Séries killeuses
De «24 Heures chrono» à «The Shield»...
Le 11-Septembre a tout changé : fini les plages de Malibu, bienvenue dans les quartiers pourris.

Vous connaissez Los Angeles par coeur. D'autant mieux que vous n'y avez jamais mis les pieds. Vous en avez sillonné, block par block, les moindres quartiers. Les beaux, de préférence, avec « Beverly Hills 90210 », « Melrose Place » ou « Alerte à Malibu ». C'était dans les années 1990, les années Clinton. C'était avant le 11 septembre 2001. Depuis, le mythe en a pris un coup. Avec « 24 Heures chrono » notamment, qui en a fait par deux fois déjà la cible d'attentats terroristes. Depuis que Jack Bauer, l'agent très spécial de la Counter Terrorist Unit, a débarqué dans le poste, L.A. a retrouvé des airs de Far West. «C'est un sale boulot, mais il faut bien que quelqu'un le fasse», plaide-t-il en début de saison 2 tout en découpant la tête d'un méchant à la scie à métaux. «Côte Ouest, tes palaaaces...» et tes salles de torture sponsorisées par le gouvernement...
La véritable menace, pourtant, vient de l'intérieur, comme le prouve « The Shield ». Filmée caméra au poing, cette série violente et poisseuse montre l'enfer du décor : prostitution, trafic de drogue, violence des gangs et, comble de l'horreur, pelouses mal entretenues. Mais on peut compter sur Vic Mackey pour maintenir l'ordre. Mackey et ses collègues de la Strike Team sont plutôt moches. C'est fait exprès. «Il fallait en finir avec cette idée que tout le monde à Los Angeles est beau», commente Shawn Ryan, le créateur de « The Shield ». Surtout, Mackey est ripou. Le bouclier du titre, c'est le badge derrière lequel il s'abrite pour faire régner la loi - sa loi, passant des alliances avec les dealers, prélevant sa commission au passage. Mais, au fond, qui cela regarde-t-il ? Le boulot est fait ; la paix sociale, préservée. Dans une ville traumatisée par les émeutes de Watts en 1965 et de South Central en 1992, ça n'a pas de prix.

Ebréché par ces séries ultraréalistes, le mythe demeure néanmoins vaillant : Los Angeles reste cet eldorado, cet ailleurs où tout est possible. Plutôt que Missoula ou Paris, c'est L.A. que la Jenny de « The L Word » choisit pour démarrer sa carrière d'écrivain une fois son diplôme de la fac de Chicago en poche. West Hollywood, plus précisément, le quartier lesbien-gay-bi-trans de Los Angeles. Là, elle fait connaissance avec un groupe de lesbiennes sympas qui portent des jeans taille basse et des lunettes de soleil Marc Jacobs, sirotent des frappuccinos en terrasse. Fatalement, Jenny largue son mec et devient lesbienne à son tour. Autre transfuge récent, Joey, l'acteur raté de « Friends », qui, dans le spin-off de la série culte, laisse New York derrière lui pour tenter sa chance à Hollywood. « Le Prince de Bel-Air », lui, venait des rues de Philadelphie ; Brandon et Brenda, les jumeaux de « Beverly Hills 90210 », du Minnesota. Personne à Los Angeles n'est de Los Angeles.
D'ailleurs, L.A. n'existe pas : c'est une pure construction mentale façonnée par la fiction qui s'y fabrique. Pourrait-on imaginer que la télé française joue les agences de voyage pour la ville de Paris, avec des séries comme « le Prince de Passy », « Saint-Germain-des-Prés 75006 » ou « Alerte à Boulogne-Billancourt » ?