Certes, il y a une référence aux "dilemmes" que suppose la bisexualité (vais-je assumer cette sexualité "déviante" ou vais-je "choisir" entre l'homo et l'hétérosexualité ?). La bisexualité ou la pansexualité pourrait se définir comme un refus de "choisir" selon le genre : refus de classer nos préférences affectives et sexuelles selon le critère du genre. (Je dis "affective" parce qu'être bi ou pan, ce n'est pas "aimer la chatte et la bitte", c'est aimer des personnes. Au cas où ce n'était pas évident

Mais comme j'ai déjà parlé un peu de ce refus de faire le deuil d'un genre ou de l'autre (ou d'un autre) ici et que je l'ai un peu dessiné là, je ne vais pas m'y appesantir.
Ce que je voulais vous dire maintenant, c'est que Shakespeare me paraît être un bon "patron" de la section bi... Il peut y en avoir plusieurs, je ne prétends pas en imposer un unique (ça doit être mon côté égalitaire ou polyamoureux^^ qui parle, là). Libre à vous de proposer d'autres figures tutélaires.
Eily disait l'autre jour qu'il n'y avait pas beaucoup de mecs bi dans la section pour le moment. Invitons donc notre ami Wiliiam à se joindre à nous.
Ce que j'aime dans les sonnets de Shakespeare, c'est que le coeur du poète se trouve déchiré entre un beau jeune homme blond et une dark lady. Le beau jeune homme blond, quoique souvent d'humeur "gentille", peut se permettre toutes les trahisons, parce que la noblesse de son corps efface les fautes de son âme O_O
La "dark lady" aux yeux noirs, elle, est dépeinte en des traits franchement machiavéliques, mais le poète ne l'en aime pas moins.
L'histoire qui les unit tous les trois n'a rien d'un polyamour harmonieux : après avoir conquis le coeur du poète, la dark lady lui "vole" le beau jeune homme blond qui était son amant. Le poète est donc abandonné par ses deux amants qui fuient pour vivre leur propre histoire ensemble. Eh non, la dark lady n'est pas une meuf sympa (et le jeunot blond a beau avoir de grands yeux bleus et un corps de fleur, il n'en demeure pas moins doté d'une âme tantôt douce, tantôt perverse^^).
Pendant dix-sept sonnets, Shakespeare encourage son amoureux blond à procréer, pour que le monde ne soit pas privé de sa beauté quand il vieillira et mourra. Allez, je vous mets un lien vers le sonnet n°1 en anglais, dont voici la traduction :
Notons au passage (sonnet 20) que le poète est sensible à une beauté androgyne : poème en anglais dont voici un extrait traduit. La bisexualité passe ici par une recherche du féminin et du masculin dans un seul être. (Notons que même au coeur de cette valorisation de l'androgynie, "la femme" reste une créature mauvaise, impure et perverse, comme chacun sait.)Nous voulons descendance aux belles créatures
Pour que ne meure point la rose de beauté
Et que - devant périr les formes les plus mûres -
Vive au moins leur mémoire en leur postérité.
Mais toi, ne t'engageant qu'à tes yeux de lumière,
Tu te fais l'aliment de ton divin flambeau,
L'abondance, par toi, se transforme en misère,
Trop cruel ennemi de ton être si beau.
Toi qui fais à présent les délices du monde,
Qui sers au gai printemps de suave écuyer,
Tu perds en ton bourgeon une sève inféconde,
Doux avare qui ruine en jouant l'usurier.
Prends en pité ce monde ou, gourmandise extrême,
Vole ce que lui doit la tombe, avec toi-même.
Sonnet 53, le poète se délecte encore du mélange de féminité et de masculinité de son amant :D'un visage de femme, ouvrage de sa main,
Nature t'a doué, mon maître et ma maîtresse ;
Un tendre coeur de femme elle a mis en ton sein,
Mais non, comme le leur, changeant, d'humeur traîtresse.
Ton oeil a plus d'éclat, moins de perversité ;
Il dore les objets qu'il touche de sa flamme.
Ton visage sur tous a suzeraineté,
Garçons, volant leurs yeux, filles, troublant leur âme."
Quelle est votre substance, en quoi fûtes-vous fait
Pour voir se fondre en vous tant d'étranges images ?
Quand chaque être apparaît sous un unique aspect,
Vous seul, à l'infini, muez de personnages.
Qu'on décrive Adonis et ce divin portrait
Ne semblera de vous qu'une pâle figure ;
Hélène, dont Beauté dessina chaque trait,
C'est, sous un pinceau grec, votre neuve peinture.
Ici (sonnet 42), le poète parle de ses amants qui se sont fait la malle ensemble. Il est dépité, mais pas exactement délaissé, puisque les deux zouaves continuent à l'aimer en s'aimant l'un l'autre :
Ils sont ainsi imbriqués tous les trois dans le sonnet 133 :Que tu puisses l'avoir n'est pas tout mon tourment
Et Dieu sait si pourtant je l'aimais d'amour chère !
Mais qu'elle t'ait toi-même est mon deuil le plus grand,
Une perte d'amour qui bien plus m'exaspère.
Mes offenseurs d'amour, je vous vais excuser :
Toi, tu l'aimes sachant que je l'aime moi-même
Et c'est aussi pour moi qu'elle veut m'abuser
Souffrant que mon ami par amour de moi l'aime.
Si je te perds, ma perte est gain de mon amour,
Si je la perds, ma perte à mon ami profite ;
S'étant trouvés tous deux, je les perds à mon tour
Mais c'est pour mon amour que leur amour m'irrite.
Mais mon ami et moi sommes un. C'est pourquoi
- O douce illusion - elle n'aime que moi.
(Traduction de Jean Malaplate)De lui, de toi, de moi je suis abandonné,
Triple tourment qui veut une triple défense.
Enferme donc mon coeur dans ton dur sein d'acier,
Mais qu'en mon pauvre coeur son coeur on emprisonne.