Bon, alors voilà. L'autre jour, j'ai écrit un petit truc comme ça, je ne sais pas ce qui m'a pris, on va dire que c'était coincé quelque part dans ma tête et que les mots ont eu envie de se frayer un chemin sur l'écran par le biais du clavier. Et puis je me suis dit: "Tiens, et pourquoi je ne le mettrais pas en ligne sur le forum, comme ça, pour voir ce que les gens en pensent?"
Bon, heu, je n'ai pas trop corrigé, alors il doit y avoir des tas de choses qui ne vont pas, mais c'est pas grave, je suis ouverte aux critiques. :-p
Allez, hop!
Conte de fées
Etrange comme mes rêves actuellement se finissent toujours de la même manière. Cette nuit j’ai rêvé de contes de fées. J’étais une princesse enfermée dans un énorme château aux murs sombres et aux fenêtres hautes, éclairé seulement par quelques torches aux lumières blafardes. Je brodais, alors que dans la vie, je n’ai jamais réussi à rien coudre d’autre que des boutons, et encore. Là je brodais et sous mon aiguille des formes étranges apparaissaient. Je les regardais à peine, les yeux dans le vague, occupée à attendre quelque chose qui, je le savais pertinemment, ne viendrait jamais. Sous la lueur des flammes, les objets se projetaient en ombres fantastiques sur les murs suintants d’humidité de mon immense et sombre demeure, mais cela ne m’effrayait pas. Je brodais là depuis la nuit des temps, mes cheveux ternes encadrant mon visage blanc qu’aucun rayon de soleil n’avait touché depuis d’innombrables années. Mon esprit n’était encombré d’aucune pensée, d’aucune image. Je ne voyais rien, n’entendais rien et ne pensais à rien. Si je m’étais vue de loin, j’aurais pu ressembler à un tableau de Hopper, femme solitaire enfermée là à attendre quelque chose qui ne viendrait jamais.
Dans mon rêve, les années passaient et se ressemblaient, se confondant les unes avec les autres. Le seul mouvement qui permettait de dire que je n’étais pas qu’une projection sur une toile était celui de mon aiguille s’enfonçant dans le tissu avec la régularité d’un métronome. On entendait à peine le bruit feutré produit par l’acier au contact de la matière douce sur laquelle se précisaient des scènes extravagantes. Parfois je changeais le fil, lorsqu’il arrivait au bout de sa bobine grisâtre, et les personnages de mon ouvrage semblaient s’animer un bref instant, impatients de voir s’ajouter la suite de leurs aventures. Mes mouvements étaient lents car j’avais tout mon temps, perdu au milieu de cette forteresse vide et obscure. Je n’avais pas besoin de me lever car les bobines de remplacement se trouvaient sur un petit guéridon à portée de main. Il me suffisait de poser l’ancienne et d’attraper la nouvelle, dévider du fil et le couper, avant d’en passer un bout par le chas de l’aiguille, faire un nœud, et reprendre mon ouvrage. Les personnages s’immobilisaient instantanément pour me permettre de poursuivre leur histoire qui naissait sous mes doigts sans que j’y pense. Les yeux dans le vague, je cousais inlassablement.
Et puis, à un moment, l’aiguille a dévié d’un millimètre. Au lieu de pénétrer le tissu, c’est ma chair qu’elle a perforé, sans crier gare. J’ai sursauté, perdant en un instant ma vacuité éternelle. J’ai retiré l’aiguille, faisant ainsi jaillir le sang de mon index et accentuant la douleur que je venais de ressentir. Interdite, je regardai une goutte perler de mon doigt et l’observai tandis qu’elle tombait lentement, très lentement, vers le sol froid et inhospitalier de la bâtisse en pierre. Le temps qui jusque-là égrenait ses années sans que je m’en rende compte, semblait tout-à-coup s’être arrêté, suspendu à cette petite chose rouge vermillon dont la chute ne semblait plus finir. Lui et moi attendions qu’elle s’abatte plus bas, peut-être pour reprendre le cours de notre activité. Alors qu’elle se rapprochait de son point de chute, mes doigts se crispaient sur l’aiguille et sur le tissu, comme dans l’expectative d’une catastrophe imminente. Pour la première fois, je sentis mon cœur battre dans ma poitrine et mes yeux, qui jusque-là n’avaient jamais connu que le flou et le terne, commencèrent à s’illuminer d’une chaleur nouvelle. Je sentis soudain tout mon corps, comme s’il s’éveillait d’un long sommeil et j’avais envie de le bouger, mais il fallait pour cela que mon esprit cesse d’être obnubilé par cette chose rouge qui ne cessait de tomber.
La goutte heurta le sol de pierre. Pour mon cerveau aux sensations neuves, ce fut comme si une batterie de cuisine en acier s’était soudainement détachée du mur pour se fracasser par terre. Mes oreilles volèrent en éclat sous la violence du bruit et un frisson me parcourut de haut en bas, comme si l’impact avait provoqué une vague qui remontait à présent le long de ma colonne vertébrale. J’eus envie de boucher mes tympans et de me jeter à mon tour au sol, fermant les yeux pour ne plus voir cette tache cramoisie sur la pierre terne, mais mon corps refusa de m’obéir et je restai là, les doigts crispés sur mon ouvrage et les yeux fixés sur ce qui venait de se produire. Une autre goutte rejoignit la première, puis une troisième, et ce fut tout. Je commençais à respirer, lorsque soudain, venant de très loin au-dessous de moi, semblait-il des entrailles du château, me parvinrent trois coups, comme frappés sur un gong. Je m’éveillai de ma torpeur et posai alors les yeux sur la porte de la pièce où je me trouvais, que je découvrais à présent comme étant faite d’un chêne aux reflets verdâtres à cause de l’humidité. Je devais aller voir ce qu’il en était. Mes mains, semblant mûes par une autre force que la mienne, posèrent mon ouvrage sur le guéridon et je me levai lentement, testant d’abord un pied, puis l’autre, pour vérifier que mes jambes étaient bien capables de me porter après tout ce temps passé assise au même endroit. D’abord flageolantes, elles acceptèrent finalement d’avancer vers la sortie, rechignant un peu puis s’éveillant avec délices de leur torpeur. Je sentais des picotements les traverser et cela me procurait une joie immense mêlée d’excitation. Mes jambes se sentant de plus en plus à l’aise, elles se mirent à accélérer et je me trouvai à la porte en un rien de temps. Je l’ouvris précautionneusement et jetai un œil de l’autre côté, sur un couloir aussi vide et obscur que la pièce que je m’apprêtais à quitter. Des torches aux flammes faiblardes éclairaient le passage et m’invitaient vaguement à suivre le chemin qu’elles m’ouvraient.
Je les suivis l’une après l’autre et me rendis compte en me retournant que, sitôt passées, elles s’éteignaient, comme pour me refuser le retour vers l’immobilité de mon ouvrage éternel. Je n’avais d’autre choix que d’avancer vers ce qui me semblait incertain. J’avançais donc. Parfois je passais une porte du même chêne que celui de la première que j’avais ouverte, mais lorsque j’en tournais le loquet, rien ne se produisait. Ces portes ne semblaient être là que pour le décor et ne recelaient pas de mystère à découvrir, autre que la raison pour laquelle on les avait placées là. Mon esprit aux idées toutes neuves se posait mille questions sur la raison de leur présence mais ne trouvait aucune réponse. Il se plaisait simplement à fourmiller d’idées, lui qui avait été si longtemps au repos. Il se mit à imaginer d’où provenaient les trois coups entendus précédemment, mais toutes les images qu’il parvenait à créer s’effaçaient au fur et à mesure pour ne garder que celle de ce long couloir à la lumière agonisante qui paraissait ne jamais devoir finir. Mes yeux ne voyaient rien que ces murs suintants d’humidité et ces torches aux flammes vacillantes, projetant des ombres de tous les côtés et m’enjoignant muettement de me presser vers l’avant.
Je marchai longtemps et aurais perdu la notion du temps si j’en avais eu une. Puis le couloir s’arrêta net, sur une porte aussi verdâtre que les autres. Le cœur battant, je posais la main sur la poignée dont le froid me transperça les os, puis je tournai avec une sourde angoisse. La porte grinça et s’ouvrit lentement, tandis que derrière moi les flammes des torches achevaient de s’éteindre. Je poussai le lourd battant et découvris une autre pièce, éclairée par de multiples fenêtres et ne portant aucune torche. La lumière du soleil qui filtrait par les carreaux m’éblouit d’abord et me fit mal aux yeux. J’entrai tout à fait et derrière moi la porte se referma toute seule, comme mue par une main invisible. Je me trouvais aveuglée par la lumière et, paniquée, posai la main sur mes yeux pour les protéger. Du côté sombre du château où j’avais passé toute ma vie à broder des scènes fantastiques que je ne regardais jamais et que la faible lumière ne m’aurait pas permis de découvrir, je venais de passer dans un endroit si éclairé que je n’y voyais pas plus, et cela me terrifiait. J’eus envie de me terrer dans un coin de cette pièce pour échapper à cette lumière agressive qui me transperçait la chair.
Puis mes yeux commencèrent à s’habituer petit à petit et je fus bientôt capable de baisser les mains qui les protégeaient pour observer le nouveau monde qui m’entourait. J’étais comme une aveugle à qui on aurait soudain donné la vue. Des formes floues, plus sombres, se précisèrent lentement pour devenir une grande table en chêne massif, deux fauteuils en velours rouge vermillon, quelques chaises glissées sous la table et une cheminée au bout de l’immense pièce, dans laquelle flambaient quelques bûches, dégageant une chaleur agréable qui rendait la pièce confortable et accueillante. N’ayant jamais rien vu de pareil, je m’en approchai pour me réchauffer les mains, hypnotisée. Les flammes ne semblaient pas sur le point de s’éteindre, comme celles des torches de mon ancienne prison, mais elles brûlaient joyeusement et avec vivacité, comme pour me souhaiter la bienvenue près d’elles. L’une d’elles crépita pour m’accueillir et toutes se tournèrent vers moi pour m’offrir leur chaleur. Devant tant de joie, je faillis fondre en larmes, découvrant ainsi que mon cœur froid commençait à dégeler et à éprouver de nouveaux sentiments. Je me repris aussitôt, me sentant un peu ridicule.
Soudain, le gong retentit à nouveau trois fois. Cette fois, mon corps réagit par un petit tressaillement d’anticipation, comme si quelque chose de merveilleux allait bientôt se produire. Je me trouvai alors dans l’attente d’une chose imminente et, contrairement aux milliers d’années que je venais de passer à broder des scènes invisibles dans une pièce à la lumière blafarde, je sentis l’impatience me gagner, sentiment nouveau et exaltant. Le temps suspendit son mouvement l’espace d’un instant qui me parut une éternité et je me sentis à nouveau comme un personnage de Hopper.
Puis une main frappa à la porte. Il ne s’agissait pas de celle que j’avais franchie une éternité plus tôt, mais d’une autre, à la droite de la cheminée, toute blanche et parsemée d’émaux verts. D’une voix tremblante, je bredouillai un faible « entrez ! » et une main invisible tourna la poignée. La porte s’ouvrit sans un bruit, découvrant une splendide jeune femme aux longs cheveux bruns qui retombaient souplement sur ses épaules. Elle était habillée d’une robe de bal en soie verte qui s’accordait parfaitement avec la couleur de ses yeux et me regardait avec une douceur infinie. Je me perdis dans ce regard et sentis à nouveau le temps s’arrêter, sans vraiment y prendre garde. La femme me sourit, faisant voler en éclat les glaçons qui entouraient mon cœur sans que je n’en aie pris conscience jusqu’alors. Je sentis quelque chose bouger en moi et tout me parut clair. Ma bouche dont les coins ne s’étaient jamais relevés en une éternité, produisit un sourire qui fit un peu mal aux muscles sans expérience. La femme me tendit la main et un air de valse s’éleva de nulle part. je m’avançai timidement et lorsque ma main rencontra la sienne, cela me fit l’effet d’un choc électrique. Tout mon corps sembla s’écrouler avant de se relever aussitôt, plein d’une force nouvelle. Moi qui n’avais jamais dansé, je me laissai entraîner par cette magnifique inconnue dans une danse douce et sensuelle, me sentant pousser des ailes. Je perdis la notion du temps que je venais à peine de gagner, mais cela n’avait pas d’importance. Rien d’autre ne comptait que la main de cette femme sur ma hanche, ma main dans la sienne, nos corps qui se frôlaient au rythme de la musique. Je m’aperçus que je n’avais rien attendu d’autre que son arrivée, durant toute l’éternité passée dans le noir à broder des scènes fantastiques. Je me trouvais enfin comblée.
La musique décrut puis s’arrêta et l’inconnue approcha son visage du mien. Je sentis les battements de mon cœur augmenter d’intensité, emplissant mes oreilles de leur martèlement et soulevant ma poitrine d’une respiration erratique. Ses lèvres se rapprochèrent des miennes et lorsqu’elles les touchèrent, je ne sentis plus rien d’autre. Je fermai les yeux, retournant à l’obscurité mais trouvant derrière mes paupières un monde fascinant que je n’aurais jamais cru exister. Le contact sembla durer l’éternité mais c’était encore trop court. Lorsqu’il se rompit, ce fut comme si une partie de la chaleur fournie par la flambée joyeuse venait de m’être aspirée. Je rouvris les yeux sur son regard vert émeraude qui me fixait avec un sourire et m’émerveillai d’entendre sa voix me parler.
« Je t’ai cherchée longtemps et te voilà enfin. »
Je souris, enivrée de la douceur de ses mots. Je voulus lui répondre, mais tout se mit soudain à tourbillonner autour de moi. Le château fut emporté au loin et sa voix qui me criait de rester ne devint rapidement qu’un murmure, avant de s’estomper totalement pour laisser place au silence. Je voulus crier mais aucun son ne sortit de ma bouche.
C’est alors que je m’éveillai.