Manchette a écrit :Sachant que l'on trouve aussi des Français dits de souche, qui sont parfois même de parfaits incroyants, je me permets d'en déduire que l'on ne met pas les immigrés là parce qu'ils sont immigrés ou musulmans, mais plutôt que l'on fait des clapiers pour les pauvres. Lutte des classes ?
Peux-tu avoir une vision des choses en relief ? C'est tout de même pas un scoop, ça, que les minorités se croisent, en particulier sur les critères de la classe, du sexe et de la couleur de peau/origine géographique. Les fameuses "émeutes de banlieue", ce n'étaient pas des émeutes "raciales", c'étaient des révoltes sociales. On ne met pas les immigrés dans des clapiers parce qu'ils sont musulmans, on les met parce qu'ils sont immigrés et, comme il se trouve qu'ils sont musulmans, on a, tout beau tout chaud, un joli "ennemi de l'intérieur" terriblement effrayant (classes laborieuses, classes dangereuses + le fascisme vert, c'est de la bombe coco). Comme ça tombe bien. Après, les processus de fuite de ces quartiers continuent : ceux qui le peuvent déguerpissent (et ceux qui le peuvent, ce ne sont généralement pas ceux qui sont constamment discriminés à l'embauche pour les postes qualifiés).
Manchette a écrit :Pour ce qui est de la stigmatisation de la religion, il me semble que l'anticléricalisme est bien ancré dans notre culture, notamment au sein du Canard enchaîné, des Guignols de l'info, ou des chansonniers, non ? Les papes successifs ne se font-ils pas tailler de sacrés vestes par lesdits humoristes ? A quand Mon imam chez les nudistes ? Mon mollah chez les Thaïlandaises ?
Comme tu l'as si bien remarqué avec d'autres avant, le christianisme était un des fondements de notre culture en France, jusque en gros dans les années 1970-1980 (c'est à partir de là que la sécularisation se fait vraiment sentir). C'est une partie de la culture commune des Français jusqu'à cette époque, qu'ils soient Français depuis des dizaines de générations ou des immigrés (pour les pauvres / non qualifiés : majoritairement européens en gros avant les années 1950, puis venus d'Afrique et notamment du Maghreb en gros à partir des années 1960).
Mon curé chez les nudistes, c'est de l'autodérision dans ce contexte. Et encore, j'en vois pas l'intérêt : les blagues sur les curés, les blondes, les Belges et les juifs, c'est majoritairement de l'humour beauf (donc pas drôle). Mais bon, si ce genre de poilade, genre les curés sont tous pédophiles, te convient… Mon imam chez les nudistes, en France aujourd'hui, c'est se moquer, que dis-je, c'est insulter, une partie mineure de la population française, et précisément celle sur laquelle on tape à tout propos, justement parce qu'elle est d'origine étrangère, de couleur de peau différente, de religion différente (on ne s'embarrasse pas des faits, on lie tout chez les xénophobes) et qu'elle est majoritairement dans les franges socioéconomiques inférieures. Tu ne saisis toujours pas la nuance, là ? Alors oui, on se moque des curés en France, mais comme on considère qu'ils ne sont plus un danger, les plaisanteries, plus acerbes (et souvent pas du tout plaisantes), se tournent vers les musulmans. Est-ce qu'on se pose encore aujourd'hui la question de la compatibilité entre catholicisme et démocratie, quand les présidents ont des titres honorifiques dans l'Église catholique romaine, quand les ministres se signent et se font entretenir par le Vatican, quand la Boutin brandit la Bible en pleine séance parlementaire ? En revanche, on trouve foutrement drôle les caricatures qui représentent le prophète Mohammed en turban-bombe ou un musulman enculant une chèvre. Mais si, il faut rire de tout Abou ! Surtout quand c'est aux dépens des autres…
Il y a quand même une différence entre critique et stigmatisation. Si la première est rigoureuse et irrévérencieuse, la seconde est stupide et irrespectueuse. Là encore, la nuance est subtile, mais dans un pays qui porte Philippe Val et Jean-Marie Bigard aux nues, il est commun de prendre la seconde pour la première.
Manchette a écrit :Pour ce qui est des mariages blancs, gris et des expulsions, il me semble que ni les musulmans, ni les Africains (maghrebins comme subsahariens) n'ont pas le monopole de ces pratiques qui, comme on le sait depuis Sarko, visent avant tout à récupérer les voix du FN.
Le chouette concept de "mariage gris" a été inventé pour stigmatiser les mariages entre personnes d'origine différente, et notamment les immigrés originaires des pays pauvres (Europe de l'est et Afrique pour la France, et ça explique Latinos aux USA). Les mariages blancs, ils sont une nécessité face aux législations débiles en matière de migrations.
Tu reconnais l'artificialité de ces gadgets xénophobes tout en affirmant que les musulmans et les Africains n'en ont pas le monopole… N'est-ce pas un chouille contradictoire ?
Manchette a écrit :en tant qu'immigrés illégaux, non en tant que catholiques. Même chose donc en France pour les immigrés illégaux qui se trouvent être de foi musulmane.
Ceci n'empêche pas cela. On stigmatise les immigrés ET les gueules d'Arabes ET les musulmans, parce qu'il se trouve que l'on mélange ces catégories dans notre univers de représentation. C'est le principe de l'islamophobie, comme je l'ai expliqué. Par exemple, on ne dira jamais que Sarkozy est issu de l'immigration, sauf dans les discours pétris de condescendance de ceux qui veulent faire croire que la vie a été dure pour lui.
Et toi aussi, tu penses que des gens peuvent être illégaux (tu écris bien "les Français
dits de souche", mais pas "les immigrés
dits illégaux") ? Finalement, tout s'explique. C'est fou, d'ailleurs, ce que tu es attaché à la Loi, pour un lecteur assidu de Marx et des grands anarchistes. Les lois, dura lex, sed lex, comme tu dis, elle sont faites par des hommes, elle sont appliquées (plus ou moins selon leurs convenances) par des hommes. Il n'y a pas d'égalité en France aujourd'hui devant la police, devant la justice. Et toi, tu réfléchis comme si tout fonctionnait bien - mais seulement quand on parle des religions et notamment de l'islam. Les autorisations préfectorales, elles dépendent justement du bon vouloir du préfet. Les administrations, elles fonctionnent selon des règles qui sont tout sauf explicites. Les contrôles policiers, ils frappent un peu plus certains que d'autres. C'est démontré par des dizaines de travaux scientifiques, et toi qui es si attaché à la science, tu les ignores sous prétexte que la religion, c'est pas pareil ?
Manchette a écrit :N'oublions pas non plus ce qui s'est passé à Aigues-Mortes, le 17 août 1893, n'est-ce pas ?
Et l'intérêt de cette remarque ? J'ai déjà parlé des Italiens. C'est toi qui refuses de voir le lien entre les Italiens d'hier et les musulmans d'aujourd'hui (allègrement confondus, je le répète, avec Arabes, Maghrébins et tous ceux qui ont une certaine couleur de peau - bizarrement, on ne parle jamais des Indonésiens quand on parle des musulmans).
Manchette a écrit :Et le fait qu'une journaliste de TF1 doive se voiler pour interviewer le président iranien ? Chez nous, on doit avoir le droit de se voiler, mais par contre, il est normal d'interdire d'être dévoilée ?! Une Française n'a pas le droit d'être dévoilée hors des "enclaves occidentales" en Arabie saoudite, mais les saoudiennes doivent pouvoir porter la burqa chez nous, car c'est nous qui serions intolérants ?!
Re-argument du "il y a plus con que nous, donc pas de problème". Et de fait, tout va vers une interdiction du voile en France. Non que le voile fasse chaud ou froid aux faiseurs de lois. On commence par ça, qui est largement accepté par la majorité d'une population, gavée de propagande islamophobe, pour ensuite l'étendre à tout autre chose. Et c'est ainsi qu'on tue les libertés.
Tu sais combien de femmes sont concernées par le port de la burqa ou du niqab en France ? Tu sais combien prennent volontairement cet habit, combien y sont forcées ? Tu sais qu'il n'y a pas besoin de loi supplémentaire pour défendre des femmes qui seraient obligées de porter un tel vêtement ?
Les autorités iraniennes ne se prétendent pas démocrates, elles ne se prétendent pas laïques, et ne mentent pas sur leur conception de la liberté. On sait à quoi s'attendre quand on y va : une situation merdique ; au moins, la couleur est annoncée. En France, on se prétend démocrate et antisexiste, et on bafoue les expressions politiques de la démocratie quand elles ne conviennent pas aux gens de pouvoir, on paie toujours moins les femmes que les hommes à travail égal, on les prend toujours pour des potiches, et, dans le cas qui nous occupe, on considère celles qui sont voilées soit comme des agentes sournoises de l'islamisation, soit comme des cruches crédules, soit comme de faibles créatures vivant dans la peur sous le joug de leur mari (barbu). On se dit défenseurs de la liberté et de l'égalité alors qu'on s'ingénie à perpétuer les inégalités et à restreindre les libertés chaque jour un peu plus. Il n'y a pas comme une sorte d'hypocrisie là ?
Manchette a écrit :Ensuite, si tu veux parler du colonialisme, on peut parler du colonialisme arabe en Berbérie, ou du colonialisme espagnol en Amérique du sud, qui a carrément éradiqué la civilisation et la culture existantes, et s'est montré autrement plus destructeur que le colonialisme français en Algérie, puisque les Français n'ont pas converti de force afin d'éradiquer, me semble-t-il.
Ahem. Parce que maintenant, il faut comparer les destructions induites des différentes formes de colonisation à travers les espaces et les siècles ? On gagne quoi quand on a fait le plus petit massacre de l'Histoire du monde ?
Il n'y a pas que la conversion qui massacre (d'ailleurs, les jésuites, en Amérique comme en Algérie, ont toujours plus tablé sur l'éducation et l'endoctrinement que sur la guerre et la terreur ; c'est encore une approximation historique), il n'y a pas que l'Algérie qui fut colonisée, et il n'y a pas que les colonies qu'on a détruites. Je te rappelle qu'il y a eu des guerres de conquête, des spoliations de terre, un "code de l'indigénat", une destruction organisée des structures traditionnelles et des cultures. Mais bon, tant que c'est pour le service de l'universalisme républicain, diable, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs...
Manchette a écrit :Ensuite, il faut effectivement nuancer. Si la France a mené une politique catastrophique en Algérie, notamment vis-à-vis de Hadj ou Abbas ou du massacre de Guelma ou Sétif, on ne peut pas dire que les anticolonialistes du FLN soient blancs comme neige.
Oui oui, on "nuance" toujours dans ce sens-là. La traite des esclaves, c'est pas notre faute, il y avait des traites négrières dans toute l'Afrique ! La torture, c'est pas notre faute, en face c'étaient des terroristes ! La colonisation, c'est pas notre faute, c'était pour civiliser les sauvages qui n'étaient pas encore entrés dans l'Histoire !
Manchette a écrit :Le FLN a quand même le massacre de Melouza sur la conscience. Si la torture n'est pas défendable, le terrorisme est tout aussi condamnable : cela nourrit immanquablement un engrenage infernal entre terrorisme et torture, et inversement. Pour poursuivre sur l'Algérie, tu m'excuseras de m'esclaffer quand j'entends le FLN tout mettre sur le dos de la France. Si ce que la France a fait fut effectivement indéfendable, et combattu en France même, notamment par Raymon Aron, mais aussi par l'ultra-gauche (en particulier Socialisme ou barbarie), autrement plus nuancée que Sartre et cie, car non contente de dénoncer les pratiques françaises et de soutenir l'indépendance de l'Algérie, elle n'en dénonçait pas moins le terrorisme, les massacres du FLN et ses aspects protototalitaires. D'ailleurs, le FLN a très probablement des excuses à faire aux Algériens, non ? Aux nationalistes des autres partis, réprimés voire massacrés par exemple. Pour son bilan désastreux en matière de droits de l'homme après l'indépendance, par exemple, non ?
Est-ce mon propos ? Ai-je dit le contraire ? Ai-je parlé du FLN pour l'absoudre de ses crimes ?
Tactique bien connue du pas de côté : au lieu de répondre précisément aux arguments énoncés, tu ne fais que brouiller le débat en mélangeant tout et en partant sur une nouvelle controverse à propos de laquelle je n'ai rien dit. Oui, tu as de la culture, et tu sais savamment la distiller ; on peut passer à une vraie discussion ?
Lestump →
Lestump a écrit :mais faut arrêter de déconner, ouais être blanc parfois dans une cité c'est pas évident,"
Qui a dit le contraire ?
Alors oui, c'est drôlement courageux d'ouvrir un débat en le titrant "l'islamophobie, c'est mal ?", en y répondant par la négative, en cautionnant les propos de Marine le Pen, en racontant n'importe quoi sur l'islamisation de la France et en reprenant diverses autres conneries anxiogènes. C'est vachement courageux aujourd'hui de reprendre les poncifs xénophobes soutenus plus ou moins ouvertement par l'ensemble de la classe politique et médiatique sans prendre de recul, sans chercher à expliquer les phénomènes que l'on constate (quelque chose comme : "il y a une crispation identitaire, oui, mais quelle est-elle et quelles en sont les causes ?" est une question qui n'apparaît pas).
Donc si je comprends bien : parce que vous souffrez de discriminations, vous pouvez vous permettre de renvoyer dos-à-dos celle que les musulmans subissent et la vôtre, comme si c'était la même chose, comme si l'une n'était pas à l'origine de l'autre ; vous vous permettez d'utiliser votre souffrance et votre gêne pour justifier la reprise à votre compte de discours de haine - et vous vous étonnez ensuite d'une réaction un peu vive. Le racisme en France, vous n'y réagissez que lorsque vous subissez une de ses conséquences, mais même là, c'est contre d'autres victimes de ce racisme que votre rancœur se tourne. C'est sûr, c'est en crachant sur l'islam, et sans se poser de question sur les racines profondes de la situation actuelle, que les choses vont avancer. Dans le mur, oui ! Le principe du "diviser pour mieux régner" fonctionne toujours à merveille...