vos nouvelles d'hiver!

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ExMembre L

vos nouvelles d'hiver!

Message par ExMembre L »

OFF-Topic :
tout est dans le titre, lançez-vous!


Ce matin là encore, la ville étant prise par la neige depuis plusieurs semaines, j’avais été contrainte de me rendre à pieds sur mon lieu de travail. Engourdie par la chaleur du foyer, j’avais ouvert la lourde porte à double battants pour découvrir une rue silencieuse, inhabituellement déserte, et prise dans un brouillard blanc, immobile et sourd. J’amorçais un premier pas sur un sol recouvert d’une neige qui durant la nuit s’était mise à fondre, se grisant de tons saumâtres et inquiétants, transformant la sérénité du manteau blanc de la veille en tableau désolant. Au loin, on pouvait entendre une sirène étouffée. La lumière des lampadaires se frayait péniblement un chemin craintif au travers de l’humidité épaisse.

Il me fallait parcourir environ un kilomètre avant de rejoindre le tramway qui devait me conduire à destination. J’entamais donc la route, hésitant entre des trottoirs gelés et les caniveaux semi-boueux, écoutant mes pas produire un désagréable bruit de succion dans une fange crasseuse de monticules instables, ou un bruit de crissement suintant. Recouverte de mes vêtements d’hiver, j’entrapercevais d’autres passants, aux visages imperceptibles, cachés sous leurs bonnets de laine et leurs écharpes, silhouettes fragiles, patibulaires ou immobiles. J’évitais sur ma route un seau d’eau noirâtre jeté dans les égouts publics par les mains massives d’une ménagère, sortie surréaliste vêtue d’un invariable tablier à fleurs.


Arrivée à mon arrêt, je traversais les rails sombres afin de me placer du bon côté, et gratter du pied la couche de neige pour en mesurer l’épaisseur jusqu’à la dalle. Les autres passagers silencieux avaient une existence nimbée de mystère, comme avalés par un ciel lourd infiniment absorbant, impénétrable et maussade.


Les voitures sur la route attenante produisaient un vrombissement grave presque lointain, supplanté lentement par l’arrivée corpulente de la rame. Je me glissais dans le wagon pour échapper à l’emprise impalpable du givre, et m’asseyais péniblement en attendant le point d’arrivée. Mes compagnons de voyage, balancés au rythme des cahots avaient tous le visage gris et fatigué, absorbés qui par un livre, qui par sa musique, qui par les gouttelettes éparses trainées par le vent sur les vitres gelées. L’atmosphère taciturne était inhabituelle en ce lieu, chacun se recroquevillant sur soi pour limiter la perte de chaleur progressive et l’engourdissement. Aux arrêts, des passagers descendaient, et le bruit de la route progressivement cédait place au bercement éraillé du tram. Dehors, de grands corps d’arbres noirs se profilaient dans le brouillard insondable. Hypnotisée par la pâleur laiteuse environnante, je m’aperçus que j’avais raté ma sortie. Mais happée par une insidieuse somnolence, je me laissais conduire, indifférente. Je remarquais que les quelques silhouettes qui restaient autour de moi semblaient s’avachir sur elles mêmes, et que je n’en discernais plus les visages tant ils étaient masqués par leurs pesantes capuches grises. Je ne percevais plus qu’un dos, ou un profil. Peu à peu personne ne resta dans le wagon qui poursuivait sa route, nimbé de brume, sans perspective extérieure, et presque sans bruit.


Epuisée, je regardais le sol, vide et ruisselant, l’eau s’étalant lentement en rigoles hypnotiques, de plus en plus noires. Sur les parois aussi, un suintement épais et inquiétant se formait mollement recouvrant progressivement l’espace, et le bruit entêtant et sourd, se fondait dans cet écoulement paralytique écœurant. Je tentais de me relever, mais me sentis soudain désireuse d’abandonner, et de me laisser aller à cette absence de sensation, à ce flux noir imperturbable, et de m’endormir, dans une nuit impassible, recouvrant sans trace ni mot le monde avant qu’il ne s’oublie dans une page blanche.
Avital.Ronell
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Re: vos nouvelles d'hiver!

Message par Avital.Ronell »

On voit clairement l'influence surréaliste avec des expressions comme celles là :

"une insidieuse somnolence"
"cet écoulement paralytique écœurant"
"Hypnotisée par la pâleur laiteuse environnante"

En tout cas c'est un récit qui fait grelotter et moi je vais devoir sortir de chez moi...brrr, j'ai déjà froid du coup!

Pour ma part écrire de la fiction ne me tente pas ou plutôt je ne sais pas faire : je suis comme ce pauvre Kant comme il le disait lui même honteusement : totalement dépourvu de style, je suis pareil même si j'adore la littérature.

Il n'y a qu'à voir nos deux comptes rendus à Eily et à moi du dernier meating :c'est flagrant : lui il manie avec grâce toutes les figures de style et transcende ainsi la narration foisonnante de métaphores et de comparaisons, moi je me contente de raconter les faits cruement sans travail sur la forme.
ExMembre L

Re: vos nouvelles d'hiver!

Message par ExMembre L »

t'inquiète ça viendra, et en plus ce que tu dis n'est pas exact il y a dans ce que tu écris de plus en plus de style et de soin. moi je me la suis mise en tête dans le tram ce matin celle là ça me faisait marrer toute seule. Il s'agit juste de prendre son pied à raconter c'est moins dur que la philo hein.
et puis pour écrire y a pas besoin de cogner de la métaphore partout.
Humph
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Re: vos nouvelles d'hiver!

Message par Humph »

Lulu, j'aime beaucoup cette façon que tu as de lier le récit, douce. Une lecture rafraichissante :)
Et bon, même sans style, probablement loin des exigences de la nouvelle, je me lance :

Il fait noir. Il fait froid. Il s’endort.
Un chat, noir ou blanc, aurait pu discerner la bibliothèque, le lit et sa table, dans la nuit. Sans doute aurait-il distingué quelques laines jonchées sur le chêne abattu du parquet. Rien d’autre.
Cendrillon était seule ce soir, ni chat, ni compagnie.
Il attendait vaguement, le cœur pincé, les nouvelles d’un inconnu, l’inconnu de l’hiver, cet hiver.
Ses yeux, mi-clos, fantasmaient le plafond qui se perdait dans le brouillard nocturne. Son corps, relâché, s’appuyait de tout son dos sur le matelas duquel quelques moqueurs se seraient amusés : « Tu n’as pas besoin d’aussi grand ! ».
Il se recroquevillait, bientôt, ses paupières seront closes.
Un téléphone s’était allongé à ses côtés. Il tourna la tête et le regarda comme alors, les mages observaient le ciel étoilé. Devait-il lui faire face ou lui tourner le dos ? Face.
Il dort, dans le noir, dans le froid. S’avance dans l’inconnu, porté vers les étoiles qui devraient annoncer la nouvelle.

...

J’ouvre les yeux puis les referme, aveuglé.
J’inspire. Rien. J’ai cru, l’espace d’une seconde, que cette occurrence mécanique s’était retrouvée dans l’impasse : non, l’air ne répondra pas à ton appel, pas cette fois, il n’en a plus envie. Je savoure cette incohérence, lorsque l’évidence se heurte à l’impossible pour la première fois dans l’existence. Quitte à prendre le parti de ce qui semble venir comme à l’encontre de ma propre vie, j’inspire à nouveau. Torpeur.
Je m’effondre de douleur, genou gauche et main droite à terre, main gauche à la gorge, alors que l’oxygène s’infiltre, comme le blizzard, dans mes poumons. L’air est vengeur, il savoure à son tour. Je prie lors pour que reprenne la mécanique dont je m’étais joué à l’instant. J’expire.
Peu à peu, mon organisme prend la mesure de l’hostilité environnante, alors que je maîtrise la luminosité éblouissante, armé de quelques cils. L’étendue est blanche, la respiration plus régulière.
Ici se succèdent les montagnes, majestueuses, aux sommets acérés, innombrables, qui relient ciel et terre. De leur trône millénaire, elles dominent sans même y prendre garde. Dieu lui-même s’y jetterait, si par désespoir lui prenait l’envie de renouer avec les stigmates de jadis, pour s’y empaler.
Le ciel est dégagé, la terre vierge et l’air, entre les deux, pur.
Ici, le silence règne. Je m’assois. L’hostilité n’est plus, l’air est bon, meilleur que jamais. Il se mérite.
En contrebas, la glace emprisonne un loch de son épaisseur opaque, préservant ainsi l’intimité de ses occupants, comme s’il fallait, en ces temps, garder le secret. La forêt me donne la même impression, au loin. Que cache la montagne, alors ?
L’hiver prend tout, plaines, lacs et forêts, sentiers, pâturages et monts. Sous son manteau, l’inconnu.
J’enlève mes vêtements. Sous son manteau, il fait chaud. Au feu !
Que l’hiver me prenne! Que je devienne l’un de ses secrets et qu’il emporte les miens !

...

Le soleil, en se levant, le réveilla. Il ouvrit les yeux, vit son téléphone, juste en face. Il avait chaud, était nu.
Un souffle effleurait son dos.
ExMembre L

Re: vos nouvelles d'hiver!

Message par ExMembre L »

c'est marrant, parce que chez toi c'est très elliptique au contraire. J'aime bien les éllipses parce que ça laisse parler l'inconscient. Mais sur ce coup je ne suis pas certaine d'avoir compris, trop de pistes lancées sans être reprises : cendrillon? téléphone? chat? tout reste ouvert, un peu. mais c'est très fantasmagorique. :huhu:
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