Merci pour ton article, intéressant et instructif. Je suis d'accord pour dire qu'un travail de mémoire reste à faire en France et en Europe. En tant qu'homosexuel et germaniste, tu penses bien que j'ai été relativement tôt confronté à la question.
La déportation des homosexuels, comme celle des Tziganes, des Noirs (hé oui, il y en a eu) et des handicapés du reste, est toujours un tabou. Cette année où l'on commémorait la libération des camps, les homosexuels furent largement écartés des cérémonies officielles. Non pas que je fasse, dans l'absolu, une différence entre un déporté pour raison politique, un Juif, un Tzigane ou un homosexuel : c'est l'idée même de persécuter un être humain, sous quelque prétexte que ce soit, qui est insupportable et inadmissible. Renvoyer les différentes victimes dos à dos, en établissant des hiérarchies dans l'horreur et la douleur, c'est déjà faire le jeu des bourreaux.
Le pire est que les quelques survivants ont gardé le silence, par honte et parce que la société continuait à condamner cette "différence". Arte a diffusé il y a quelque temps un reportage très émouvant sur le sujet avec les témoignages d'homosexuels allemands et alsaciens.
La plupart des homosexuels déportés furent des Allemands. Une raison à cela, qu'il faut peut-être expliquer à ceux qui connaissent mal l'histoire allemande. Au début du XXe s., l'Allemagne était en tête d'une grande ébullition du point de vue intellectuel et culturel ; on a tendance à oublier que Berlin était alors l'une des grandes capitales européennes de la culture, à égalité avec Paris. La société allemande, depuis le XIXe s., avait connu un grand mouvement de libération du corps et le naturisme, par exemple, y était déjà largement pratiqué. D'autre part, malgré des lois prohibitives comme en France, l'homosexualité a toujours fait partie de la culture allemande, même si c'était de façon très discrète ; ce fait est germanique en général, on retrouve la même chose dans la culture anglaise. Bref, dans le Berlin des années 1920, les homosexuels s'affichent déjà librement ; ils animent de nombreux cabarets, participent activement à la vie culturelle (alors comme aujourd'hui, ceux qui s'affichent le plus facilement appartiennent souvent aux classes sociales les plus aisées). Des associations homosexuelles existent déjà, et il n'est pas rare de voir des travestis, même en plein jour.
Cela explique la facilité avec laquelle les nazis ont pu capturer leurs victimes homosexuelles. En France, la condamnation de l'homosexualité étant plus grande à époque équivalente et la vie au grand jour beaucoup plus rare en dehors de quelques cercles intellectuels et mondains, ils ont eu plus de mal.
La question des femmes homosexuelles est plus tabou encore, même si l'on prétend que peu d'entre elles ont été déportées. A ma connaissance, il reste là très largement une histoire à écrire...
Il ne faut pas, malheureusement se focaliser uniquement sur le nazisme. Quasiment tous les régimes totalitaires ont persécuté les homosexuels en prétendant qu'ils menaçaient l'équilibre de la société. Je pense en particulier à ces milliers d'homosexuels internés dans des hôpitaux psychiatriques ou déportés dans des camps sous le régime soviétique, ou aujourd'hui encore par Pékin. Ils sont victimes d'un silence plus dramatique encore car ils n'intéressent personne et évoquer leur drame n'est pas "politiquement correct".
Je voulais également ajouter que commémorer et se souvenir, c'est une chose nécessaire et louable. Mais il faut aussi se servir de cette mémoire pour que la phrase "
plus jamais ça" devienne réalité. Or, dans de nombreux pays du monde, des homosexuels sont encore persécutés, arrêtés, torturés et assassinés. Notre devoir est donc de faire du souvenir un moteur de la lutte contre les discriminations d'aujourd'hui. Et il ne s'agit pas de stigmatiser un peuple, en l'occurence le peuple allemand. A la différence de nous, les Allemands ont mené un travail de réflexion et de compréhension que nous sommes encore incapables de faire en France ; le simple fait de parler de la collaboration est encore largement un tabou, et c'est du bout des lèvres que les autorités françaises reconnaissent le rôle abject de l'Etat français et de la police française durant cette période...
Pour terminer, je dirais à ceux qui peuvent trouver inutile de se souvenir que rien n'est acquis et qu'il faut avoir conscience de ce qui a eu lieu par le passé pour que de telles abominations ne se reproduisent plus. A l'heure où réapparaissent dans toute l'Europe, des discours que nous espérions ne plus jamais entendre, où des extrémistes parviennent à siéger en tant qu'élus, il faut être plus vigilants que jamais, sans être alarmiste. Dans le même temps que nous obtenons la reconnaissance d'un certain nombre de droits légitimes, certains n'hésitent pas à sortir de l'ombre pour vomir leur discours haineux... Nous ne pourrions pas dire, cette fois-ci, que nous ne savions pas.
Je me permettrais de renvoyer vers un site que je trouve relativement bien fait et surtout très documenté, qui présente l'avantage de rassembler beaucoup de documents originaux, pour ceux que la question intéresserait :
http://www.triangles-roses.org/index.htm (
pour accéder à tous les documents, il est plus simple d'aller en bas de page sur le bouton "plan du site").
Désolé d'avoir été si long, le sujet me tenait à coeur...