Julien Green

Les bouquins et les maisons d'édition.
Harmodius
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Julien Green

Message par Harmodius »

Je ne suis pas sûr que ça aille bien dans cette section, parce qu'en fait si je vais vous parler de Julien Green, c'est aussi pour parler d'homosexualité, mais enfin ça ne rentre nulle part aussi bien qu'ici.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Green
Julien Green, donc, est un écrivain du XXe siècle, né en 1900 et mort en 1998, qui a cette double particularité d'être catholique et homosexuel (il s'est converti au catholicisme vers 14 ou 15 ans, après avoir été élevé dans une famille protestante). Il a écrit presque toute son oeuvre en français, mais il était de nationalité américaine et n'a jamais été naturalisé français.
Quand je lis des auteurs, j'ai besoin, pour les aimer, d'une façon générale, qu'ils ou elles soient à la "bonne distance" de moi, c'est-à-dire que leur vie et leur oeuvre présentent le bon dosage de proximité et de distance vis-à-vis de ma propre vie, de mes propres idées, etc. J'aime beaucoup Hugo, autant par ce qui le rapproche de moi (ses idéaux progressistes et, en un sens, "révolutionnaires"...) que par ce qui l'en éloigne (je le trouve aussi incroyablement naïf parfois, il est d'un idéalisme stupéfiant...). Pareil pour Louis Aragon : j'aime beaucoup de choses en lui, son romantisme, son communisme, son rapport à la tradition poétique... mais je me sens complètement étranger à son stalinisme, ou à son patriotisme. Du coup je me suis dit qu'en tant qu'homosexuel athée, ça me ferait peut-être du bien de lire le Journal d'un homosexuel catholique. Marcel Jouhandeau étant quand même un peu trop rance à mon goût (collabo, antisémite... j'y jetterai peut-être un oeil par curiosité, mais c'est vraiment pas le genre de type pour qui j'aurais envie d'éprouver de l'empathie...), je me suis tourné vers Julien Green et j'ai acheté le premier volume de son Journal, ou plus exactement le "prologue" de son Journal, publié après les autres volumes, et qui couvre les années 1919-1924. Son titre, plagiant Rimbaud (encore un pédé, comme par hasard :D) : "On est si sérieux quand on a dix-neuf ans"...

Alors pour le dire vite : j'aime beaucoup. J'aime beaucoup le style, très classicisant dans sa retenue et dans sa "pudeur" (j'ai l'impression, pour le peu que j'en ai lu, que la "pudeur" est une porte d'entrée intéressante dans son oeuvre), en même temps qu'assez romantique (version Musset, "mal du siècle", et version Vigny, Chatterton) dans son exaltation sourde et triste du moi, de la solitude, de la vie intérieure et spirituelle. Cela me touche beaucoup énormément, je trouve ça beau et triste, et quoique ses tourments ne soient pas les miens (l'idée de la damnation et du péché ne me concernent pas, je ne me sens pas du tout préoccupé par le conflit de l'âme et de la chair...), je pense, je suppose, je suppute que le comprends mieux, peut-être, que ne le ferait un hétérosexuel.

Du coup j'ai tapé son nom dans Youtube, et je suis tombé là-dessus :


Je vous conseille vraiment de la regarder, ça m'a aussi beaucoup marqué et touché, Bernard Pivot est pénible à faire son cirque, mais Julien Green, vieux cette fois mais parlant de sa jeunesse, parle avec une mélancolie à la fois émouvante et déprimante. Là encore, mutatis mutandis, je ne trouve pas que sa condition soit absolument sans aucun rapport avec la mienne (et la vôtre ?).
Je ne veux pas spoiler, mais les derniers mots de l'entretien sont terribles, malgré la discrétion et la pudeur avec lesquelles ils sont prononcés.




Allez, un petit extrait :
Nuit du 12 avril [1922], mercredi. - Plonger au plus profond d'un être que l'on aime pour y saisir à vif les sentiments les plus intimes, puis se trouver tout à coup au seuil même du sanctuaire de l'âme, quoi de plus troublant, de plus émouvant ? Sous les apparences, pénétrer l'identité mystérieuse, découvrir une personnalité palpitante de vie et de passion.
Je lui parlais ce soir, à cet ami dont l'affection restera le plus pur et le plus délicieux souvenir de ma jeunesse. Retenu jusqu'alors par une sorte de pudeur, soudain il se laissa emporter par son élan d'amitié ; et alors, ce que je n'eusse jamais espéré il y a quelques mois, vinrent les confidences, les aveux de joies secrètes et de douleurs que l'on cache. Commence pour moi l'amitié, parfaite, sans ombre. De tels moments donnent à la vie sa vraie valeur.
aldara
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Re: Julien Green

Message par aldara »

Bein dommage que ton très intéressant sujet sur green n'ai a ce jour pas encore été commenté c'est pourtant un écriavain qui mérité plus d'attention et de plus ton topic sur lui est bien écrit clair et apporte en tous cas à ceux qui ne le connaissent pas une opportunité de prendre contact avec son oeuvre . Il est injuste la qualité de ta synthèse qui sans être lassante va à l'essentiel n'ai pas rencontrée l'impacte qu"elle méritait . Désolée ...
Aramis
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Re: Julien Green

Message par Aramis »

aldara a écrit : (...) Il est injuste la qualité de ta synthèse qui sans être lassante va à l'essentiel n'ai pas rencontrée l'impacte qu"elle méritait . Désolée ...
Mais si, il y a eu un impact ! Le post d'Harmodius m'a incité à chercher à lire des livres de Julien Green.
En fait, je me suis aperçu qu'il y a très longtemps j'en avais déjà lu un, celui sur François d'Assise ("Frère François").

J'ai parcouru le court livre signalé par Harmodius ("On est si sérieux quand on a 19 ans"), mais je suis resté sur ma faim... d'autant plus que Julien Green explique dans la préface que ce journal avait été perdu et qu'une partie (seulement) a été retrouvée dans une malle par l'ami à qui elle avait été confiée. Pour lire ce document, il faut disposer d'une biographie de Julien Green, sinon on ne comprend pas grand chose, notamment l'extrait (magnifique) cité par Harmodius. Je m'étais procuré auparavant la biographie ("Julien Green, corps et âme") écrite par Louis-Henri Parias, puis j'ai eu la chance de trouver dans une bibliothèque son autobiographie (dans le tome V de La Pléiade, mais on la trouve aussi en volumes séparés). Je crois que c'est vraiment cela qu'il faut lire. Pas seulement pour ce qui concerne sa sexualité (dans "On est si sérieux quand on a 19 ans", il n'écrit rien par exemple sur la nuit - et les suivantes ! - où il franchit le pas et se fait un plan cul avec un inconnu dans un jardin). Mais aussi, et peut-être même surtout, pour tout le reste : ses ivresses de bonheur quand il est en enfant, sa découverte de l'Italie etc.

Le lien avec la video de Youtube indiqué par Harmodius n'est plus valide (à moins qu'il faille faire une manoeuvre que j'ignore). Les 9 premières minutes de l'entretien peuvent être vues ici :
Dernière modification par Aramis le lun. févr. 04, 2013 10:52 am, modifié 1 fois.
Aramis
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Re: Julien Green

Message par Aramis »

On trouve pas mal de choses intéressantes sur le site de
la Société Internationale d’Etudes Greeniennes :
http://juliengreen.paris-sorbonne.fr/

notamment un article en deux parties sur "L’indicible de l’homosexualité dans l’œuvre de Julien Green" :

http://juliengreen.paris-sorbonne.fr/qu ... xualite-16
http://juliengreen.paris-sorbonne.fr/qu ... osexualite
Harmodius
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Re: Julien Green

Message par Harmodius »

Merci pour les liens !

J'ai pas tellement avancé dans mes lectures de Green depuis que j'ai créé ce topic :) J'ai lu un autre tome de son Journal (quand il a plus de 90 ans...), mais c'est beaucoup moins intéressant, ça parle moins de sentiments et d'émotions, et plus de considérations sur la religion, la musique, la littérature. C'est beaucoup plus froid. Et le personnage, vieux, est très antipathique (y a vraiment des passages carrément racistes en fait). J'avais essayé de lire son autobiographie Jeunes Années, mais le début m'est un peu tombé des mains !
Aramis
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Re: Julien Green

Message par Aramis »

Harmodius a écrit :Merci pour les liens !

J'ai pas tellement avancé dans mes lectures de Green depuis que j'ai créé ce topic :) J'ai lu un autre tome de son Journal (quand il a plus de 90 ans...), mais c'est beaucoup moins intéressant, ça parle moins de sentiments et d'émotions, et plus de considérations sur la religion, la musique, la littérature. C'est beaucoup plus froid. Et le personnage, vieux, est très antipathique (y a vraiment des passages carrément racistes en fait). J'avais essayé de lire son autobiographie Jeunes Années, mais le début m'est un peu tombé des mains !
Saute le début de son autobiographie alors ! La suite vaut le coup, je crois.
A propos de racisme, un passage intéressant est le récit de ses vacances à Savannah, en plein "Sud", comme il dit. Car il a gardé de sa mère l'attachement aux "Sudistes" et à l'idée qu'ils n'avaient pas vraiment défendu l'esclavagisme durant la guerre de Sécession. A la fin de sa vie il a écrit un roman qui se déroule dans le Sud. Sur Daily Motion, on trouve un entretien avec lui portant sur cet ouvrage.

Dans le tome que tu as lu, parle-t-il de son copain et fils adoptif, Eric Jourdan (qui fut à 16 ou 17 ans l'auteur sulfureux d'un livre sur les amours de 2 cousins) ? Voici un entretien avec lui :
http://espacecreationjeanlouis.blogspot ... urdan.html
Lorsque Julien Green était sur le point de mourir, Eric Jourdan glissa entre ses mains le portrait de sa mère. Il semble qu'il y avait entre eux des liens très profonds. Et pourtant, quand on lit ton commentaire sur l'un des derniers tomes du Journal et l'entretien avec Eric Jourdan, cela parait étonnant.
A la fin de sa vie, Julien Green enregistrait son journal au lieu de l'écrire. Puis Eric le reprenait et enlevait certaines choses (certains noms en particulier) et enfin Julien Green relisait. Le texte non expurgé ne sera pas publié avant quelques dizaines d'années. Peut-être a-t-il écrit des choses encore plus racistes que ce que tu as lu !!
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