Shakespeare bi: to bi or not to bi

To bi or not to bi ? Telle est la question.
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Juuune
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Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Juuune »

Salut les Et-alorien-ne-s ! Une précision s'impose sur le "sous-titre" de cette section, placée sous la férule de Shakespeare. Car ce n'est pas un hasard si j'ai proposé "to bi or not to bi" pour accompagner notre section.

Certes, il y a une référence aux "dilemmes" que suppose la bisexualité (vais-je assumer cette sexualité "déviante" ou vais-je "choisir" entre l'homo et l'hétérosexualité ?). La bisexualité ou la pansexualité pourrait se définir comme un refus de "choisir" selon le genre : refus de classer nos préférences affectives et sexuelles selon le critère du genre. (Je dis "affective" parce qu'être bi ou pan, ce n'est pas "aimer la chatte et la bitte", c'est aimer des personnes. Au cas où ce n'était pas évident :content: .)

Mais comme j'ai déjà parlé un peu de ce refus de faire le deuil d'un genre ou de l'autre (ou d'un autre) ici et que je l'ai un peu dessiné , je ne vais pas m'y appesantir.

Ce que je voulais vous dire maintenant, c'est que Shakespeare me paraît être un bon "patron" de la section bi... Il peut y en avoir plusieurs, je ne prétends pas en imposer un unique (ça doit être mon côté égalitaire ou polyamoureux^^ qui parle, là). Libre à vous de proposer d'autres figures tutélaires.

Eily disait l'autre jour qu'il n'y avait pas beaucoup de mecs bi dans la section pour le moment. Invitons donc notre ami Wiliiam à se joindre à nous.

Ce que j'aime dans les sonnets de Shakespeare, c'est que le coeur du poète se trouve déchiré entre un beau jeune homme blond et une dark lady. Le beau jeune homme blond, quoique souvent d'humeur "gentille", peut se permettre toutes les trahisons, parce que la noblesse de son corps efface les fautes de son âme O_O
La "dark lady" aux yeux noirs, elle, est dépeinte en des traits franchement machiavéliques, mais le poète ne l'en aime pas moins.

L'histoire qui les unit tous les trois n'a rien d'un polyamour harmonieux : après avoir conquis le coeur du poète, la dark lady lui "vole" le beau jeune homme blond qui était son amant. Le poète est donc abandonné par ses deux amants qui fuient pour vivre leur propre histoire ensemble. Eh non, la dark lady n'est pas une meuf sympa (et le jeunot blond a beau avoir de grands yeux bleus et un corps de fleur, il n'en demeure pas moins doté d'une âme tantôt douce, tantôt perverse^^).

Pendant dix-sept sonnets, Shakespeare encourage son amoureux blond à procréer, pour que le monde ne soit pas privé de sa beauté quand il vieillira et mourra. Allez, je vous mets un lien vers le sonnet n°1 en anglais, dont voici la traduction :
Nous voulons descendance aux belles créatures
Pour que ne meure point la rose de beauté
Et que - devant périr les formes les plus mûres -
Vive au moins leur mémoire en leur postérité.

Mais toi, ne t'engageant qu'à tes yeux de lumière,
Tu te fais l'aliment de ton divin flambeau,
L'abondance, par toi, se transforme en misère,
Trop cruel ennemi de ton être si beau.

Toi qui fais à présent les délices du monde,
Qui sers au gai printemps de suave écuyer,
Tu perds en ton bourgeon une sève inféconde,
Doux avare qui ruine en jouant l'usurier.

Prends en pité ce monde ou, gourmandise extrême,
Vole ce que lui doit la tombe, avec toi-même.
Notons au passage (sonnet 20) que le poète est sensible à une beauté androgyne : poème en anglais dont voici un extrait traduit. La bisexualité passe ici par une recherche du féminin et du masculin dans un seul être. (Notons que même au coeur de cette valorisation de l'androgynie, "la femme" reste une créature mauvaise, impure et perverse, comme chacun sait.)
D'un visage de femme, ouvrage de sa main,
Nature t'a doué, mon maître et ma maîtresse ;
Un tendre coeur de femme elle a mis en ton sein,
Mais non, comme le leur, changeant, d'humeur traîtresse.

Ton oeil a plus d'éclat, moins de perversité ;
Il dore les objets qu'il touche de sa flamme.
Ton visage sur tous a suzeraineté,
Garçons, volant leurs yeux, filles, troublant leur âme."
Sonnet 53, le poète se délecte encore du mélange de féminité et de masculinité de son amant :
Quelle est votre substance, en quoi fûtes-vous fait
Pour voir se fondre en vous tant d'étranges images ?
Quand chaque être apparaît sous un unique aspect,
Vous seul, à l'infini, muez de personnages.

Qu'on décrive Adonis et ce divin portrait
Ne semblera de vous qu'une pâle figure ;
Hélène, dont Beauté dessina chaque trait,
C'est, sous un pinceau grec, votre neuve peinture.

Ici (sonnet 42), le poète parle de ses amants qui se sont fait la malle ensemble. Il est dépité, mais pas exactement délaissé, puisque les deux zouaves continuent à l'aimer en s'aimant l'un l'autre :
Que tu puisses l'avoir n'est pas tout mon tourment
Et Dieu sait si pourtant je l'aimais d'amour chère !
Mais qu'elle t'ait toi-même est mon deuil le plus grand,
Une perte d'amour qui bien plus m'exaspère.

Mes offenseurs d'amour, je vous vais excuser :
Toi, tu l'aimes sachant que je l'aime moi-même
Et c'est aussi pour moi qu'elle veut m'abuser
Souffrant que mon ami par amour de moi l'aime.

Si je te perds, ma perte est gain de mon amour,
Si je la perds, ma perte à mon ami profite ;
S'étant trouvés tous deux, je les perds à mon tour
Mais c'est pour mon amour que leur amour m'irrite.

Mais mon ami et moi sommes un. C'est pourquoi
- O douce illusion - elle n'aime que moi.
Ils sont ainsi imbriqués tous les trois dans le sonnet 133 :
De lui, de toi, de moi je suis abandonné,
Triple tourment qui veut une triple défense.

Enferme donc mon coeur dans ton dur sein d'acier,
Mais qu'en mon pauvre coeur son coeur on emprisonne.
(Traduction de Jean Malaplate)
Dernière modification par Juuune le mar. nov. 29, 2011 10:14 am, modifié 1 fois.
puck
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par puck »

L'Anglais, prendre pied en ce forum ? AAAArgh ! Quel Outrââââge ! Quelle Infâmie ! etc...

Non, sérieusement, bonne idée ! Si on veut davantage de mythologique, sinon, on peut taper dans Apollon, dieu bi jusqu'aux sourcils, et qui a eu quelques soucis en amour ! :mrgreen:

( juste une remarque: de la même manière que je vois* Jeezus avec un physique de palestinien plutôt que le nordique blond sous lequel il est en général représenté, la dark lady de Shakespeare, j'avais toujours trouvé plus marrant de l'imaginer comme ça )


Image

*: Quand je dis je vois, comprendre "je m'imagine", je ne le vois pas tout court, hein. :p Sinon, sympa la bd, June ! :gentil:
Vivi
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Vivi »

Je crois que ça leur titillait un peu de parler de mecs gays, dans le théâtre elizabethain :)
Déjà parce que Shakespeare a dédié plein de sonnets, mais il n'y a pas que lui. Dans la même époque, y'a Marlowe qui a écrit une pièce sur Edouard II, et là, il est clairement gay, mais c'est seulement un gay symbolique. Mais je crois que Shakespeare est un peu moins second degré que Marlowe :)
Mais je crois pas qu'il pensait à cette dark lady-là, Puck :huhu:
Juuune
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Juuune »

Puck : excellente image 8)

Vivi : il s'agit de bisexualité, hein, pas juste d'homosexualité^^, pas que je chipote, mais... la différence a son importance.
Edit : et puis le terme "gay" a une dimension militante qui ne me semble pas convenir pour un poil aux sonnets de Shakespeare^^
puck
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par puck »

Ah, le théâtre, une demie-salle de mecs débordant d'émotion pour une demoiselle jouée sur scène par un homme, courtisé par un de ses camarades. :p
Vivi
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Vivi »

Juuune a écrit :Vivi : il s'agit de bisexualité, hein, pas juste d'homosexualité^^, pas que je chipote, mais... la différence a son importance.
Edit : et puis le terme "gay" a une dimension militante qui ne me semble pas convenir pour un poil aux sonnets de Shakespeare^^
Tu chipotes un peu, en effet, donc je recommence : il est clairement ... hum, qu'est-ce qui ne fait pas militant :ninja: :ninja: ... il aime clairement les hommes, voilà !
Mais je te conseille delire Edward II, c'est gay, cruel, et sympa à lire :) mais tu l'as peut-être déjà lu ... ? ^^
ExMembre

Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par ExMembre »

Vivi a écrit :
Juuune a écrit :Vivi : il s'agit de bisexualité, hein, pas juste d'homosexualité^^, pas que je chipote, mais... la différence a son importance.
Edit : et puis le terme "gay" a une dimension militante qui ne me semble pas convenir pour un poil aux sonnets de Shakespeare^^
Tu chipotes un peu, en effet, donc je recommence : il est clairement ... hum, qu'est-ce qui ne fait pas militant :ninja: :ninja: ... il aime clairement les hommes, voilà !
Mais je te conseille delire Edward II, c'est gay, cruel, et sympa à lire :) mais tu l'as peut-être déjà lu ... ? ^^
Super, ce sujet, merci ! :)

Pour éviter toute ambiguïté, Edward II n'est pas de Shakespeare, mais de Christopher Marlowe, autre dramaturge élisabethain.

Image

Mais Shakespeare, outre ses sonnets, a également abordé l'ambiguïté sexuelle dans plusieurs de ses pièces, et notamment dans "Twelfth Night" (La Nuit des Rois).

Synopsis : deux jumeaux, un frère (Sébastien) et une soeur (Viola), échouent sur une île suite à un naufrage. Viola se travestit en homme et rentre à la cours du Duc Orsino sous le nom de Cesario. Le Duc lui propose d'en faire son page et s'en sert comme confident et messager vers Olivia. Olivia, dont le Duc est amoureux, tombe sous le charme de ce beau page qui est en fait une fille - Viola - travestie en garçon. Les relations du Duc envers Cesario ne sont pas non plus dénuées d'un certain érotisme. Il y aura un très beau happy end, et tout rentrera dans l'ordre hétéronormé (je ne dévoilerai pas l'issue de l'intrigue), mais toute la pièce baignera dans l'ambivalence amoureuse ...

Le fait qu'à l'époque les rôles féminins étaient tenus par de jeunes hommes en rajoutait encore dans l'homoérotisme : un jeune acteur déguisé en fille (Viola) elle-même travestie en garçon (Cesario) - vous me suivez ? - soupire d'amour pour Orsino ...
Juuune
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Juuune »

Je vais justement donner des cours particuliers sur Twelfth Night le semestre prochain. Je n'avais pas encore lu la pièce : Ray Steam, tu me donnes très envie de m'y plonger.
Ray Steam a écrit :Le fait qu'à l'époque les rôles féminins étaient tenus par de jeunes hommes en rajoutait encore dans l'homoérotisme : un jeune acteur déguisé en fille (Viola) elle-même travestie en garçon (Cesario) - vous me suivez ? - soupire d'amour pour Orsino ...
On peut aussi aller un degré plus loin et imaginer le cas de figure où un homme trans jouerait ce rôle de femme travestie en homme...
ExMembre

Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par ExMembre »

Juuune a écrit :Je vais justement donner des cours particuliers sur Twelfth Night le semestre prochain. Je n'avais pas encore lu la pièce : Ray Steam, tu me donnes très envie de m'y plonger.
Oui, je te la conseille très chaudement ! :)

Je ne sais pas à qui tu vas donner ces cours particuliers, mais si c'est pour un jeune public, outre la lecture de la pièce, il y a une floppée de films qui en ont été tirés. Celui qui a ma préférence est celui de Trevor Nunn (Twelfth Night: Or What You Will) sorti en 1997.

La distribution est prestigieuse : rien moins que Helena Bonham Carter dans le rôle d'Olivia et Ben Kingsley dans le rôle de Feste.

Image

Tu le trouveras certainement dans une bonne médiathèque.
Juuune
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Re: Shakespeare bi: to bi or not to bi

Message par Juuune »

Ray Steam, merci ! Mon élève est en deuxième année de licence, il n'est donc pas tout petit, mais je suis sûre qu'il sera ravi d'apprendre l'existence de ce film. Je vais tenter de voir ça :gentil:

Shakespeare power.
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