"Compartiment pour dames", une nouvelle

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Dalia
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"Compartiment pour dames", une nouvelle

Message par Dalia »

Bonjour à toutes,
Je voulais faire un petit cadeau au forum pour la Saint-Valentin. J'ai donc choisi d'écrire une nouvelle lesbienne. Mon but : la terminer d'ici deux semaines ! Parfois, j'ai du mal à finir mes écrits, donc là, votre regard m'oblige ! :^^:

Bonne lecture !

Nota bene : c'est une fiction, hélas, et toute ressemblance avec ma vie réelle serait sympa à réaliser.

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Compartiment pour dames

1/ Le départ du train

En retard comme toujours. Je suis encore au bout du quai quand le haut-parleur annonce :

- Voie B, voie B : les voyageurs à destination de Venise, en voiture. Le train va partir. Eloignez-vous de la bordure du quai.

Je perçois un sifflement strident qui m’incite à sauter dans le premier wagon que j’aperçois. Selon la logique des gares parisiennes, quelques instants plus tard, ce premier wagon devient le dernier wagon : le train s’est mis en marche.

Je jette un coup d’œil sur mon billet : « voiture numéro 4 ». Ce numéro moyen m’indique que je vais devoir remonter une bonne partie du train. Mais avant tout, je vais récupérer mon souffle et profiter du départ, que j’ai attendu si longtemps : enfin, les vacances commencent ! Les quais de la gare de Bercy défilent, lentement, il y a encore des gens qui marchent sur le quai en agitant la main et des mains tendues par les fenêtres baissées, qui leur répondent.

Puis nous prenons un peu d’allure, on entend des grincements métalliques aux embranchements. La température est douce en ce début d’été ; ceux qui ont fini de dire adieu restent appuyés aux fenêtres dans le courant d’air. Nous abordons la banlieue : le train accélère imperceptiblement, et adopte peu à peu le bruit de fond binaire qui nous bercera toute la nuit, ou qui au contraire nous empêchera de dormir : bouloum-bouloum, bouloum-bouloum

Mon billet dans une main et mon sac de voyage dans l’autre, je me mets à la recherche du compartiment qui m’est assigné pour la nuit. J’ai réservé une couchette seconde classe non-fumeur. A chaque passage entre deux wagons, je sens les plates-formes pivoter sous mes pieds, pendant que je prends appui pour forcer les portes du wagon suivant. Les portes s’ouvrent chaque fois sur une ambiance différente : les wagons ordinaires, les couchettes de première classe, le wagon restaurant qui comporte de vraies tables et de petits rideaux bordés de dentelle qui me font penser à de la lingerie féminine. Puis les wagons-lits de seconde classe, où se trouve mon compartiment, un « compartiment pour dames voyageant seules » comme précisé à l’employé au guichet lors de la réservation. Je ne passe pas mon temps à éviter la présence des hommes dans mon lit (ce n’est pas faute de recevoir des propositions) pour partager ensuite un espace couchettes avec cinq mâles.
Au moment où j’ouvre la dernière porte, en forçant des deux mains sur les poignées métalliques, je sens une résistance qui cède brusquement : déséquilibrée vers l’avant, je tombe contre une personne qui venait en sens inverse et lui envoie mon bagage dans les jambes. Alors que je recule, un cahot du train nous rapproche à tel point que mon nez touche le col de sa veste et que je sens son parfum, un mélange d’ambre et de fumée. Je balbutie des excuses.

La femme que je viens de heurter n’a pas l’air ravie :

-Vous pourriez enlever votre sac du milieu du passage ?

Je me rajuste en m’accrochant à la poignée qui soudain bouge : les portes automatiques se referment.

Je relève le menton et je la regarde dans les yeux. C’est une belle plante, un peu plus âgée que moi, la trentaine, apparemment habituée à ce qu’on lui dégage le passage.

-Vous pourriez reculer ? demandai-je. Vous voyez que je suis contre les portes, je ne vais pas y laisser un doigt.

Elle ne fait pas mine de bouger. Je ne fais pas mine de ramasser mon sac qui bloque le passage. Nous restons quelques secondes à nous toiser. Je voudrais la fixer directement dans les yeux, mais les miens sont attirés par son décolleté. Je sens de nouveau la porte automatique s’écarter contre mon dos : si je ne fais pas un pas en avant, je vais tomber. Tant pis, je me serre contre elle, tout en faisant un mouvement de contournement. Bousculée, elle réagit avec un petit coup de coude de mécontentement ; au moment où je vais passer entre elle et le mur, je me sens littéralement écrasée par un type en uniforme. C’est le contrôleur, surgi derrière moi et très à l’aise pour tenir en équilibre malgré les cahots du train.

-Vous dégagez les accès, Mesdames, s’il vous plaît ! ordonne-t-il en désignant l’inconnue hautaine, moi-même et enfin mon sac. Je n’en tiens pas compte. Je la fixe toujours, en colère, mais j’ai été troublée par le contact de nos corps.

-…Raison de sécurité ! insiste le contrôleur.

Comme personne ne bouge, il ramasse le sac, et se met en devoir de l’ouvrir pour en contrôler le contenu, croyant sans doute qu’il s’agit d’un bagage abandonné. A l’idée de voir ses mains sur ma lingerie, je panique et je le lui arrache littéralement.

- Bon… grommelle-t-il, si c’est à vous, vous circulez ?

Je tourne les talons, mais pas assez vite pour ne pas entendre derrière moi :

- Sur un point, vous aviez raison.

C’est la femme qui a parlé. Je ne me retourne même pas.

- Pour vos doigts, oui : ç’aurait été trop dommage d’en laisser un dans la porte.

L’art du double sens ne m’est pas inconnu. Mais de là à le manier immédiatement après une altercation…je n’en crois pas mes oreilles, c’est moi qui sans doute invente des sous-entendus. Je ne peux plus m’empêcher de regarder en arrière : elle n’a pas détaché ses yeux de moi. Elle lève sa main libre, l’autre étant toujours accrochée à la poignée à cause des cahots, et me fait un petit signe en bougeant chaque doigt un par un, comme si elle les promenait sur un accordéon imaginaire.

2. Le wagon-restaurant

Après avoir installé mes bagages sur la couchette la plus haute, qui m’oblige à monter avec une échelle du côté de la fenêtre et à faire un peu d’équilibrisme, je fais mon lit, jambes écartées et à demi courbée, car il y a peu d’espace entre le matelas et le plafond. Ça doit être les vibrations du train, ou le choc contre le corps de l’autre voyageuse tout à l’heure, mais je me sens tout émoustillée.

La SNCF a inventé un modèle de draps de voyage cousu en sac jusqu’au premier tiers seulement, qui me permet d’admirer les cuisses de mon homologue sur la couchette d’en face, tandis qu’elle se débat pour le faire remonter. Visiblement, elle est disposée à se coucher avant la tombée de la nuit.

Pour ma part, je n’ai pas sommeil, j’ai faim, et je n’arrive pas à rester allongée tranquille. Les trois autres femmes du compartiment se sont stabilisées : après le remue-ménage du départ, il y en a finalement deux qui lisent, et une troisième qui regarde par la fenêtre la nuit tomber lentement. J’en profite pour redescendre du plafond sans risquer d’éborgner quelqu’un.

Dans le couloir, l’atmosphère est plus bruyante. Certains mangent des sandwichs debout, appuyés sur le barreau horizontal qui coupe en deux chaque fenêtre. D’autres discutent ou regardent le paysage, même si la lumière déclinante leur renvoie de plus en plus nettement leur propre reflet dans la vitre. Tout le monde a l’air détendu, il règne une ambiance de vacances et de liberté, nous nous laissons bercer par la grande machine qui nous emmène vers l’Italie.

Je ne pensais pas la retrouver au wagon-restaurant. Elle est la première que j’aperçois en entrant dans la salle où règne une délicieuse odeur de cuisine aux herbes méditerranéennes. Quand je dis que je ne pensais pas la retrouver au wagon-restaurant, comprenez-moi bien ! Je ne pensais pas davantage la croiser en train d’écaler ses œufs durs dans le couloir avant de les couper avec un opinel. Non : je pensais qu’elle était au-dessus de ce besoin terrestre et banal, se nourrir. Je la voyais jeûner en première classe.

En plus, quand je l’avais heurtée, elle m’avait paru d’une minceur surnaturelle. Maintenant que je la voyais assise, la forme de ses cuisses appuyées sur le velours du fauteuil, je me rendais compte que je m’étais trompée. Une fausse maigre ! Mes préférées ! Quoique les rondes qui ne se dissimulent pas, comme ma voisine de couchette, soient aussi très sensuelles.

Sur un autre point, je ne m’étais pas trompée : elle provenait effectivement de la première classe. Car elle venait de s’asseoir, comme en témoignait le plateau intact juste posé devant elle, et je ne l’avais pas – encore heureux - croisée de nouveau dans le couloir : elle venait donc d’arriver dans ce wagon par le côté opposé au mien.

J’évitais de loucher de son côté tandis que je faisais la queue pour récupérer un plat chaud et un verre de vin, servis dans de la vraie vaisselle. Par contre, une fois mon plateau repas à la main, je balayais du regard la salle pour trouver un siège. Elle me fit alors un geste d’invitation pour désigner celui qui se trouvait libre près d’elle. Je l’ignorai et allai m’asseoir ailleurs. Je la vis se lever, reprendre son sac et son plateau, et s’approcher. J'étais sidérée. J'aime le genre direct, mais ce n'était peut-être pas ce à quoi je pensais. Si elle s'avançait pour une querelle, je saurai aussi la recevoir. Autour de moi, toutes les tables étaient occupées.

- Buonasera, dit-elle. Je viens parce que je vois que je vous ai peut-être fâchée, tout à l’heure ?

Elle avait un léger accent et une voix claire.

- Moi, en fait, je viens pour dîner.

- Pour dîner, bien sûr ! C’est peut-être l’occasion de nous reparler.

L’accent aidant, elle prononçait réparler : j’ai failli comprendre réparer. Je pris l’air obtus :

- Je n’y peux rien si vous êtes toujours de l’autre côté de la porte que j’ouvre.

- Je vois que je vous ai fâchée.

- L’impolitesse, c’est toujours très agaçant.

Elle fit un petit sourire ironique. Elle était toujours debout avec son plateau, le vin vacillait. J’occupais un milieu de banquette.

Je finis par me pousser pour lui laisser une petite place. Les Italiennes sont ma calamité personnelle : je n’arrive pas à résister. Ça m’a d’ailleurs singulièrement compliqué mes études d’archéologie romaine. Le train changeant soudain de voie, je m’attendis à la recevoir sur les genoux, mais elle se coula à côté de moi en une ondulation des hanches pour atteindre le siège.

- Est-ce que votre dîner est bon, au moins ? demanda-t-elle, comme si nous échangions des politesses après avoir été contraintes de partager un espace restreint. Je me contentai de hocher la tête, la bouche pleine et le regard fixé sur les lumières d’une gare de province que nous traversions en ralentissant.

- C’est Dijon, sans doute, reprit-elle.

Puis voyant que je ne faisais pas d’effort pour la conversation, elle prit le parti d’attaquer son plat. Je sentis très furtivement son coude contre mes côtes, ce qui me ramena à la sensation de sa poitrine contre la mienne lorsque la porte automatique m’avait poussée en avant. J’essayais de me raisonner, mais mon corps semblait se souvenir, comme indépendamment et pour son bénéfice propre, de ce contact. Pire, j’avais l’impression que la pression de sa cuisse s’accentuait. Je pris une gorgée de vin.

- Ça ne vous plaît pas ?
- Pardon ? sursautais-je
- Ça, votre plat, ça ne vous plaît pas ? Vous ne mangez rien…

Les minutes passèrent. J’étais tellement perplexe que je n’arrivais effectivement pas à avaler grand-chose, tandis que la voyageuse d’à côté maniait avec raffinement et efficacité ses couverts. Je ne parvenais pas à comprendre le sens de son jeu avec moi ; j’avais déjà été draguée, bien sûr, mais dans des lieux faits pour cela, où on sait à quoi s’en tenir. Reprenant mon verre de vin à la main, je jetais un regard à la dérobée sur ses doigts : pas d’alliance et une manucure courte. Je pouvais aussi bien avoir affaire à une agressive qui voulait revenir sur l’altercation dans le couloir qu’à une voleuse à l’apparence chic, qui dérobait les voyageurs des trains de nuit.

Elle posa ses couverts dans un petit tintement net sur le bord de l’assiette. Je ne savais que faire ; je la trouvais très jolie, une fois ôtée la couche d’antipathie que notre querelle avait fait naître. Il fallait que je me détende, pourquoi les belles femmes me faisaient-elles perdre mes moyens ? C’étaient les vacances, je partais loin et elle aussi, je ne prenais pas de grand risque, même sur un malentendu.

A cet instant, je ne pouvais pas compter sur mon intuition : mon gaydar était visiblement en panne ; je ne pouvais pas compter non plus sur la réflexion, car sa présence tout près de moi m’empêchait de raisonner ; me restaient ces phrases toutes faites, ces façons de dire qui passent partout, et qui doivent receler une part de vérité sédimentée à travers les âges. De quoi sauver une archéologue. « Les yeux sont le miroir de l’âme » et « Mieux vaut avoir des remords que des regrets » furent les deux phrases qui s’imposèrent à moi dans cet instant. Dans quelques minutes, elle allait ramasser son sac à main, sortiri du wagon restaurant et je ne la croiserai peut-être pas une troisième fois par hasard. Ma décision était prise.

Je tournai la tête pour la regarder, autant que la table et la proximité me le permettaient. Elle portait un chemisier blanc assez décolleté, fermé par des boutons de nacre, qui laissait nue une partie des épaules ; ses cheveux étaient ramenés en chignon fou sur sa nuque. Cette coiffure accentuait un profil aux pommettes délicates. Je pouvais me tromper, mais pas sur ce que je ressentais. Elle semblait attendre. Mon regard ne la gênait pas.
- J’ai presque fini, articulais-je.

Ses prunelles étaient attentives. Je pensais « ça se voit donc tant que ça », et en même temps : « tant mieux ».

- Si vous avez encore faim, ajoutais-je, j’ai des fruits dans mon compartiment. Je peux aller les chercher.

- Je vous attends.

J’allai me lever, mais je me ravisai, je m’enhardis :

- Vous m’attendez ici ? Il y a beaucoup de monde, je pense que les gens voudront la place…

Elle m’adressa un sourire entendu.

- Alors, je vous attends dans mon compartiment. C’est en première classe. La première cabine dans le sens de la marche du train.

Un serveur s’approcha pour débarrasser nos plateaux. La première partout se se leva pour me laisser passer.

3. Compartiment pour dames

Il paraît qu’un homme politique célèbre aurait autrefois déclaré que le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte les escaliers. En tout cas, ce n’est pas quand on ouvre les portes du train : chacune, l’une après l’autre, me résistait alors que je n’avais qu’une envie, courir récupérer dans mon wagon les fruits prétextes, pour retourner la rejoindre. Dans mon compartiment, les passagères étaient installées à peu près comme je les avais laissées, mais le plafonnier était maintenant éteint, et celles qui veillaient avaient allumé les petites lumières individuelles sur le côté.

Les pommes et les bananes qui devaient constituer mon petit déjeuner étaient sur le dessus de mon sac. Je pris le paquet et redescendis de ma couchette, non sans marquer un temps d’arrêt : est-ce que je ne devrais pas emporter mon sac de voyage ? Mais je lui avais proposé de partager un dessert, pas de déballer mes affaires chez elle. Je me contentais d’un coup de peigne, de changer mon tee-shirt propre contre un autre encore plus propre, et de passer sur mon visage un peu d’eau minérale issue d’une bouteille offerte par la compagnie de transports. Après ces préparatifs sommaires, je me remis en route vers les premières classes.

Si mon compartiment n’avait rien de particulier, le sien en revanche avait l’air d’avoir été détaché de l’Orient-Express pour s’insérer dans ce train vers Venise : le couloir possédait un décor en bois et tout y était feutré.

Je frappais à la porte de la première cabine, le cœur martelant au rythme des roues du train, et elle vint m’ouvrir.

Elle aussi s’était recoiffée : elle avait défait son chignon et lissé ses cheveux. Elle se poussa pour que j’entre, et je découvris un compartiment aussi grand que le mien, mais à usage individuel, avec un lit aux draps bien tirés, une fenêtre semi-close par des rideaux plissés et, dans un coin, luxe inattendu, un lavabo et une douche fixe. Un peu embarrassée, je lui tendis les fruits.

- Merci !

En disant cela, elle avait attrapé mon avant-bras comme pour souligner son mot, puis elle l’avait lâché à l’instant d’après pour se mettre à rincer la pomme qu’elle avait choisie. De dos, elle avait des jambes longues, des hanches plutôt étroites et des fesses rebondies ; je ne pouvais pas m’empêcher de la détailler. Elle dût sentir mon regard. J’avais encore le sac de fruits à la main, elle me fit signe de le poser, puis de prendre place sur la banquette.

- Vous ne mangez rien ?

- Non, je…plus tard, dis-je, et je rougis, parce que cela faisait comme si j’allais rester un long moment ici, et que j’avais tout mon temps.

C’était exactement ceci que je voulais, rester. La sentir à côté de moi, avec cette possibilité qui planait entre nous et qui devenait de plus en plus réelle... Elle me tendit sa pomme. Sans hésitation, je croquais là où il y avait la trace de ses dents, et non à l’opposé. Alors, quand je lui rendis le fruit retourné, elle posa sa main sur la mienne pour approcher la pomme près de sa bouche, mordit la pulpe et descendit un peu plus bas, là où je tenais la tige. Je sentis ses lèvres sur mes phalanges : j’étais électrisée, mes mains s’ouvrirent et la pomme tomba sur mes genoux tandis qu’elle embrassait mes doigts. Elle remonta doucement sa bouche jusqu’à l’endroit où ils se rejoignent, puis passa sa langue entre eux. Je commençais à respirer fort. Elle continua jusqu’à la paume, qu’elle caressa puis érafla d’un léger coup d’incisives. Je poussais instinctivement ma main vers elle, pour en demander plus.

Elle saisit mon poignet entre ses doigts. Je sentais son souffle dans le creux de ma main. Puis elle s’empara de mon autre poignet et, m’écartant les bras, elle s’appuya jusqu’à ce que je recule contre la cloison de la minuscule douche, puis colla tout son corps contre le mien. Pour une femme fine, elle disposait d’une certaine énergie. Je me sentais délicieusement écrasée. Mes jambes étaient si flageolantes que je ne tenais debout que par la force qu’elle imprimait sur moi. Au contraire de mes seins qui au contact des siens, devenaient durs.

Je ne contrôlais plus ma respiration, mes côtes se relevaient à chaque seconde, je soufflais et je m’étouffais en même temps dans son cou ; quand elle baissa la tête pour embrasser mon décolleté, ma bouche libérée se mit à gémir. Je voulais me pencher en arrière, mais il ne restait plus de place et déséquilibrée par un virage du train, je me retrouvai contre le rideau de douche. Comme si cela lui avait donné une idée, à la manière ferme et souple dont les danseurs de tango guident leur partenaire, elle me poussa sous le robinet. Nous nous arrêtâmes là un instant, à quelques centimètres l’une de l’autre. J’avais l’impression qu’elle rejouait la scène de notre rencontre dans le couloir du train. Je calmais mon souffle. Elle demanda :

- Tu veux ? Tu veux bien ?

- Certo, articulais-je en soutenant son regard…

- Ça va si tu es mouillée ? poursuivit-elle en italien.

Et ce verbe a le même sens dans les deux langues. Elle ouvrit le robinet au-dessus de nous, il en sortit un peu d’eau, à faible pression. Elle commença à m’ôter les vêtements, en commençant par ceux du haut, faisant glisser mon tee-shirt par-dessus mes épaules, tourmentant mes seins à travers la dentelle du soutien- gorge jusqu’à les délivrer. Un tas mouillé tombait à mes pieds. Je commençais à poser mes mains sur elle, mais elle me repoussa en murmurant :

-Laisse-moi faire !

Elle me déshabilla pendant que l’eau peu à peu lavait mon corps. Je dus me trémousser tandis qu’elle faisait glisser mon pantalon adhérant le long de mes jambes ; vu l’état de confusion et d’humidité, la culotte venait avec. Le train sifflait à l’entrée des tunnels, mais j’étais responsable d’une bonne partie du boucan dans la cabine : je fis tomber par terre des objets qui devaient être posés sur les étagères près de la douche, je poussais des gémissements qui devaient s’entendre de l’autre côté de la cloison, et je demandais, mi autoritaire, mi suppliante, qu’elle me touche, encore, ce qu’elle faisait de toute façon, mais je ne pouvais pas me taire, j’avais peur que la moindre secousse du train nous éloigne.

Maintenant, ses mains étaient entre mes cuisses, les miennes appuyées sur ses épaules, j’étais courbée en avant et l’eau tombait de mes cheveux sur les siens. Nos têtes formaient une cascade. Je voulais la relever pour aller sur la banquette, mais elle interpréta mal mon geste et cessa aussitôt ses caresses.

-Là, lui-dis-je en désignant la couchette.

Rassurée, elle acquiesça, et en deux pas nous fûmes allongées, moi sous elle, qui descendit sans perdre de temps entre mes jambes qu’elle souleva pour s’installer après avoir caressé mes fesses. Le contact de sa bouche à cet endroit me donnait de violents frissons, je racontais n’importe quoi dans sa langue comme dans la mienne, et si elle était surprise de tomber sur une amante aussi bavarde, elle le cacha bien, tout en comprenant que c’était très appréciatif : à la fin, personne ne lui traduit mes « oui » « oui » « oui » tandis que je m’accrochais au filet du porte revues au bout de la couchette, complètement transportée par le plaisir.

-A toi, lui dis-je, après avoir récupéré mes esprits. Mais elle me repoussa gentiment. Elle se leva pour éteindre le robinet, une flaque se formait au sol. Elle me passa une serviette tandis que je restais allongée, puis elle revient se coller à mon dos.

- Tu veux dormir ici ?

- Je ne veux pas dormir !

- Alors, c’est mieux que tu retournes dans ton compartiment.

Il ne m’était jamais arrivé une histoire comme ça. J’avais du désir et je voulais la toucher. Que se passait-il ? Est-ce qu’elle ne pouvait pas s’abandonner ? Comme si elle avait surgi de nulle part, du repli d’un train, pour un seul plaisir en mouvement, pressée comme les wagons qui nous emportaient. Ne pouvais-je pas rester encore un peu ? La chaleur et la tension ne s’étaient pas dissipés. Je voulais m’approprier chaque parcelle de sa peau, l’effleurer et la pincer, comme elle avait fait avec moi. Soudain, je ne savais que penser. Hormis que la réciprocité n’est pas obligatoire, alors que le consentement l’est. Il faut accepter les cadeaux, même incompréhensibles. Je n’arrivais pas à raisonner, mais j’avais l’intuition que si je voulais la faire changer d’avis, il ne fallait pas faire mine d’insister.

- Où est-ce que vous descendez ? repris-je avec un vouvoiement formel.

- A Bellagio.

Je n’avais pas réalisé que le train s’arrêterait à la frontière suisse. Bien longtemps avant Venise. Elle partirait donc dans la nuit.

Quelques minutes plus tard, je fus hors du compartiment, oscillant entre une plénitude personnelle et une impression d’inachevé. Je me mis à la fenêtre du couloir. Dans le reflet des lumières sur la vitre, je vis une sorte de porte-étiquettes. Je me retournais et regardais les papiers glissés sur la porte du compartiment : il y avait, à l’intention du contrôleur qui réveillait les passagers, et pour chaque numéro, la ville de descente indiquée. La sienne était Venise.





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[Suite et fin pour le 14/02/2020, promis juré, sauf si je passe sous un train]


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Dalia
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Inscription : mar. nov. 06, 2018 12:49 pm

Re: "Compartiment pour dames", une nouvelle

Message par Dalia »

Voilà, c'est fini dans les temps, bonne lecture à toutes !

J'aime bien écrire, donc impressions, remarques et conseils bienvenus. :gentil:
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