Les Éléments
L'air-- Je ne comprends rien. Tout tourne autour de moi. L'anxiété qui s'est emparée de moi bouillonne au plus profond de mon être et m'emporte dans l'ouragan ravageur de mon esprit. Car, encore ce soir, mes pensées ne forment qu'une tempête déchirant mon enveloppe charnelle de l'intérieur, me saignant avec fureur. Cette tornade est formée de réflexions diverses qui s'abattent sur moi comme des lames translucides.
-- Ces pensées ont toujours virevolté dans mon crâne sans que je puisse totalement les cerner. Ainsi, elles défilent à toute vitesse devant moi, se cognant contre les parois de mon encéphale, repartant de plus belle dans des directions aléatoires. Il m'arrive de finir encerclée par un typhon de calculs, de desseins, d'observations, de raisonnements, de songes. Puis arrivent les retours en arrière, le passé qui ressurgit soudainement. À ce moment précis, je sens la tempête se resserrer contre moi, de plus en plus fort, comme un étau venu du ciel. Ce ciel, pourtant si clair lorsque je ne pense pas, noircit, pourrit au moindre contact avec le fruit de mon esprit.
-- Voilà le moment fatidique, le plus oppressant de ce ballet aérien. Je me retrouve complètement étouffée par l'air lui-même, sentant désormais son souffle sec et quelque peu rauque au creux de mon cou, ses bras m'entourant avec une brutalité surprenante. Le vent prend effectivement la forme d'une silhouette d'homme assez grand, robuste. Les bouffées tièdes continuent de me cajoler violemment et une brise atteint mes oreilles. Le bruit qu'elle produit m'évoque une voix on ne peut plus familière, mais inaudible à cause du vent.
Papa ?... C'est toi ? M'entends-tu ? Arrête de m'enlacer, tu me déranges. Pars, je ne veux pas éprouver la moindre affection pour toi.
Je n'arrive plus à savoir si je pense ou parle. La seule chose dont je me rende compte est ma énième détention dans cette geôle céleste.
-- Mon étreinte s'atténue brusquement, me poussant à respirer cette atmosphère inquiétante à pleins poumons. Plus rien ne me retient, à présent. Je lévite, observe les alentours, devenus bien moins obscurs qu'il y a quelques instants. Reprenant une certaine confiance, je poursuis mon monologue intérieur.
Heureusement que tu es parti. Je n'ai absolument aucune envie de te revoir. En plus d'être faible et transparent, tu fais comme si de rien n'était, à me câliner si subitement. Il fut un temps où je pensais à toi, où je voulais t'aimer. Mais visiblement, tu n'en avais strictement rien à foutre ! Je sais que tu ne m'as jamais voulue !!
Je me suis arrêtée là car mon souffle s'est coupé net. L'ambiance vient de changer en une fraction de seconde. Plus de lévitation : je demeure maintenant immobile, mon corps ne peut plus bouger ni se mouvoir dans l'espace. La lumière s'intensifie, agressant mes yeux jusqu'à l'aveuglement total.
-- Plus un bruit, plus rien. Je commence à avoir de nouveau peur, un peu comme dans la prison de vent de tout à l'heure. Au rythme croissant de mon pouls s'ajoute une autre brise dont la puissance augmente en même temps que les battements de mon cœur. C'est de nouveau le chaos dans mon crâne. Tout se bouscule. Chaque bourrasque que je me prends en pleine face dans ce ciel si singulier fait naître en moi un flot de réflexions oppressant. Je sens que la luminosité diminue enfin. J'attends un peu avant d'ouvrir les yeux et de pouvoir enfin apercevoir les changements qui se sont opérés dans ce décor onirique. Quelle erreur. La tornade recommence à m'enlacer bestialement et me frappe de plein fouet en pleine poitrine et au visage. J'entame alors une chute libre, ayant été éjectée par tous ces courants d'air, poings de l'ouragan.
-- Je tombe et me précipite inexorablement vers ma mort. Le sol gris se rapproche de moi à une vitesse ahurissante. Je mets mes mains devant mes yeux pour ne pas voir le massacre. Ma fin est proche, j'entame un décompte macabre qui me glisse toujours plus lentement vers la mort.
Trois... Deux... Un...
Mon visage se crispe. Je ne sens rien : pas de douleur, pas de bruit, pas de mouvement. Seul un petit coup de vent rafraîchit ma peau, chauffée par la peur de la faucheuse. Mes mains cachent toujours mes yeux. Pour voir à quoi ressemble le paradis, je décide de les enlever de mon visage.
-- Pourquoi refais-je sans arrêt les mêmes conneries ? Un colosse fait de nuages se dresse juste devant moi. Il a exactement la même corpulence que...mon père. C'est lui qui m'a retenue, à un mètre de la terre, et m'a sauvé la vie. J'esquisse un sourire timide en guise de remerciement, encore troublée par la chute. La créature me pose par terre et me tend sa main cotonneuse. Sans réfléchir, je mets ma paume contre la sienne. Voulant observer son visage, je tourne ma tête dans sa direction, avant d'être stoppée net par un cri des plus perçants. Le colosse se met à me hurler dessus, fou de rage. C'est à ce moment que je commence à comprendre.
Papa... Ne me fais pas de mal, s'il te plaît... Ne redeviens pas violent, je t'en supplie !...
Le monstre me plaque au sol et, avec une énergie cataclysmique, me fracasse les os dans un craquement qui met fin à ma conscience.
-- Je hurle à mon tour, presque aussi fort que l'homme de nuages.
Un rêve ! Ce n'était qu'un rêve !...
Un soupir de soulagement accompagne mon demi-sourire et mes yeux vides. Cependant, je ressentais encore le typhon de mon songe : il est toujours dans ma tête, dès que je pense, empêchant toute concentration et capacité à me contrôler spirituellement. Ma chambre me paraît bien vide après avoir exploré le ciel d'une manière aussi violente. Il est trois heures du matin, je suis en sueur, et je n'ai qu'une envie : rester pour toujours sur la terre ferme.