Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Bah c'est dommage que tu quittes le débat, parce que aussi rare que ce soit sur ce type de thématique, il y a un vrai débat ici qui se dessine et dont tu as contribué grandement à la mise en place.
Globalement mon avis rejoint celui de De Luxe et je ne suis pas sûre que de partir du postulat que les hommes lesbiens ne parlent pas à la place des lesbiennes et donc n'amoindrissent pas leurs positions politiques soit forcément pertinent. Toi qui, d'après ce que je comprends de ton avatar, a une connaissance relativement étendue du combat d'Angela Davis et des Black Panthers, je présume que tu connais leurs positions sur le discours situé et l'importance de s'emparer des luttes qui nous concernent, d'accepter le soutien des personnes non concernées en refusant qu'elles ne mènent les luttes à notre place.
En clair, pour l'histoire des Black Panthers, une non mixité noire leur a semblé nécessaire à un moment précis pour réussir à élaborer des outils de lutte contre une oppression qui était (est) perpétrée par les blancs, qu'ils soient racistes ou non, juste du fait de leur couleur de peau et des privilèges y étant associés. A ce moment là, il n'était pas question de se passer du soutien des blancs mais bien de leur signifier que pour remporter une victoire sur l'oppression qu'ils avaient mise en place et dont ils bénéficiaient (bénéficient), c'était quand même mieux que ce soient les personnes opprimées qui en décident. Histoire ne serait-ce que d'éviter le principe de :
1- Je suis à l'origine d'un mécanisme de domination sur ton groupe social et donc sur ta personne
2- J'en profite chaque jour (même si ça ne me plait pas plus que ça)
3 - Je vais fabriquer à ta place les outils qui te permettront de sortir de la merde dans laquelle je t'ai foutue. Comme ça en plus d'avoir été ton oppresseur, je serai ton sauveur, cool non ?
Si une personne blanche s'était pointée dans une réunion des Black Panthers en disant : "Bon les gars, je comprends que vous ayez besoin de bosser entre vous et je ne m’immiscerai pas dans cette lutte. Si vous avez besoin de quoi que ce soit faites signe, je comprends et je soutiens votre lutte même si je sais que je ne peux pas y participer ou la mener", je pense que ça l'aurait fait pour tout le monde.
Si une personne blanche s'était pointée dans une réunion des Black Panthers en disant : "Bon les gars, je comprends que vous vous sentiez grave opprimés, c'est normal, moi aussi en tant que blanc-black je ressens grave d'oppression ! Qu'est ce qu'on pourrait faire ensemble pour changer les choses et que les blancs arrêtent de nous dominer ?" je pense que ça l'aurait déjà vachement moins fait.
Que L-même, ou n'importe qui d'autre se définissant "lesbien", se sente en dehors des logiques et des fantasmes qu'on projette sur les hommes hétérosexuels, très bien. Qu'ils se sentent proches des lesbiennes parce qu'ils en tombent amoureux, parce que leurs amitiés sont systématiquement avec des lesbiennes ou parce qu'ils ont des pratiques sexuelles qui ne collent pas aux idées reçues des relations hétérosexuelles du point de vue des mecs, peu importe. Le fait est que le terme "lesbien" est le plus mal choisi possible. Qu'ils pourraient éventuellement se nommer "homme-*adjectif qui regroupe les trois propositions du dessus et d'autres si besoin*", mais qu'en choisissant lesbien, ils se définissent selon une identité qui existe déjà et qu'ils ne peuvent en réalité pas vraiment approcher si ce n'est par le biais de clichés déformants et répandus sur la sexualité et les pratiques des lesbiennes.
Les lesbiennes baisent, font l'amour, se chatouillent, sont douces, sont dures, se hurlent dessus, jouissent comme des sauvages, gémissent imperceptiblement, se mettent des doigts, des godes, des langues, se mordent les nichons, s'effleurent le bas ventre, rotent leur bière, se remettent du gloss, parlent doucement, se font remarquer, font des plans cul, s'installent ensemble quatre jours après la première rencontre, aiment les chats, ne jurent que par les chiens, sont féministes, mysogines, sont cisgenres ou trans.
Bref, elles sont tout et rien à la fois et donc rien ne permet à mon sens à un mec cis qui couche avec des femmes cis de décréter qu'il est lesbien sur la base de ce qu'il croit savoir de la sexualité des lesbiennes et de leurs pratiques. Ni sur le fait que ses relations privilégiées, qu'elles soient amicales ou amoureuses ont lieu avec des lesbiennes la plupart du temps.
C'est juste une question de mot, comme l'a dit 4'33 plus ou moins. Tout le monde se fout du mot qu'ils choisissent pour définir leur originalité de mecs aux pratiques hétéro différentes des pratiques hétéro habituelles et différents des canons du mec hétéro, juste le terme lesbien est inapproprié parce qu'effectivement, il constitue une imposture ni plus ni moins d'une identité politique déjà existante, opérante et qui n'existe dans le cas de figure de l'homme lesbien que sur la base de ce qui est fantasmé sur cette identité.
Globalement mon avis rejoint celui de De Luxe et je ne suis pas sûre que de partir du postulat que les hommes lesbiens ne parlent pas à la place des lesbiennes et donc n'amoindrissent pas leurs positions politiques soit forcément pertinent. Toi qui, d'après ce que je comprends de ton avatar, a une connaissance relativement étendue du combat d'Angela Davis et des Black Panthers, je présume que tu connais leurs positions sur le discours situé et l'importance de s'emparer des luttes qui nous concernent, d'accepter le soutien des personnes non concernées en refusant qu'elles ne mènent les luttes à notre place.
En clair, pour l'histoire des Black Panthers, une non mixité noire leur a semblé nécessaire à un moment précis pour réussir à élaborer des outils de lutte contre une oppression qui était (est) perpétrée par les blancs, qu'ils soient racistes ou non, juste du fait de leur couleur de peau et des privilèges y étant associés. A ce moment là, il n'était pas question de se passer du soutien des blancs mais bien de leur signifier que pour remporter une victoire sur l'oppression qu'ils avaient mise en place et dont ils bénéficiaient (bénéficient), c'était quand même mieux que ce soient les personnes opprimées qui en décident. Histoire ne serait-ce que d'éviter le principe de :
1- Je suis à l'origine d'un mécanisme de domination sur ton groupe social et donc sur ta personne
2- J'en profite chaque jour (même si ça ne me plait pas plus que ça)
3 - Je vais fabriquer à ta place les outils qui te permettront de sortir de la merde dans laquelle je t'ai foutue. Comme ça en plus d'avoir été ton oppresseur, je serai ton sauveur, cool non ?
Si une personne blanche s'était pointée dans une réunion des Black Panthers en disant : "Bon les gars, je comprends que vous ayez besoin de bosser entre vous et je ne m’immiscerai pas dans cette lutte. Si vous avez besoin de quoi que ce soit faites signe, je comprends et je soutiens votre lutte même si je sais que je ne peux pas y participer ou la mener", je pense que ça l'aurait fait pour tout le monde.
Si une personne blanche s'était pointée dans une réunion des Black Panthers en disant : "Bon les gars, je comprends que vous vous sentiez grave opprimés, c'est normal, moi aussi en tant que blanc-black je ressens grave d'oppression ! Qu'est ce qu'on pourrait faire ensemble pour changer les choses et que les blancs arrêtent de nous dominer ?" je pense que ça l'aurait déjà vachement moins fait.
Que L-même, ou n'importe qui d'autre se définissant "lesbien", se sente en dehors des logiques et des fantasmes qu'on projette sur les hommes hétérosexuels, très bien. Qu'ils se sentent proches des lesbiennes parce qu'ils en tombent amoureux, parce que leurs amitiés sont systématiquement avec des lesbiennes ou parce qu'ils ont des pratiques sexuelles qui ne collent pas aux idées reçues des relations hétérosexuelles du point de vue des mecs, peu importe. Le fait est que le terme "lesbien" est le plus mal choisi possible. Qu'ils pourraient éventuellement se nommer "homme-*adjectif qui regroupe les trois propositions du dessus et d'autres si besoin*", mais qu'en choisissant lesbien, ils se définissent selon une identité qui existe déjà et qu'ils ne peuvent en réalité pas vraiment approcher si ce n'est par le biais de clichés déformants et répandus sur la sexualité et les pratiques des lesbiennes.
Les lesbiennes baisent, font l'amour, se chatouillent, sont douces, sont dures, se hurlent dessus, jouissent comme des sauvages, gémissent imperceptiblement, se mettent des doigts, des godes, des langues, se mordent les nichons, s'effleurent le bas ventre, rotent leur bière, se remettent du gloss, parlent doucement, se font remarquer, font des plans cul, s'installent ensemble quatre jours après la première rencontre, aiment les chats, ne jurent que par les chiens, sont féministes, mysogines, sont cisgenres ou trans.
Bref, elles sont tout et rien à la fois et donc rien ne permet à mon sens à un mec cis qui couche avec des femmes cis de décréter qu'il est lesbien sur la base de ce qu'il croit savoir de la sexualité des lesbiennes et de leurs pratiques. Ni sur le fait que ses relations privilégiées, qu'elles soient amicales ou amoureuses ont lieu avec des lesbiennes la plupart du temps.
C'est juste une question de mot, comme l'a dit 4'33 plus ou moins. Tout le monde se fout du mot qu'ils choisissent pour définir leur originalité de mecs aux pratiques hétéro différentes des pratiques hétéro habituelles et différents des canons du mec hétéro, juste le terme lesbien est inapproprié parce qu'effectivement, il constitue une imposture ni plus ni moins d'une identité politique déjà existante, opérante et qui n'existe dans le cas de figure de l'homme lesbien que sur la base de ce qui est fantasmé sur cette identité.
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Bon ben les gens, je reviens en fait, car ces choses me travaillent en permanence et qu'y penser toute seule dans mon coin n'a pas beaucoup de sens
Je crois que ce qui est fatiguant et qui me demande de l'énergie dans ce débat, c'est que vous êtes nombreux à avoir un avis contraire au mien, et du coup je me sens un peu seule sur ma position, mais en même temps c'est ça aussi qui est intéressant... De toute façon c'est un débat qui me tient à coeur, à tel point que la nuit, ça continue à me travailler, l'argument se pousse, se dessine, prend forme. De toute manière, je n'étais pas partie à cause de vous, hein (accent du Nord) ! c'est juste à cause de la configuration que prenait la discussion - je me sentais fatiguée de devoir incarner seule ma position, en vous répondant à chacun, puisque chacun (à part New Starting il me semble) de vous avez à peu près la même position théorique : l'homme lesbien n'est pas un concept viable - après vous aviez chacun vos raisons, et parfois les mêmes, pour refuser ce concept. Mais concevez que c'est pas évident de devoir répondre à tous ces arguments et que j'aie aussi l'impression d'être débordée par le flot. Et puis les objections se répétaient parfois quand j'y avais déjà répondu, et comme je suis quelqu'un de pas très patient, j'ai perdu pied
Mais voilà, je me réabonne au sujet, de toute manière même si je n'étais pas revenue j'aurais continué à y penser, alors autant que mes pensées soient collectivisées, si ça peut servir, on ne sait jamais...
Je ne suis pas du tout sûre que le débat puisse être clos, à mon avis on ne pourra que "faire avancer les choses" en précisant chacun nos arguments, mais à la fin, personne ne pourra apporter de preuve irréfutable de quoi que ce soit, on n'est pas en maths mais en politique et nos discours reflètent des positions dans l'espace social qui ne sont pas réductibles à des argumentations désincarnées en théorie. Mais j'aime débattre, j'aime affiner les arguments, je trouve que c'est un excellent exercice, et donc j'y trouve mon compte d'une certaine manière aussi même si ça m'épuise un peu parce que j'y pense la nuit.
Alors je vous réponds :
@La Marquise : zut, j'ai dû avoir l'impression d'avoir déjà répondu à ce que tu disais, mais peut-être qu'en fait on ne parlait pas de la même chose
Je ne suis justement pas sûre que le livre L'homme lesbien soit une bonne manière d'entrer dans le débat. D'après ce que je sais de ce livre (mais bien sûr, ça ne remplacera pas une vraie lecture), il se fonde sur des clichés sur la sexualité et l'amour entre femmes (ce serait une sexualité ou un amour plus "doux" et moins "violents" - clichés qui m'horripilent. Donc ma défense du concept n'est pas dans cette ligne théorique, elle se situe sur un autre plan (déjà développé).
J'aime bien ce que tu dis sur le Softie. J'y réfléchis et j'y repense et je suis sûre que j'aurai envie de revenir dessus et d'en parler avec toi.
En tout cas je ne voulais pas dire que les hommes lesbiens devaient "proclamer haut et fort" leur identité. Ce n'est pas ça que j'appelle rendre un concept acceptable, ou viable. Je voulais juste dire qu'ils devraient avoir tout simplement le droit de dire "j'existe", sans en faire un cri. Là où ça pourrait devenir un cri, c'est si on continue à ne pas écouter ce qu'ils disent en ne haussant pas la voix. Tant de scepticisme de notre part sur l'existence de la spécificité de leur expérience et sur le malaise qu'ils ressentent et qui est bien réel, c'est ça qui pourrait conduire à une "proclamation haut et fort" de leur part. Mais à partir du moment où on accepte de discuter, comme on essaie de le faire dans ce débat, globalement (même s'il reste toujours des postures malhonnêtes visant plus à affirmer "j'ai raison" qu'à argumenter et à débattre), on contourne le risque que tout ceci devienne un cri violent.
@Moniiique : nous sommes d'accord toutes les deux au sujet des luttes politiques et sociales qu'implique le lesbianisme. Là où je ne suis pas d'accord avec toi, c'est quand tu dis qu'accepter la validité théorique, sociale ou politique du concept d'homme lesbien reviendrait à laisser les hommes lesbiens ainsi désignés s'immiscer dans la lutte en prenant la parole à la place des lesbiennes. Je ne comprends pas ce qui te laisse supposer ça. Peut-être effectivement qu'il y a toujours à tous niveaux des personnes ayant tendance à prendre la parole à la place des autres, et ceci de manière plus importante quand ce sont des individus socialement privilégiés (que ce soit par leur "race", "classe", "genre", je mets tout ça entre guillemets bien sûr car ce sont des concepts contestés) qui parlent à la place d'individus "dominés". Bon, là il me semble que si le risque existe que des gens parlent à la place des lesbiennes et définissent à leur place ce qui leur faudrait, ce n'est pas un risque lié à l'acceptation du terme "homme lesbien". Et je prenais bien l'exemple de Jean Genet et des Black Panthers pour montrer à quel point Jean Genet ne s'immiscait PAS dans leur lutte dans le sens où jamais il n'a prétendu être leur porte-parole, et quand on l'interrogeait là-dessus, il disait toujours "demandez-leur à eux, moi je ne suis qu'une petite caisse de résonance de leurs voix, mais jamais je ne parlerais à leur place". Et j'ai l'impression que ça, c'est tout à fait envisageable aussi du côté des hommes lesbiens, ça m'étonnerait qu'ils ne soient pas sensibles à la nécessité que les lesbiennes parlent pour elles-mêmes ! Et je renouvelle donc ma question : sachant que les hommes lebiens ne cherchent pas à parler à la place des lesbiennes ni à accaparer leur lutte, mais qu'ils sont simplement solidaires de manière silencieuse, où exactement se situe la menace ? De quoi a-t-on peur ? Que ce soit L-même ou l'homme lesbien du topic précédemment cité qui a eu lieu, ou qu'il s'agisse encore de l'homme lesbien que j'ai rencontré dans un bar lesbien à Lyon, on n'a visiblement pas du tout affaire à des individus qui se voient en "porte-paroles" mais à des personnes qui vivent leur vie tranquillement, en demandant simplement qu'on leur accorde un nom. Celui que j'avais rencontré à Lyon semblait parfaitement intégré au groupe des lesbiennes (parmi lesquelles sa copine) et je n'ai pas eu l'impression qu'il se plaçait dans une posture de "je sais mieux que vous ce qu'il vous faut", je l'ai vraiment senti intégré au groupe au même titre que les autres, ni plus ni moins, et il était par ailleurs assez discret. Je ne connais pas tous les "hommes lesbiens" de la planète mais je ne pense pas qu'ils se situent en surplomb par rapport aux lesbiennes. Ce sont au contraire des hommes qui ont plutôt tendance à s'inscrire en faux contre la domination masculine et qui sont conscients (malgré les clichés qu'ils peuvent parfois véhiculer, mais pas toujours, sur un doux "éternel féminin") que la parole des lesbiennes leur appartient.
Cela étant dit, nous avions continué le débat par mp avec Rosslaew, et elle m'a permis de copier coller nos messages.
Je la cite donc :
Pour le reste, je vous copie-colle ma réponse à Rosslaew :
On doit en effet pouvoir penser, si on veut sortir de ces normes dures, une masculinité possible, qui ne soit ni hétérosexuelle ni homosexuelle au sens de l'amour entre hommes, mais qui soit autre chose. Le terme homme lesbien me paraît parfait pour ça. Car "homme" est un mot donnant l'apparence d'une évidence, mais qui reflète une réalité complexe et problématique : je cite la préface de 1999 de Judith Butler à Trouble dans le genre au sujet du mot "femme". Je pense que ça s'applique parfaitement au mot "homme" :
Mais j'ai tendance à penser que "homme lesbien" sera un concept utile si on le garde, pour les raisons citées plus haut (dans ce post mais aussi dans mes autres posts) et qui ressortissent à la fois de :
- la déconstruction de l'évidence quant à ce que "homme" signifie - montrer qu'en fait "homme" est une catégorie qui nous paraît simple alors qu'elle est complexe et construite selon des nécessités de domination sociale, et que c'est une catégorie qui produit une norme et des déviations
- la prise en compte du malaise des personnes qui se désignent comme "hommes lesbiens" et qui ont besoin de ce nom pour pouvoir se penser, se mettre en récit (besoin psychologique mais aussi social puisqu'on a bien affaire non seulement à L-même mais à tout un groupe de gens)
- la potentialité dynamique qu'il introduit dans le lesbianisme et qui permet de résister à une tentative de rigidification identitaire trop forte, parfois sectaire (cf la tendance à rester uniquement entre soi, ou encore la misandrie de nombreuses lesbiennes, pas si rares que ça, et la tendance à considérer les hommes comme des ennemis ou comme une classe dominante sans voir que le problème tient en fait dans la catégorie "homme" telle qu'elle a été créée et que de nombreux individus assignés "hommes" en souffrent et sont eux-mêmes en un sens victimes de la domination masculine) - et quand je dis sectaire je pense aussi à la première phrase qu'on m'avait dite quand je suis entrée dans le bar lesbien "et, excuse-moi, c'est pas pour te juger, hein, mais t'es vraiment homosexuelle ?" - et la nana qui me snobe quand je réponds (un peu honteuse à ce moment-là) que je suis bi... Ce sont toutes ces rigidités identitaires qui sont le risque chaque fois qu'on constitue une catégorie pour défendre une cause, c'est un peu le revers de la médaille, c'est inévitable, mais ralentissable - pour le meilleur je pense - quand on complexifie les choses en disant : des pansexuels existent, des hommes lesbiens existent... et même une GwoPaydayPan
J'ai envie de citer encore un peu la préface de Trouble dans le genre, à la fin :
Encore un passage qui me semble particulièrement parlant et pertinent dans le cadre de notre débat :
Et oui, Moniiique, c'est une question de mots, comme vous le dites 4'33 et toi, mais justement en raison de tout ce que je viens de dire, je trouve ça important que ce soit précisément ce mot-là et pas un autre qui soit choisi. Car, récapitulons :
- des gens existent qui sont de sexe masculin, qui ne sont pas exactement trans, mais qui se perçoivent comme lesbiens en ce sens que leur masculinité entre en continuité avec la féminité de leurs partenaires et non en rupture avec elle, quelle que soit la définition de "masculinité" et "féminité" dans la proposition ci-dessus
- le terme "hétéro queer" reste extrêmement général puisque beaucoup beaucoup d'hétéros vont se revendiquer queer dans la mesure où ils font un peu dévier certaines normes propres à l'hétéronormativité. Plus problématique, "hétéro" ne correspond pas du tout à la manière dont ces personnes de sexe masculin pensent vivre leur sexualité, et c'est justement pour ça que ces "hommes lesbiens" insistent sur leur non-hétérosexualité. Dire "hétéro", ce n'est pas seulement ne pas décrire exactement ce qu'ils disent vivre, mais, pire, le décrire dans des termes contraires, et donc obscurcir totalement leur expérience en la faisant apparaître comme une folie ou une contradiction, alors qu'eux la vivent de manière "normale"
- "homme homosexuelle" pose problème à l'oral puisqu'on va réduire tout ça à l'homosexualité masculine, si on n'y fait pas attention... et il ne s'agit pas de ça
- "homme gay" (avec un sens très général de gay) ne marche pas non plus puisque la plupart des gens vont comprendre par là un homme qui aime des hommes ou couche avec des hommes ou les deux
- "femme" bla bla ne marche pas - ces personnes se vivent comme des hommes même si leur masculinité ne correspond pas aux normes classiques de l'hétéronormativité
- "lesbiennes" serait un très mauvais terme puisque justement ces gens se vivent comme des hommes, et on courrait le risque qui a été pointé par vous tous, à savoir, le risque que ces personnes parlent à la place des lesbiennes, en se prenant pour "exactement elles".
Ayant à l'esprit ces considérations, cherchez-moi un meilleur terme qu'"homme lesbien" qui remplisse toutes les conditions évoquées dans ce message... Je vous mets au défi.
Je risque de ne pas revenir tout de suite sur le débat, parce qu'écrire me demande beaucoup plus de temps que penser, et que quand je viens ici je souhaite vraiment argumenter, débattre, et pas juste asséner que j'ai raison, car il ne s'agit pas de ça, et du coup ça prend du temps, surtout qu'il faut vous lire tous et prendre en compte chaque objection. Ça me prend donc un temps monstrueux, le temps toujours nécessaire pour éviter le plus grand nombre de malentendus possible. Et défendre ma position. (C'est toujours un peu moins facile de défendre que de condamner, et ayant choisi la défense, ça me demande toujours de défaire pour refaire, c'est de l'énergie.) Et comme je vous le disais j'ai aussi mon mémoire à écrire en ce moment, et j'essaie donc de lutter contre mon accrotitude au forum.
Je vais quand même revenir, mais je vais essayer de laisser passer quelques jours.
Allez, à vous pour les objections maintenant

Je crois que ce qui est fatiguant et qui me demande de l'énergie dans ce débat, c'est que vous êtes nombreux à avoir un avis contraire au mien, et du coup je me sens un peu seule sur ma position, mais en même temps c'est ça aussi qui est intéressant... De toute façon c'est un débat qui me tient à coeur, à tel point que la nuit, ça continue à me travailler, l'argument se pousse, se dessine, prend forme. De toute manière, je n'étais pas partie à cause de vous, hein (accent du Nord) ! c'est juste à cause de la configuration que prenait la discussion - je me sentais fatiguée de devoir incarner seule ma position, en vous répondant à chacun, puisque chacun (à part New Starting il me semble) de vous avez à peu près la même position théorique : l'homme lesbien n'est pas un concept viable - après vous aviez chacun vos raisons, et parfois les mêmes, pour refuser ce concept. Mais concevez que c'est pas évident de devoir répondre à tous ces arguments et que j'aie aussi l'impression d'être débordée par le flot. Et puis les objections se répétaient parfois quand j'y avais déjà répondu, et comme je suis quelqu'un de pas très patient, j'ai perdu pied

Mais voilà, je me réabonne au sujet, de toute manière même si je n'étais pas revenue j'aurais continué à y penser, alors autant que mes pensées soient collectivisées, si ça peut servir, on ne sait jamais...
Je ne suis pas du tout sûre que le débat puisse être clos, à mon avis on ne pourra que "faire avancer les choses" en précisant chacun nos arguments, mais à la fin, personne ne pourra apporter de preuve irréfutable de quoi que ce soit, on n'est pas en maths mais en politique et nos discours reflètent des positions dans l'espace social qui ne sont pas réductibles à des argumentations désincarnées en théorie. Mais j'aime débattre, j'aime affiner les arguments, je trouve que c'est un excellent exercice, et donc j'y trouve mon compte d'une certaine manière aussi même si ça m'épuise un peu parce que j'y pense la nuit.
Alors je vous réponds :
@La Marquise : zut, j'ai dû avoir l'impression d'avoir déjà répondu à ce que tu disais, mais peut-être qu'en fait on ne parlait pas de la même chose

Je ne suis justement pas sûre que le livre L'homme lesbien soit une bonne manière d'entrer dans le débat. D'après ce que je sais de ce livre (mais bien sûr, ça ne remplacera pas une vraie lecture), il se fonde sur des clichés sur la sexualité et l'amour entre femmes (ce serait une sexualité ou un amour plus "doux" et moins "violents" - clichés qui m'horripilent. Donc ma défense du concept n'est pas dans cette ligne théorique, elle se situe sur un autre plan (déjà développé).
J'aime bien ce que tu dis sur le Softie. J'y réfléchis et j'y repense et je suis sûre que j'aurai envie de revenir dessus et d'en parler avec toi.
En tout cas je ne voulais pas dire que les hommes lesbiens devaient "proclamer haut et fort" leur identité. Ce n'est pas ça que j'appelle rendre un concept acceptable, ou viable. Je voulais juste dire qu'ils devraient avoir tout simplement le droit de dire "j'existe", sans en faire un cri. Là où ça pourrait devenir un cri, c'est si on continue à ne pas écouter ce qu'ils disent en ne haussant pas la voix. Tant de scepticisme de notre part sur l'existence de la spécificité de leur expérience et sur le malaise qu'ils ressentent et qui est bien réel, c'est ça qui pourrait conduire à une "proclamation haut et fort" de leur part. Mais à partir du moment où on accepte de discuter, comme on essaie de le faire dans ce débat, globalement (même s'il reste toujours des postures malhonnêtes visant plus à affirmer "j'ai raison" qu'à argumenter et à débattre), on contourne le risque que tout ceci devienne un cri violent.
@Moniiique : nous sommes d'accord toutes les deux au sujet des luttes politiques et sociales qu'implique le lesbianisme. Là où je ne suis pas d'accord avec toi, c'est quand tu dis qu'accepter la validité théorique, sociale ou politique du concept d'homme lesbien reviendrait à laisser les hommes lesbiens ainsi désignés s'immiscer dans la lutte en prenant la parole à la place des lesbiennes. Je ne comprends pas ce qui te laisse supposer ça. Peut-être effectivement qu'il y a toujours à tous niveaux des personnes ayant tendance à prendre la parole à la place des autres, et ceci de manière plus importante quand ce sont des individus socialement privilégiés (que ce soit par leur "race", "classe", "genre", je mets tout ça entre guillemets bien sûr car ce sont des concepts contestés) qui parlent à la place d'individus "dominés". Bon, là il me semble que si le risque existe que des gens parlent à la place des lesbiennes et définissent à leur place ce qui leur faudrait, ce n'est pas un risque lié à l'acceptation du terme "homme lesbien". Et je prenais bien l'exemple de Jean Genet et des Black Panthers pour montrer à quel point Jean Genet ne s'immiscait PAS dans leur lutte dans le sens où jamais il n'a prétendu être leur porte-parole, et quand on l'interrogeait là-dessus, il disait toujours "demandez-leur à eux, moi je ne suis qu'une petite caisse de résonance de leurs voix, mais jamais je ne parlerais à leur place". Et j'ai l'impression que ça, c'est tout à fait envisageable aussi du côté des hommes lesbiens, ça m'étonnerait qu'ils ne soient pas sensibles à la nécessité que les lesbiennes parlent pour elles-mêmes ! Et je renouvelle donc ma question : sachant que les hommes lebiens ne cherchent pas à parler à la place des lesbiennes ni à accaparer leur lutte, mais qu'ils sont simplement solidaires de manière silencieuse, où exactement se situe la menace ? De quoi a-t-on peur ? Que ce soit L-même ou l'homme lesbien du topic précédemment cité qui a eu lieu, ou qu'il s'agisse encore de l'homme lesbien que j'ai rencontré dans un bar lesbien à Lyon, on n'a visiblement pas du tout affaire à des individus qui se voient en "porte-paroles" mais à des personnes qui vivent leur vie tranquillement, en demandant simplement qu'on leur accorde un nom. Celui que j'avais rencontré à Lyon semblait parfaitement intégré au groupe des lesbiennes (parmi lesquelles sa copine) et je n'ai pas eu l'impression qu'il se plaçait dans une posture de "je sais mieux que vous ce qu'il vous faut", je l'ai vraiment senti intégré au groupe au même titre que les autres, ni plus ni moins, et il était par ailleurs assez discret. Je ne connais pas tous les "hommes lesbiens" de la planète mais je ne pense pas qu'ils se situent en surplomb par rapport aux lesbiennes. Ce sont au contraire des hommes qui ont plutôt tendance à s'inscrire en faux contre la domination masculine et qui sont conscients (malgré les clichés qu'ils peuvent parfois véhiculer, mais pas toujours, sur un doux "éternel féminin") que la parole des lesbiennes leur appartient.
Cela étant dit, nous avions continué le débat par mp avec Rosslaew, et elle m'a permis de copier coller nos messages.
Je la cite donc :
Bon, là où je ne suis pas d'accord, c'est pour dire que l'homme lesbien est une sous-catégorie d'hétéro : je pense qu'il y a un vrai saut qualitatif (et pas seulement une variation de degré) entre la plupart des hommes hétéros et les hommes lesbiens. Parce qu'ils considèrent leur propre "masculinité" comme en continuité avec la "féminité" de leurs partenaires et non comme différente ou en rupture. Je mets des guillemets pour que vous ne me disiez pas que ces termes sont sources de malentendus : je pense en effet que quelle que soit la définition de ces termes, on peut défendre cette position.Rosslaew a écrit : Je trouve que ton point de vue est bon ! J'aimerais venir à ton secours dans le débat, pas en participant directement, je n'ai pas de réflexion assez tranchée pour ça, mais en faisant du méta-débat, pour les amener à réfléchir sur leur argumentation :
Ça porte sur deux points : le "niveau de débat" et les catégories. Par niveau de débat, je veux dire, pour moi le débat là et pernicieux parce qu'il mélange trois niveaux de discours : du politique (avec la politisation du terme "lesbien" et les implications que les activistes voient dans l'émergence de ce groupe), socio-psychologique (celui que tu défends le plus, sur la nécessité de l'existence de ce groupe pour ces gens perdus sans) et linguistique (sur l'appellation elle même "homme lesbien" en dehors de la politisation). Le problème du débat pour moi est que tu tentes de leur parler socio-psycho, éventuellement en faisant référence à la langue, eux ne voient et ne répondent que politique, éventuellement en mésinterprétant tes références à la langue. C'est ça que je voudrais mettre en exergue en recentrant un peu le débat pour débattre de ces trois composantes séparément, ou du moins les leur mettre sous le nez et qu'ils les reconnaissent, et qu'ils arrêtent de tout ne ramener qu'aux problèmes politiques, il y a d'autres problèmes ^^'
Le second point tu l'avais évoqué :Ça me semble essentiel à discuter parce que selon comment on construit les catégories, il me semble qu'ils occultent tout à fait qu'on peut regarder les catégories et leurs sous-catégories avec un niveau de détail variable selon les besoins ou son niveau s'implication dedans (typiquement : les lesbiennes et gays purs ne vont pas forcément se pencher sur les sous-catégorisations d'hétéros, c'est normal en un sens, mais c'est pas une raison pour les dénigrer)Juuune a écrit : les variations individuelles sont-elles secondes ou premières, sont-elles à ranger dans les catégories ou sont-elles, regroupées sous un ressenti commun, ce qui donne naissance aux catégories ? vous avez 4h
Pour le reste, je vous copie-colle ma réponse à Rosslaew :
Pour moi "homme lesbien" est une manière de problématiser le concept d'homme, de mettre en lumière le fait que la "virilité" n'est pas une chose qui va de soi, mais qu'elle mérite d'être pensée. En général la virilité se donne comme une évidence : les gens vont dire, la virilité c'est la testostérone, ou la virilité c'est l'agressivité, ou la virilité c'est la capacité d'assumer des responsabilités, ou bien ils vont en faire une liste de vertus : le courage, la tempérance, etc. Et c'est très problématique d'en rester à ce sens commun, à la fois si on veut penser un monde possible hors de la domination masculine ET (même combat) pour sortir l'homosexualité des clichés dans lesquels on l'enferre (réunis quand on demande à un couple homo qui "fait la femme" et qui "fait l'homme" dans le couple). Dire "homme lesbien", c'est mettre en lumière le fait que les masculinités sont variables, qu'elles ne se réduisent pas à une seule définition possible, qu'elles ne se llimitent pas en tout cas à une "norme virile" et des "déviations efféminées". Car les masculinités telles qu'on les entend couramment clichéisées se regroupent selon deux pôles : le pôle du "vrai homme viril" (hétéro ou, à la limite, homo actif) et le pôle du "pédé = efféminé" (équation souvent vérifiable pour un sens commun homophobe). Dire "homme lesbien", c'est permettre une mise en question des évidences, à ce niveau. C'est dire que d'autres formes de vie sont possibles, qui dessinent des lignes de fuite, et c'est même mettre en cause l'idéal de la norme, c'est une manière de la critiquer, de montrer qu'elle n'est pas adéquate (acceptable), pas plus que n'est adéquate (acceptable) la considération de masculinités autres que celle du mythe viril comme étant déviantes ou pathologiques.Comme tu dis, je cherchais un vrai débat, et ça n'a pas marché, surtout que depuis le début personne n'a tenté de définir ce qu'il entendait par "catégorie (politico)-sociale" ou même par "politique".
En attendant, je ne suis pas non plus d'accord avec ta séparation de trois niveaux "linguistique", "socio-psychologique" et "politique".
Déjà, dans "socio-psychologique", il y a deux choses très différentes pour moi : social et psychologique. Que le débat vise à ratifier une catégorie (homme lesbien) uniquement en vue du bien-être "psychologique" des gens s'auto-désignant à l'aide de cette catégorie, c'était la critique qu'ils m'avaient adressée : en opposant implicitement "psychologique" (individuel, particulier...) à "social" (collectif). Le problème pour eux venait du fait que L-même exprimait un mal-être psychologique, et qu'une catégorie "sociale" n'avait pas à prendre ce mal-être en charge, que ce n'était pas son rôle. D'où ma réponse : non non, il ne s'agit pas que du petit problème individuel psychologique d'L-même, mais bien d'un malaise rencontré par toute une série de personnes, et à ce titre, il s'agit bien d'un malaise social - traversant l'espace social. Donc je me refuse à mettre dans un même sac "social" et psychologique ^^
Ensuite, je ne peux pas séparer "linguistique" et "social" ou "linguistique" et "politique". Bien sûr, on peut faire la grammaire pure de la langue, abstraire des structures grammaticales, je ne le nie pas, et tenter par les règles de la logique de dire quels concepts sont contradictoires en soi et quels concepts ne le sont pas. À ce titre on pourrait dire que le concept d'homme lesbien semble contradictoire au premier abord. Mais ce serait oublier que la langue est toujours déjà dans le social, que le social est pétri linguistiquement, qu'un concept social ou politique n'est pas un concept mathématique définissable de manière "pure" ou "a priori", et qu'il suppose un vrai travail réflexif de clarification qui ne peut pas faire l'économie de positions politiques, et donc d'une certaine conflictualité... ce qui va aboutir à des positions extrêmes : en dehors même de ceux qui ont des définitions différentes du concept, il y a ceux qui disent "l'homme lesbien existe" et ceux qui disent "il n'existe pas". C'est par ailleurs une des dimensions des concepts "politiques" que d'être des "concepts essentiellement contestés". À ce titre, le concept d' "homme lesbien" est politique, et tout aussi "essentiellement contesté" que "liberté", "justice"...
J'irai un peu plus loin en disant que je considère que l'un des lieux de la politique, c'est la langue. Cette idée que le domaine de la politique, ce sont les échanges langagiers, cela remonte à Aristote (dans La Politique, au tout début) : il y a un lien entre la nature de l'homme comme animal politique et le fait qu'il soit doté de parole. la communauté politique apparaît comme mise en commun, par le langage, de sentiments relatifs au juste et à l'injuste et le logos est une des propriétés essentielles de la communauté politique. Et la forme de langage politique, c'est le langage délibératif. C'est une idée qu'on retrouve depuis, hein, par exemple, chez Arendt : la politique passe par une association des différences qu'on cherche à faire valoir comme telles par le langage. On trouve ça aussi bien chez Habermas (la politique comme résultat d'une procédure délibérative).
Ensuite, sur la dimension "politique", je ne compte pas la négliger du tout, et m'en tenir au niveau "psychologique" ni même au niveau "social". Car je suis tout à fait attachée à l'idée que le lesbianisme est un mouvement politique en ce sens de "politique" : non pas "institutionnel" ou "étatique", non pas fondé sur une opposition "public/privé", mais dans l'idée (féministe, entre autres) selon laquelle toute tentative de résister à une domination socialement institutionnalisée a quelque chose de politique (il y a donc de la politique dans les définitions muettes de la sphère privée). De ce point de vue là, le lesbianisme est un mouvement politique. ET la catégorie d'"homme lesbien" n'est pas à elle toute seule "politique", mais
1° elle ne s'oppose pas ou ne fait pas obstacle à la dimension politique du lesbianisme
2° loin de lui faire obstacle, j'ai dans l'idée qu'elle l'encourage, et que c'est en ce sens (solidaire du lesbianisme) qu'on peut aller jusqu'à dire qu'homme lesbien, c'est une catégorie politique aussi.
Enfin, j'ai lu hier soir un petit truc qui a fait tilt au sujet de cette dimension politique : chez Monique Wittig, la lesbienne n'est pas une femme puisqu'elle ne se conforme pas aux exigences de la matrice hétérosexuelle qui définit la féminité. Et c'est là que j'ai envie de dire aussi que le concept d'homme lesbien fait sens. L'homme lesbien n'est évidemment pas une femme, ça, ce n'est pas un scoop : il ne s'agit pas d'une femme trans devenue lesbienne. Mais l'homme lesbien n'est pas non plus un "homme" au sens de "se conformer aux exigences de la matrice hétérosexuelle qui définit la masculinité (en tant qu'elle se définit notamment, dans une telle matrice, par opposition à la féminité)". Et si on veut garder cette idée qu'il n'est pas vraiment un "homme" sans en faire une femme trans, on peut dire "gay", aussi, mais le problème de "gay", c'est que tout le monde va immédiatement entendre par là qu'il aime des hommes, alors que non, il aime des lesbiennes. C'est pour ça que le terme "homme lesbien" me paraît bien : l'homme lesbien est bien "solidaire" des luttes du lesbianisme en ce sens qu'il donne des lignes de fuite hors de la matrice hétérosexuelle, en ne définissant pas la féminité et la masculinité comme deux opposés. (Et non pas, je le maintiens, en prenant la parole à la place des lesbiennes, comme tout le monde semble le craindre de manière à mon avis irraisonnée.] On peut très bien dire "hétéro queer", mais dans "hétéro" il y a cette dimension d'altérité forte, l'idée d'aimer ce qui est différent de soi, alors que l'homme lesbien va concevoir sa masculinité non en rupture mais en continuité avec l'identité sexuelle de sa copine. Et "queer" est très bien, mais c'est un terme très général, qui reste très vague. L'homme lesbien, pour moi, est donc l'une des manières d'être queer, mais ce n'est pas juste une variation individuelle, c'est bien une variation collective, et la "catégorie" fait donc sens dès lors que (comme moi) on suppose que les catégories sociales ou politiques ne sont pas toujours déjà données au départ mais qu'elles sont construites, créées, qu'elles émergent petit à petit pour donner visibilité à ce qui n'en avait pas (telle la catégorie "gay"). Elle fait ainsi surgir du pensable là où il n'y avait que des préjugés ou des catégories vécues comme inadéquates par les individus désignés par elles.
On doit en effet pouvoir penser, si on veut sortir de ces normes dures, une masculinité possible, qui ne soit ni hétérosexuelle ni homosexuelle au sens de l'amour entre hommes, mais qui soit autre chose. Le terme homme lesbien me paraît parfait pour ça. Car "homme" est un mot donnant l'apparence d'une évidence, mais qui reflète une réalité complexe et problématique : je cite la préface de 1999 de Judith Butler à Trouble dans le genre au sujet du mot "femme". Je pense que ça s'applique parfaitement au mot "homme" :
J'ai peut-être l'air de dire que l'"homme lesbien" est une ligne de fuite pure, "la bonne déviation intelligente contre la méchante norme", mais il ne faudrait surtout pas réduire ma position à ça. Défendre une catégorie socio-politique (que ce soit "gay" ou "lesbienne" ou "homme lesbien") pose toujours aussi le risque imminent de voir l'identité devenir l'instrument du pouvoir auquel on s'oppose. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'utiliser, ou être utilisé-e par, l'identité. Il n'y a pas de position politique qui soit pure de tout pouvoir. Et de toute manière, on retombe toujours sur des normes pour penser le désir quand on essaie de le penser, on a toujours besoin de normes, sinon on s'effiloche. Et bien sûr, on peut retomber sur une rigidité même dans ce concept d'homme lesbien, on peut recréer de la norme rigide. De même, l'invention du terme "gay" n'a pas suffi à rendre toutes les identités gays alternatives, fluides, et même si ça avait suffi, ça n'aurait pas forcément été souhaitable. Les identités politiques naissent dans le trouble, dans le malaise, elles se dessinent petit à petit, ce sont des choses au départ en mouvement, au départ fluides, et ensuite, quand les luttes sont menées et gagnées, elles peuvent très bien se durcir, s'institutionnaliser, et même chercher la normalité, chercher à rentrer à son tour dans la définition de la norme. C'est ce qui arrive quand les homos demandent d'avoir le droit à des institutions comme le mariage. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, même si certains ont pu critiquer en disant : "quel dommage de perdre ce potentiel dynamique et trouble d'une identité qui dérange, et de vouloir "devenir la norme" à son tour". On ne peut pas toujours rester dans le fluide, l'identité c'est pas seulement une mouvance, c'est même, avant toute mouvance, le besoin de structures fixes, de catégories stables et rassurantes. "Gay" a pu devenir à son tour une catégorie stable et rassurante dans laquelle on se sent chez soi, grâce à toutes les luttes menées depuis une quarantaine d'années. Ça peut se manifester par une institutionnalisation des débats, une homophobie lentement décroissante, le fait que de plus en plus de gens considèrent qu'être gay c'est ni plus ni moins normal que d'être hétéro (même s'il y a encore des progrès à faire). Pour "homme lesbien" donc, le reproche "il risque d'y avoir des clichés à partir de ce concept" ne tient pas. Parce que tout concept socio-politique court le risque de produire des clichés. Le concept "gay" court ce risque. Le concept "lesbienne" aussi. Y compris au sein des lgbt eux-mêmes. On a souvent tendance à s'essentialiser, c'est-à-dire à tenter de recourir à des identités catégorielles fixes et immuables, même si c'est sur le ton de l'humour. Exemple dans le topic "qu'avez-vous fait de gay ou de lesbien aujourd'hui ?" C'est bien sûr un topic ironique, un topic qui joue sur des lieux communs, mais il montre en même temps que des lieux communs existent et ont la vie dure. "Homme lesbien" ne produira ni plus ni moins de clichés que "gay" ou que "lesbienne".Mis à part les mythes fondateurs qui cimentent l'idée du sujet, il n'en reste pas moin s que le féminisme bute sur le même problème politique chaque fois que le terme femme est employé pour dénoter une seule et même identité. Plutôt qu'un signifiant stable qui exige l'assentiment de celles qu'il prétend décrire et représenter, femme, même au pluriel, est devenu un terme qui fait problème, un terrain de dispute, une source d'angoisse (...) Am I That Name?
Mais j'ai tendance à penser que "homme lesbien" sera un concept utile si on le garde, pour les raisons citées plus haut (dans ce post mais aussi dans mes autres posts) et qui ressortissent à la fois de :
- la déconstruction de l'évidence quant à ce que "homme" signifie - montrer qu'en fait "homme" est une catégorie qui nous paraît simple alors qu'elle est complexe et construite selon des nécessités de domination sociale, et que c'est une catégorie qui produit une norme et des déviations
- la prise en compte du malaise des personnes qui se désignent comme "hommes lesbiens" et qui ont besoin de ce nom pour pouvoir se penser, se mettre en récit (besoin psychologique mais aussi social puisqu'on a bien affaire non seulement à L-même mais à tout un groupe de gens)
- la potentialité dynamique qu'il introduit dans le lesbianisme et qui permet de résister à une tentative de rigidification identitaire trop forte, parfois sectaire (cf la tendance à rester uniquement entre soi, ou encore la misandrie de nombreuses lesbiennes, pas si rares que ça, et la tendance à considérer les hommes comme des ennemis ou comme une classe dominante sans voir que le problème tient en fait dans la catégorie "homme" telle qu'elle a été créée et que de nombreux individus assignés "hommes" en souffrent et sont eux-mêmes en un sens victimes de la domination masculine) - et quand je dis sectaire je pense aussi à la première phrase qu'on m'avait dite quand je suis entrée dans le bar lesbien "et, excuse-moi, c'est pas pour te juger, hein, mais t'es vraiment homosexuelle ?" - et la nana qui me snobe quand je réponds (un peu honteuse à ce moment-là) que je suis bi... Ce sont toutes ces rigidités identitaires qui sont le risque chaque fois qu'on constitue une catégorie pour défendre une cause, c'est un peu le revers de la médaille, c'est inévitable, mais ralentissable - pour le meilleur je pense - quand on complexifie les choses en disant : des pansexuels existent, des hommes lesbiens existent... et même une GwoPaydayPan
J'ai envie de citer encore un peu la préface de Trouble dans le genre, à la fin :
. En ce sens, le concept "homme lesbien" peut avoir un certain succès en "multipliant les possibilités de vivre leur vie pour celles et ceux qui vivent, ou essaient de vivre, leurs sexualités dans les marges".Celles et ceux qui sont censé-e-s être "irréel-le-s" ont pourtant prise sur le réel, une prise qu'elles et ils prennent de concert, et une instabilité vitale est produite par cette surprise performative
Encore un passage qui me semble particulièrement parlant et pertinent dans le cadre de notre débat :
La réalité du genre [dans notre débat sur l'homme lesbien, on pourrait remplacer par "des orientations sexuelles" entre en crise : on ne sait plus comment distinguer le réel de l'irréel. Et c'est à cette occasion que l'on comprend que ce que nous tenons pour "réel", ce qu enous invoquons comme du savoir naturalisé sur le genre [pour nous ici : sur la sexualité] est, en fait, une réalité qui peut être changée et transformée. Appelez cela "subversif" ou autrement si vous voulez. Bien que cette manière de voir ne constitue pas en soi une révolution politique, aucune n'aura lieu sans changement radical de l'idée qu'on se fait du possible et du réel. Et il arrive que ce changement soit produit par certaines pratiques mises en oeuvre avant qu'on les explicite théoriquement [pour nous ici : les pratiques de ces "hommes lesbiens", et qui nous poussent à repenser nos catégories fondamentales : qu'est-ce que le genre [pour nous ici, qu'est-ce que l'orientation sexuelle], comment est-[elle] produit[e] et reproduit[e], et que rend-[elle] possible ? À ce stade, on en vient à comprendre que le champ sédimenté et réifié de la "réalité" de genre [d'orientation sexuelle pourrait être construit autrement et, sans doute, moins violemment.
Et oui, Moniiique, c'est une question de mots, comme vous le dites 4'33 et toi, mais justement en raison de tout ce que je viens de dire, je trouve ça important que ce soit précisément ce mot-là et pas un autre qui soit choisi. Car, récapitulons :
- des gens existent qui sont de sexe masculin, qui ne sont pas exactement trans, mais qui se perçoivent comme lesbiens en ce sens que leur masculinité entre en continuité avec la féminité de leurs partenaires et non en rupture avec elle, quelle que soit la définition de "masculinité" et "féminité" dans la proposition ci-dessus
- le terme "hétéro queer" reste extrêmement général puisque beaucoup beaucoup d'hétéros vont se revendiquer queer dans la mesure où ils font un peu dévier certaines normes propres à l'hétéronormativité. Plus problématique, "hétéro" ne correspond pas du tout à la manière dont ces personnes de sexe masculin pensent vivre leur sexualité, et c'est justement pour ça que ces "hommes lesbiens" insistent sur leur non-hétérosexualité. Dire "hétéro", ce n'est pas seulement ne pas décrire exactement ce qu'ils disent vivre, mais, pire, le décrire dans des termes contraires, et donc obscurcir totalement leur expérience en la faisant apparaître comme une folie ou une contradiction, alors qu'eux la vivent de manière "normale"
- "homme homosexuelle" pose problème à l'oral puisqu'on va réduire tout ça à l'homosexualité masculine, si on n'y fait pas attention... et il ne s'agit pas de ça
- "homme gay" (avec un sens très général de gay) ne marche pas non plus puisque la plupart des gens vont comprendre par là un homme qui aime des hommes ou couche avec des hommes ou les deux
- "femme" bla bla ne marche pas - ces personnes se vivent comme des hommes même si leur masculinité ne correspond pas aux normes classiques de l'hétéronormativité
- "lesbiennes" serait un très mauvais terme puisque justement ces gens se vivent comme des hommes, et on courrait le risque qui a été pointé par vous tous, à savoir, le risque que ces personnes parlent à la place des lesbiennes, en se prenant pour "exactement elles".
Ayant à l'esprit ces considérations, cherchez-moi un meilleur terme qu'"homme lesbien" qui remplisse toutes les conditions évoquées dans ce message... Je vous mets au défi.
Je risque de ne pas revenir tout de suite sur le débat, parce qu'écrire me demande beaucoup plus de temps que penser, et que quand je viens ici je souhaite vraiment argumenter, débattre, et pas juste asséner que j'ai raison, car il ne s'agit pas de ça, et du coup ça prend du temps, surtout qu'il faut vous lire tous et prendre en compte chaque objection. Ça me prend donc un temps monstrueux, le temps toujours nécessaire pour éviter le plus grand nombre de malentendus possible. Et défendre ma position. (C'est toujours un peu moins facile de défendre que de condamner, et ayant choisi la défense, ça me demande toujours de défaire pour refaire, c'est de l'énergie.) Et comme je vous le disais j'ai aussi mon mémoire à écrire en ce moment, et j'essaie donc de lutter contre mon accrotitude au forum.
Je vais quand même revenir, mais je vais essayer de laisser passer quelques jours.
Allez, à vous pour les objections maintenant

Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Une toute petite remarque : à mon avis, tu ne peux pas balayer cette option en deux lignes, tout simplement parce que tout comme tu développes un long argumentaire pour défendre la pérennité de l'expression "homme lesbien" en rappelant que ça ne renvoie pas nécessairement à une sexualité particulière, il est tout à fait possible de faire de même pour défendre l'expression "homme gay" et que ce n'est pas parce que le sens commun lui fait dire "homme qui couche avec des homme" qu'il faut le cantonner à ça (tout comme tu le développes sur le terme "lesbien"). C'est à mon avis un petit escamotage, mais un escamotage quand même (dit en toute gentillesse ^^)Juuune a écrit :- "homme gay" (avec un sens très général de gay) ne marche pas non plus puisque la plupart des gens vont comprendre par là un homme qui aime des hommes ou couche avec des hommes ou les deux
Ensuite, comme je te le disais en aparté, je serais curieux de savoir s'il y avait un équivalent féminin des "hommes lesbiens" (des femmes ne trouvant un sens à leur féminité que dans la continuité de la masculinité de leurs partenaires homo). Parce que si ce n'est qu'une catégorie sans inverse, alors ça me semble être un peu compromis de vouloir absolument passer par des termes terriblement polysémiques pour définir la catégorie.
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
http://en.wikipedia.org/wiki/Girlfag_and_guydyke
Oui, c'est la girlfag (à ne pas confondre avec la FAP (fag hag)).
Oui, c'est la girlfag (à ne pas confondre avec la FAP (fag hag)).
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Peut-être, mais à l'oral, si on dit "homme lesbien" tout le monde comprendra que ce n'est pas la même chose que "lesbienne". Il y aura peut-être des "hommes lesbien ? quésako ? " mais pas de confusion spontanée (puisque on précise bien HOMME). Alors que si on dit "homme gay", pour les gens qui ne sont pas parfaitement informés sur la question, bah ça portera à confusion.Kefka a écrit :Une toute petite remarque : à mon avis, tu ne peux pas balayer cette option en deux lignes, tout simplement parce que tout comme tu développes un long argumentaire pour défendre la pérennité de l'expression "homme lesbien" en rappelant que ça ne renvoie pas nécessairement à une sexualité particulière, il est tout à fait possible de faire de même pour défendre l'expression "homme gay" et que ce n'est pas parce que le sens commun lui fait dire "homme qui couche avec des homme" qu'il faut le cantonner à ça (tout comme tu le développes sur le terme "lesbien"). C'est à mon avis un petit escamotage, mais un escamotage quand même (dit en toute gentillesse ^^)Juuune a écrit :- "homme gay" (avec un sens très général de gay) ne marche pas non plus puisque la plupart des gens vont comprendre par là un homme qui aime des hommes ou couche avec des hommes ou les deux
Ensuite, comme je te le disais en aparté, je serais curieux de savoir s'il y avait un équivalent féminin des "hommes lesbiens" (des femmes ne trouvant un sens à leur féminité que dans la continuité de la masculinité de leurs partenaires homo). Parce que si ce n'est qu'une catégorie sans inverse, alors ça me semble être un peu compromis de vouloir absolument passer par des termes terriblement polysémiques pour définir la catégorie.
Donc bon, pourquoi faire simple (créer un nouveau terme à part, qui remplit les conditions énoncées par Juuune), quand on peut faire compliqué (dire "homme gay" et paumer tout le monde).
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Un abélardien ou Abélard, puisque Markale (quoi qu'on pense de son bouquin), voit un modèle dans les amours d'Abélard et d'Héloïse, et que ça dote l' "homme lesbien" d'une identité positive, forte de plusieurs siècles d'histoire culturelle. Le terme "homme lesbien" a des accents tragiques, parce qu'il est presque fatalement perçu comme une contradiction dans les termes (cf. le début de ce débat et le titre choisi par L-même, qui se sent exclu de part et d'autre).Ayant à l'esprit ces considérations, cherchez-moi un meilleur terme qu'"homme lesbien" qui remplisse toutes les conditions évoquées dans ce message... Je vous mets au défi.
@LaMarquise : après réflexion, je trouve que le terme "Softie" pose un problème, celui de laisser entendre que l'homme lesbien serait nécessairement plus "doux" que les autres hommes. Du coup on revient au cliché sur la sexualité (supposée plus "douce") des lesbiennes qu'on dénonçait au début de cette discussion.
"Abélardien" est un joli mot, mais il suppose une référence culturelle que tout le monde ne possède pas, et je crains qu'il n'obscurcisse les choses pour ceux qui ne connaissent pas Abélard, et ne contraigne à expliciter ainsi chaque fois ce qu'on entend par là.
@Kefka "homme gay" est très bien, si l'on prend le sens de "gay" tel qu'il est utilisé comme adjectif en anglais pour désigner aussi bien les femmes que les hommes, et puis en gardant le sens général de "en déviation par rapport à la norme hétérosexuelle, et "en devenir" à la Foucault (versus une identité homo comme fixée une fois pour toutes), mais comme NS l'a souligné, ça risque d'être tout de suite associé à l'homosexualité masculine, alors que ce n'est pas de ça qu'il s'agit.
"Homme lesbien" est en effet une appellation oxymorique, une "contradiction". Mais c'est justement une dimension qui pour moi demande à être mise en avant, et non planquée derrière une autre appellation. Parce que c'est justement cette dimension qui provoque le rire, l'incompréhension, et les formes de mise à l'écart contre lesquelles il faut lutter. Prononcer "homme lesbien" c'est déjà faire apparaître des questions, c'est déjà mettre en question des évidences, c'est dire "la contradiction est vivable".
Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle (qui ne tient pas en tout point, mais permet de penser cette manière d'incarner la contradiction) avec le "féminisme islamique". Je suis allée voir une conférence hier au cours de laquelle une féministe (voilée) nous parlait de son engagement pour un "féminisme post-colonial". Elle parlait de l'impossibilité théorique que constituait le féminisme musulman laïque qu'elle incarnait, à la fois aux yeux de nombreux musulmans, et aux yeux de nombreuses féministes blanches. Et une de ses réponses à ceux qui disaient que c'était impossible d'être les deux, d'être à la fois musulmane et féministe, c'était : "pourtant, j'existe". Son existence était ainsi un défi à la pensée courante, à des visions rigides ou fixes ou monolithiques de ce que "être musulmane" veut dire, ou sur ce que "être féministe" implique. Elle explicitait dans le détail, elle ne se contentait pas de dire ça, évidemment (si vous voulez des précisions, demandez m'en, je suis prête à développer, j'ai pris plein de notes). En tout cas la réaction systématique de nombreuses féministes blanches étaient, en la voyant débarquer : "tu ne peux pas être féministe. Si tu es féministe, tu ne peux pas porter ce voile qui est un signe d'oppression masculine". Et à chaque fois, il lui fallait se justifier, expliquer comment sa manière à elle de porter le voile n'était pas vécue comme une oppression, que porter le voile pouvait tout dire ou rien dire de la personne qui le portait.
Encore une fois le parallèle ne tient pas en tout point, mais je tenais juste à dire que le fait que l'appellation "homme lesbien" soit un oxymore est justement ce qui la rend intéressante (à mes yeux), parce qu'elle met en évidence un problème, elle montre qu'il y a dans nos représentations des points aveugles, des identités impensables et qui pourtant existent. Et que nos catégories sont donc aussi des manières d'invisibiliser certains types de personnes, aussi cool et open et queer et gay que nous soyons. Probablement parce que ça nous rassure quant à notre propre identité.
J'aimerais quand même revenir sur ma définition de "homme lesbien" : je trouve que c'était forcer le trait de ma part que de limiter cette figure aux hommes qui ont eu des relations exclusivement avec des lesbiennes. Après tout, il y a des gens qui ne se définissent pas comme bisexuels mais comme hétéro ou gay, alors qu'ils ont été voir un peu des deux côtés. On ne devrait donc pas plus exiger de l'homme lesbien qu'il aime uniquement des lesbiennes de manière systématique et stricte. Mais on pourrait dire qu'il aime principalement des lesbiennes, et qu'il a probablement assez souvent, mais pas toujours, une "culture lesbienne" (plusieurs amies lesbiennes, etc.).
En revanche je reste sur l'autre aspect de ma définition : l'homme lesbien ne définit pas sa "masculinité" en rupture mais en continuité avec la "féminité" de ses partenaires, quel que soit le sens qu'on attribue à ces termes. Cette définition est suffisamment vague pour pouvoir impliquer des féminités dures, des masculinités douces, ou l'inverse, bref, c'est important pour moi qu'on laisse cette question ouverte et qu'on ne cherche pas à dire plus précisément en quoi devraient consister féminité et masculinité dans le cas de l'homme lesbien et de sa copine, sous peine de retomber dans des clichés empoisonnants.
J'ai cessé d'en rêver la nuit parce qu'au terme de ces longs échanges argumentatifs, je suis maintenant convaincue que les hommes lesbiens existent et, bien sûr, que leur existence pose un défi à nos catégories et à nos manières fixistes ou rigides de penser ce que doit être une orientation sexuelle cohérente... Finalement, est-ce que dire que "lesbien" est un adjectif qui doit être réservé à des personnes de genre féminin ayant des relations entre elles n'est pas encore une manière de réifier, d'essentialiser ce que "lesbianisme" veut dire ?
"Abélardien" est un joli mot, mais il suppose une référence culturelle que tout le monde ne possède pas, et je crains qu'il n'obscurcisse les choses pour ceux qui ne connaissent pas Abélard, et ne contraigne à expliciter ainsi chaque fois ce qu'on entend par là.
@Kefka "homme gay" est très bien, si l'on prend le sens de "gay" tel qu'il est utilisé comme adjectif en anglais pour désigner aussi bien les femmes que les hommes, et puis en gardant le sens général de "en déviation par rapport à la norme hétérosexuelle, et "en devenir" à la Foucault (versus une identité homo comme fixée une fois pour toutes), mais comme NS l'a souligné, ça risque d'être tout de suite associé à l'homosexualité masculine, alors que ce n'est pas de ça qu'il s'agit.
"Homme lesbien" est en effet une appellation oxymorique, une "contradiction". Mais c'est justement une dimension qui pour moi demande à être mise en avant, et non planquée derrière une autre appellation. Parce que c'est justement cette dimension qui provoque le rire, l'incompréhension, et les formes de mise à l'écart contre lesquelles il faut lutter. Prononcer "homme lesbien" c'est déjà faire apparaître des questions, c'est déjà mettre en question des évidences, c'est dire "la contradiction est vivable".
Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle (qui ne tient pas en tout point, mais permet de penser cette manière d'incarner la contradiction) avec le "féminisme islamique". Je suis allée voir une conférence hier au cours de laquelle une féministe (voilée) nous parlait de son engagement pour un "féminisme post-colonial". Elle parlait de l'impossibilité théorique que constituait le féminisme musulman laïque qu'elle incarnait, à la fois aux yeux de nombreux musulmans, et aux yeux de nombreuses féministes blanches. Et une de ses réponses à ceux qui disaient que c'était impossible d'être les deux, d'être à la fois musulmane et féministe, c'était : "pourtant, j'existe". Son existence était ainsi un défi à la pensée courante, à des visions rigides ou fixes ou monolithiques de ce que "être musulmane" veut dire, ou sur ce que "être féministe" implique. Elle explicitait dans le détail, elle ne se contentait pas de dire ça, évidemment (si vous voulez des précisions, demandez m'en, je suis prête à développer, j'ai pris plein de notes). En tout cas la réaction systématique de nombreuses féministes blanches étaient, en la voyant débarquer : "tu ne peux pas être féministe. Si tu es féministe, tu ne peux pas porter ce voile qui est un signe d'oppression masculine". Et à chaque fois, il lui fallait se justifier, expliquer comment sa manière à elle de porter le voile n'était pas vécue comme une oppression, que porter le voile pouvait tout dire ou rien dire de la personne qui le portait.
Encore une fois le parallèle ne tient pas en tout point, mais je tenais juste à dire que le fait que l'appellation "homme lesbien" soit un oxymore est justement ce qui la rend intéressante (à mes yeux), parce qu'elle met en évidence un problème, elle montre qu'il y a dans nos représentations des points aveugles, des identités impensables et qui pourtant existent. Et que nos catégories sont donc aussi des manières d'invisibiliser certains types de personnes, aussi cool et open et queer et gay que nous soyons. Probablement parce que ça nous rassure quant à notre propre identité.
J'aimerais quand même revenir sur ma définition de "homme lesbien" : je trouve que c'était forcer le trait de ma part que de limiter cette figure aux hommes qui ont eu des relations exclusivement avec des lesbiennes. Après tout, il y a des gens qui ne se définissent pas comme bisexuels mais comme hétéro ou gay, alors qu'ils ont été voir un peu des deux côtés. On ne devrait donc pas plus exiger de l'homme lesbien qu'il aime uniquement des lesbiennes de manière systématique et stricte. Mais on pourrait dire qu'il aime principalement des lesbiennes, et qu'il a probablement assez souvent, mais pas toujours, une "culture lesbienne" (plusieurs amies lesbiennes, etc.).
En revanche je reste sur l'autre aspect de ma définition : l'homme lesbien ne définit pas sa "masculinité" en rupture mais en continuité avec la "féminité" de ses partenaires, quel que soit le sens qu'on attribue à ces termes. Cette définition est suffisamment vague pour pouvoir impliquer des féminités dures, des masculinités douces, ou l'inverse, bref, c'est important pour moi qu'on laisse cette question ouverte et qu'on ne cherche pas à dire plus précisément en quoi devraient consister féminité et masculinité dans le cas de l'homme lesbien et de sa copine, sous peine de retomber dans des clichés empoisonnants.
J'ai cessé d'en rêver la nuit parce qu'au terme de ces longs échanges argumentatifs, je suis maintenant convaincue que les hommes lesbiens existent et, bien sûr, que leur existence pose un défi à nos catégories et à nos manières fixistes ou rigides de penser ce que doit être une orientation sexuelle cohérente... Finalement, est-ce que dire que "lesbien" est un adjectif qui doit être réservé à des personnes de genre féminin ayant des relations entre elles n'est pas encore une manière de réifier, d'essentialiser ce que "lesbianisme" veut dire ?
Re:
Tout cela n'est pas une orientation sexuelle. Ou alors il faut créer un mot pour les hétéros qui préfèrent les blondes mais peuvent se taper une brune selon les cas, et un autre pour ceux qui préfèrent les rousses. Moi je trouve que c'est des mots inutiles qui enferment plus qu'autre chose. On n'a pas besoin de tout catégoriser, les gens peuvent vivre leurs coucheries sans plus que ça avoir besoin de les nommer.Juuune a écrit : J'aimerais quand même revenir sur ma définition de "homme lesbien" : [...] On ne devrait donc pas plus exiger de l'homme lesbien qu'il aime uniquement des lesbiennes de manière systématique et stricte. Mais on pourrait dire qu'il aime principalement des lesbiennes, et qu'il a probablement assez souvent, mais pas toujours, une "culture lesbienne" (plusieurs amies lesbiennes, etc.).
[...]
En revanche je reste sur l'autre aspect de ma définition : l'homme lesbien ne définit pas sa "masculinité" en rupture mais en continuité avec la "féminité" de ses partenaires, quel que soit le sens qu'on attribue à ces termes. Cette définition est suffisamment vague pour pouvoir impliquer des féminités dures, des masculinités douces, ou l'inverse, bref, c'est important pour moi qu'on laisse cette question ouverte et qu'on ne cherche pas à dire plus précisément en quoi devraient consister féminité et masculinité dans le cas de l'homme lesbien et de sa copine, sous peine de retomber dans des clichés empoisonnants.
Admettons une identité politique, et disons : homme hétéro pro-féminisme lesbien ; là, on peut admettre : c'est un choix. Pas une malédiction, ni une orientation sexuelle. C'est un homme hétéro qui adhère et soutient la cause du féminisme-lesbien. Pourquoi pas ?
Mais ce n'est probablement pas le cas de L-même, en tout cas ce n'est pas du tout ce que ses propos laissaient supposer.
Mais utiliser le terme "lesbien" pour désigner un homme hétérosexuel, n'est-ce pas une manière de semer la confusion, d'altérer le sens des mots et par là même d'affaiblir les idées ?Juuune a écrit : Finalement, est-ce que dire que "lesbien" est un adjectif qui doit être réservé à des personnes de genre féminin ayant des relations entre elles n'est pas encore une manière de réifier, d'essentialiser ce que "lesbianisme" veut dire ?
Re: Re:
Ce n'est pas une orientation sexuelle mais ça peut tout de même être une catégorie à part entière. Après tout, MTF, FTM, agenre etc sont bien des catégories sans être des orientations sexuelles.De Luxe a écrit :Tout cela n'est pas une orientation sexuelle. Ou alors il faut créer un mot pour les hétéros qui préfèrent les blondes mais peuvent se taper une brune selon les cas, et un autre pour ceux qui préfèrent les rousses. Moi je trouve que c'est des mots inutiles qui enferment plus qu'autre chose. On n'a pas besoin de tout catégoriser, les gens peuvent vivre leurs coucheries sans plus que ça avoir besoin de les nommer.Juuune a écrit : J'aimerais quand même revenir sur ma définition de "homme lesbien" : [...] On ne devrait donc pas plus exiger de l'homme lesbien qu'il aime uniquement des lesbiennes de manière systématique et stricte. Mais on pourrait dire qu'il aime principalement des lesbiennes, et qu'il a probablement assez souvent, mais pas toujours, une "culture lesbienne" (plusieurs amies lesbiennes, etc.).
[...]
En revanche je reste sur l'autre aspect de ma définition : l'homme lesbien ne définit pas sa "masculinité" en rupture mais en continuité avec la "féminité" de ses partenaires, quel que soit le sens qu'on attribue à ces termes. Cette définition est suffisamment vague pour pouvoir impliquer des féminités dures, des masculinités douces, ou l'inverse, bref, c'est important pour moi qu'on laisse cette question ouverte et qu'on ne cherche pas à dire plus précisément en quoi devraient consister féminité et masculinité dans le cas de l'homme lesbien et de sa copine, sous peine de retomber dans des clichés empoisonnants.
Admettons une identité politique, et disons : homme hétéro pro-féminisme lesbien ; là, on peut admettre : c'est un choix. Pas une malédiction, ni une orientation sexuelle. C'est un homme hétéro qui adhère et soutient la cause du féminisme-lesbien. Pourquoi pas ?
Re: Etre Lesbien est-ce une malédiction ?
Il s'agit bien à mes yeux d'une attirance sexuelle doublée de sentiments, et donc d'une orientation sexuelle.
"Hétéro", tu recommences à employer ce mot, De Luxe... les anciennes catégories ont la vie dure je vois. C'est comme s'il y avait une incapacité à penser la différence. À comprendre que de fait les hommes lesbiens ne se vivent pas du tout comme hétéros.
Non, ça n'a rien à voir avec aimer les blondes ou les rousses. Parce que visiblement ça pose des problèmes d'identité ou d'orientation à ces personnes, qui éprouvent le besoin d'en parler, de se nommer.
Tu peux dire que ça te semble inutile, mais pas nier le fait que ce soit nécessaire pour eux.
Et TU dis qu'ils n'ont pas besoin de se nommer, or ILS disent que si. Cf les citations précédemment faites (témoignages d'hommes lesbiens) et ce que j'ai écrit sur le "soulagement" apporté par la catégorie...
Je pense que les personnes concernées sont quand même le mieux à même pour se définir.
Depuis le début on craint que les hommes lesbiens ne viennent "voler" l'identité lesbienne.
Moi j'ai tendance à penser que c'est plutôt une position comme la tienne qui commet un "vol" en décidant à la place des autres comment ils doivent se nommer. Surtout avec un mot comme "hétéro" qui est bien le contraire de la manière dont se vivent et se perçoivent eux-mêmes les hommes lesbiens
"Hétéro", tu recommences à employer ce mot, De Luxe... les anciennes catégories ont la vie dure je vois. C'est comme s'il y avait une incapacité à penser la différence. À comprendre que de fait les hommes lesbiens ne se vivent pas du tout comme hétéros.
Non, ça n'a rien à voir avec aimer les blondes ou les rousses. Parce que visiblement ça pose des problèmes d'identité ou d'orientation à ces personnes, qui éprouvent le besoin d'en parler, de se nommer.
Tu peux dire que ça te semble inutile, mais pas nier le fait que ce soit nécessaire pour eux.
Et TU dis qu'ils n'ont pas besoin de se nommer, or ILS disent que si. Cf les citations précédemment faites (témoignages d'hommes lesbiens) et ce que j'ai écrit sur le "soulagement" apporté par la catégorie...
Je pense que les personnes concernées sont quand même le mieux à même pour se définir.
Depuis le début on craint que les hommes lesbiens ne viennent "voler" l'identité lesbienne.
Moi j'ai tendance à penser que c'est plutôt une position comme la tienne qui commet un "vol" en décidant à la place des autres comment ils doivent se nommer. Surtout avec un mot comme "hétéro" qui est bien le contraire de la manière dont se vivent et se perçoivent eux-mêmes les hommes lesbiens
