Il est comment votre père?
Handicapé des sentiments, cyclothymique, tyrannique (bien moins maintenant), de mauvaise foi (mais persuadé d’être dans son bon droit), autoritaire et, comme une sorte de schizophrène, il peut changer brutalement d’attitude se montrer très drôle, calme et réservé (avec sa famille (ses parents etc) et avec les collègues ou les étrangers, il peut même être carrément timide et coincé (un comble

!)). J’ai donc toujours eu du mal à le cerner et le juger parce que quand il s’emporte (pour un rien), il est totalement insupportable, mais quand il est posé, tout va à peu près bien. Au fond, je ne sais pas tellement lequel des deux est son comportement normal ; aujourd’hui le deuxième sûrement

.
Ca se passe comment avec lui ?
Petite, j’ai essayé, en vain, d’attirer son attention, mais il préférait jouer avec mes cousins. Parfois, on avait nos petits moments mais on parlait peu. Recevant énormément d’amour de ma mère, j’ai fini par abandonner l'idée d’une relation avec lui (sans compter qu’il me faisait parfois franchement peur dans ses colères et que je n’étais pas toujours rassurée seule avec lui, c’était quelqu’un de sombre).
Quand j’étais à l’école primaire, mes parents se sont séparés (après des années de disputes). J’ai passé 4 ans de bonheur, sans sa présence étouffante. Et puis mes parents, au lieu de divorcer comme tout le monde

, se sont remis ensemble et là, je n’ai pas supporté. On déménageait (pour tourner la page, j’imagine) et l’autorité paternelle toute-puissante est revenue, il fallait à nouveau obéir à tout, y compris à sa maniaquerie maladive du rangement. Notre cohabitation s’est très mal passée. On ne s’était jamais vraiment compris (selon ma mère parce qu’on se ressemble trop, ça me vexe mais j’admets, la quasi-totalité de mes défauts me viennent de lui

) et on voulait ma mère chacun pour soi.
J’ai cessé de l’appeler Papa à 11 ou 12 ans. C’était la seule façon que j’avais pour lui retirer le pouvoir dictateur qu’il avait sur moi, pour que, s’il n’était plus vraiment mon père, je ne sois plus sa fille qui doive lui obéir. On se disait nos quatre vérités en passant par ma mère qui filtrait les propos dédaigneux que nous avions l’un sur l’autre et ajoutait des tentatives de conciliation. Parce qu’en grandissant, je ne me laissais plus marcher sur les pieds et donc les disputes démarraient au quart de tour. Ce qui était surprenant, c’est qu’autant il pouvait se montrer odieux avec moi, autant quelques temps plus tard, m’offrir un cadeau particulièrement beau et coûteux

(j’avais l’impression de me faire acheter, ma mère me disait que c’était sa façon à lui de me montrer qu’il m’aimait

). Les rares accès de tendresse qu’il a eu envers moi et qui remontent à plus de 10 ans m’on toujours gênée parce que je n’y étais pas habituée de sa part.
Aujourd’hui et depuis quelques années, la situation s’est aplanie (sans doute parce que ça devenait franchement épuisant de repartir en guerre tous les soirs sur tout et n'importe quoi, notre seul moyen de communication

), je réagis moins à ses remarques acerbes, qui sont beaucoup plus rares, on est dans l’apathie, parfois la tension monte mais ma mère change vite de sujet. On est poli, courtois, l’un envers l’autre. Finalement, ça se passe bien. Je crois que notre relation ne s’est jamais mieux portée. Un peu vide, un peu agaçante, mais calme. Ca a beaucoup attristée ma mère que notre relation soit si pénible à vivre, c'est aussi pour ça qu'on a fait des efforts pour changer. En fait, je crois que le plus je-ne-trouve-pas-le-mot (bizarre, étrange, incongru, évident ?), c’est qu’on ne s’aime pas vraiment (il y a tout de même un sentiment (inné probablement) de respect et parfois d'admiration qui surnage encore). C’est un peu périmé aussi pour ça maintenant. A force de jouer la comédie, on a fini par bien s’entendre à condition de ne pas trop se parler quand même et de trucs tout à fait banal uniquement. Mon père a peut-être supposé que l’amour vient tout seul à un enfant (pourtant avec ses parents, aussi peu démonstratifs que lui, et son père et sa sœur avec qui il a rompu pendant plusieurs années, il aurait dû s’en douter) mais pour ça il faut s’en occuper. Sans doute n’étais-je pas non plus l’enfant qu’il attendait (si tant est qu’il ait attendu). Moi je ne sais pas trop ce que j’attendais. En même temps, je sais qu’il était difficile de tenir la comparaison avec ma mère mais avec un peu d’intérêt pour moi, j’aurais su être indulgente.
Une relation chaotique donc, avec beaucoup de bas, très peu de haut (époque maternelle) et du statu quo aujourd’hui et probablement jusqu’à la fin puisque c’est le meilleur terrain d’entente qu’on ait trouvé.
Bon, j’ai l’impression d’avoir fait long et pas très clair, désolée

, c’était l’occasion de faire un dernier bilan. Je n’aime pas trop me replonger là-dedans, ça fait bien 3 ou 4 ans que l’affaire est enterrée, mais j’ai fait plus long que je n’aurais cru (en cherchant, y aurait encore eu de quoi tartiner pourtant).
Vous êtes outé auprès de lui, ou pas ?
Non, franchement son avis ne m’intéresse pas. Quand je le dirai à ma mère, elle lui dira. Ca passera mieux comme ça. Il est tolérant sur ces questions (même si très libéral), il ne devrait pas me mettre de bâtons dans les roues.