déménagement pour "oublier" de le prendre :mrgreen:
logik
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par logik »

Je crois que j'ai aussi été marquée par J'irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian.
Le livre On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, de jenesaisplusquipardon lui aussi m'a marqué car c'était pour moi une de mes premières lectures sur le sida, l'anorexie et la détresse.
Apocalypse Bébé de Virginie Despentes aussi à vrai dire, sans doute parce que c'était un des premiers livres clairement catégoriés gays que j'ai lu (acheté par mon frère, en plus :ninja: )
Jabal
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Jabal »

Pas dans le sens dégout, mais plutot un grand vide/débordement d'émotions, nouveau sens à ma vie.

Blood River: A Journey to Africa's Broken Heart, de Tim Butcher.

Ecrit en 2004, c'est un journaliste qui est parti suivre la route de Stanley sur 2400km de la rivière Congo, à pied, en moto, en bateau... http://www.bloodriver.co.uk/.
Et c'est incroyable, ce qu'il écrit sur le Congo. Des villes de millions d'habitants reliées entre elles par des... sentiers. Des gens qui poussent un vélo plein de bidons de gazole sur 600km de jungle remplie de guerrilleros pour se faire assez de sous pour manger. L'état de délabrement et d'abandon d'une énorme partie de l'afrique, ou il n'existe pas un seul homme blanc. Son livre est fascinant, son périple extremement dangereux.
Et ça a fait un électrochoc, je m'étais toujours dit que j'étais née dns le mauvais siècle parce qu'il n'y avait plus d'endroits à découvrir, que tout était déjà fait.
Mais pas dans les zones de guerre, ou les zones politiquement instables. Là, tout est à redécouvrir au jour le jour, et on peut se faire payer pour le faire. Et dans mon hamac, dans une autre jungle, je me suis dis qu'un jour..... inch'allah
Et Kingsley Holgate, c'est super aussi, dans le genre explorateur récent..... :amour: :amour: :amour: :amour:
Parmenide
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Parmenide »

Le voyage d'hiver d'Amelie Nothomb, quelle phénoménologue cachée cette Nothomb. :D
Nitenshi
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Nitenshi »

Je crois que le livre qui m'a le plus traumatisé c'est Let the Right One In. J'avais vu le film que j'avais adoré (bien qu'il m'avait pas mal choqué aussi) et j'ai eu envie de lire le bouquin duquel c'était issu. Et je dois dire que je n'ai pas été déçu. Si le film est juste gore avec une histoire touchante, le livre est psychologiquement perturbant. Avec des histoires de meurtres en série, de pédophilie, de brutalité, les personnages pathétique dont on finit par s'attacher sans compter bien entendu le côté gore du film qui est toujours présent (ben oui, c'est une histoire de vampire pour ceux qui ne connaissent pas).
Personnellement, j'ai beaucoup aimé l'histoire vu que j'aime bien me faire peur (bon, sur le coup, j'aime moins ça mais c'est une autre histoire :D) mais il faut quand même pas mal s'accrocher. Donc je ne saurais que le conseiller mais âmes sensibles d'abstenir.
Manchette
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Manchette »

Personne n'a cité Brian Evenson, c'est curieux (il faut dire que le bonhomme n'est pas non plus une super star des lettres).
Mormon, on lui a laissé le choix entre l'écriture et la religion, tant ce qu'il écrivait était fâcheux pour ces bigots particulièrement étroits d'esprit.
Du coup, le bonhomme a heureusement choisi la littérature, perdant au passage sa femme et ses enfants restés chez les mormons.

Il est publié en français dans l'excellente collection Lot 49, une oeuvre hantée par la religion, la sexualité, la transgression et les tabous.

N'hésitez pas : ça secoue sec !
Juuune
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Juuune »

Miracle de la rose, Notre-Dame-des-Fleurs et Journal du voleur de Jean Genet. Ces livres m'ont euh, comment dire ?

perturbée

Ils sont à la fois obscènes et bouleversants de sensibilité. Le narrateur (qui s'appelle Jean Genet lui aussi) tombe toujours amoureux des "pires", des macs les plus traîtres, les plus fourbes, les plus cruels. Deux romans sur trois se passent en prison. L'autre raconte une vie de mendiant. Jean Genet fait de la poésie à partir de tout, à partir de rien si l'on veut, par exemple, le léger filet de crachat de son amant Stilitano, qui se balade toujours entre les lèvres. Mais ce n'est pas de l'humour, ce n'est pas du troisième degré, c'est vraiment quelque chose de sincère. Je ne saurais pas vous dire pourquoi et comment mais c'est émouvant et on sort de ces lectures complètement changé. Il y a dans Journal du voleur, aussi absurde que cela puisse paraître, trois pages profondément poétiques au sujet d'un certain tube de vaseline.
Dernière modification par Juuune le jeu. févr. 23, 2012 4:48 pm, modifié 1 fois.
Calamity
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Calamity »

Sans aucun doute le livre qui m'a le plus destabilisé dans le mauvais sens du terme est L'histoire de l'oeil de George Bataille.
J'ai directement compris pourquoi il avait été incarcéré dans un asile pendant quelques temps.. Certain pense que c'est un génie...mon avis et qu'il été surtout un sacré pervers !
Sigma
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Sigma »

Réponse immédiate, Se questo è un uomo, de Primo Levi. Je n'ai même pas eu la force d'aller jusqu'au bout la première fois que j'ai essayé de le lire. Les phrases ajoutées les unes aux autres formaient un tissu d'horreurs tellement affreuses et incompréhensibles, je n'avais jamais été confrontée aussi directement à l'ampleur de la cruauté inconsciente et froide développée dans les camps de concentration.
Et lié aussi à la Seconde Guerre mondiale, Le Joueur d'Echecs, de Stefan Zweig. Je ne sais pas quelle est la pire torture des deux exposées dans ces livres.
Eustache
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Re: Lectures déstabilisantes

Message par Eustache »

De ceux que j'ai vu dans les pages précédentes, j'ai lu Le Corps Exquis de Poppy Z. Brite qui est en effet assez extrême - bien qu'il m'ait moins choqué que d'autres. À certains moments, je l'ai juste trouvé trash pour être trash et à d'autres un peu cliché... Mais bon, faut dire que j'avais lu pas mal de bios de tueurs de série pour rédiger un texte auparavant, donc peut-être que j'étais un peu rôdé.

Lovecraft est un de mes auteurs incontournables. J'aime énormément certaines nouvelles comme Les Rats dans les Murs ou Je suis d'Ailleurs, qui ont une ambiance oppressante lugubre et desespérée. Dans le même genre il y a aussi William Hope Hodgson avec par exemple son Les Pirates Fantômes et ses nouvelles sur les moisissures qui envahissent tout... bien que le style, lourd et archaïque, puisse rebuter.

Un autre auteur qui m'a déstabilisé, c'est Cormac McCarthy. J'ai lu Méridien de Sang et Un Enfant de Dieu, les deux livres m'ont profondément marqué, par leur peinture à la fois curieusement détachée, souvent presque lyrique (et dans tout les cas poétique) de faits horribles et terrifiants (les massacres d'indiens ou de cowboys pour l'un, le retour à l'état sauvage et la nécrophilie pour l'autre). Et le style McCarthien est très particulier, avec cette quasi absence de ponctuation, ses "et" incessants et ses dialogues sans indications. Très bizarre, mais très profondément marquant.
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