La résilience

Débats Gay et Lesbien
Kliban
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Message par Kliban »

Comme toujours, tes mots touchent, profond.

Tu évoques par deux fois l'autisme. A te lire, à lire les symptômes que tu décris - ce besoin d'exactitude, ce besoin de relations sociales pas trop envahissantes, d'espace suffisamment normés - c'est vrai que ça y ressemble. Mais d'autres choses n'y ressemblent pas, non. Je ne sais pas si tu as déjà parlé de tout ça à un psychologue ou un psychiatre (pas un psychanalyste). Mais je raconte sans doute n'importe quoi. Associations d'idées.

Indépendamment de cela, c'est très émouvant, pour moi, de t'entendre dire à quel point l'acceptation de ton homosexualité est au fond un petit problème comparé à ce que tu décris ici - je l'ai pensé pour mon propre compte pendant des années, à un niveau sans doute moins envahissant que le tien. Mais j'ai connu aussi ce type d'invasions incapacitantes en milieu social, et l'horreur des cours de récréation. Certes pas avec autant d'intensité et d'horreur que cela a frappé ta sensibilité sans doute bien plus vive que la mienne. Tu nous effraie fort de ce que ton passé recèle. Mais cette histoire t'appartient, tout comme le moment où tu te sentiras de la raconter.

Je ne sais qu'un gros travail sur soi-même pour sortir de ces lieux... infernaux. Un travail du type de ce que tu as commencé, au fil de ton questionnement, douloureux, patient, résolu. Et, non, ce n'est pas du trollisme - quelle idée ! - je connais peu de choses aussi courageuses et aussi nobles que celles que tu entreprend en t'affrontant à toi-même - c'est comme al lutte de Jacob avec l'Ange. C'est de ce courage et de cette lutte que tu trouveras en toi une confiance spontanée envers les autres. Elle s'installera en toi, malgré toi, mais par les efforts que tu fais par ailleurs pour sortir de la glu secrétée par ton passé.

On peut s'en sortir. Ce qui git de douleur au fond de nous ne nous condamne pas au malheur. Il y a plein de chemins vers ce "il suffit de vivre" que tu appelles de tes vœux. Les premiers pas sont les plus durs. Les suivants se coulent dans une marche toujours plus agréables. Et au bout d'un moment, à e retourner sur son passé, on ne comprend plus bien comment on a pu être aussi terriblement triste : on a changé de posture intérieure.

L'essentiel n'est pas ici d'aller vite, c'est de ne pas s'arrêter. Persévère. Je sais (un peu) la souffrance qu'il y a à affronter toutes ces choses. Et je sais e réel soulagement, et la grande joie qu'on trouve à s'être recentré de telle sorte qu'elles ne nous gênent plus, comme de vieilles cicatrices. Je ne peux qu'espérer que ce bout de savoir dont j'essaie de témoigner pourra te servir d'appui.

Avec toute mon affection.
Dernière modification par Kliban le ven. oct. 23, 2009 7:14 pm, modifié 1 fois.
amélie-sens
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Message par amélie-sens »

je ne suis même pas certain qu'il y aura beaucoup de gens pour le lire tellement il est long, ennuyeux et imbuvable,
il y a moi qui ai tout lu, promis, et pas parce que je suis maso, non, tout siplement parce que c'est intéressant, et bien écrit en plus....on dirait qu'on a la chance de voir "un humain" parmi tant d'autres de l'intérieur....c'est sûr que tu es prêt pour un psy, reste à savoir si tu en as envie....qui dit souffrance demande soin et guérison...bon courage et ne te dévalorise pas, c'est bien aussi d'être différent, tu as des qualités que d'autres n'ont pas....
spécimen
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Message par spécimen »

Merci à vous 2 :copain: vous êtes gentils :gentil:

Je ne pense pas recéler un passé effrayant. J'ai été frappé comme tous les gosses de mon âge, pas plus pas moins. Quoique parfois c'était je pense assez violent :? Mais sous le coup de l'énervement et sans le mode d'emploi "comment gérer un hyperactif intenable", maman a privilégié certaines méthodes pour le moins efficaces, sans appel et directes. Ça avait au moins l'avantage de me mettre dans une transe de plusieurs heures, voire plusieurs jours et de concilier du répits pour les soins de ma sœur.

J'ai été considéré comme un intouchable et un paria dans les cours de récré jusqu'à 10 ans et de façon sporadique jusqu'à 12 ans. Mais là encore, pas plus, pas moins qu'un souffre douleur classique. Il en faut un dans toutes les cours de récré il paraît :roll: Ça forge l'esprit d'équipe et de solidarité du côté des "méchants" il paraît :roll:

Et j'ai pas plus, pas moins souffert de carence affective qu'un orphelin étant balancé de nounou en nounou jusqu'à 8 ans pour permettre à mes parents de suivre ma sœur en hôpital sur Paris. Je voyais rarement mes parents, quelques heures le week-end, et puis après c'était le rythme de la semaine qui les absorbait par alternance entre soeurette, hopital, boulot et dodo.

Seulement, avec cette hypersensibilité de merde, je crois j'ai fondu plusieurs plombs pendant ce qui aurait dû être ma tendre enfance :?

J'ai alors je pense développé de sérieux travers que je qualifierais de réflexes de défense étant donné la situation. Je dis réflexes car je n'en ai pas eu conscience, ce n'était pas une volonté. En tout cas c'est devenu un "leitmotiv" malgré moi. Et ce n'est que dernièrement j'en ai pris conscience au détour d'une conversation téléphonique avec une personne.

Le plus gros d'entre eux (j'ai même un peu honte de le reconnaître, mébon :?) est que je suis plus attaché aux objets qu'aux personnes :oops:

Ayant été à ce point "trahi" par autant de personnes, j'ai dû finir par en conclure inconsciemment que les gens sont imprévisibles, inconstants, peu fiables, dangereux et donc par conséquent qu'il était redoutablement dangereux de leur faire confiance ou d'en être dépendant.

Je m'aperçois ainsi que durant toute ma vie, j'ai toujours fait les choses en étant seul, sans compter sur l'aide de qui que ce soit. Quand je commence à avoir un faible ou une inclination peu commune vers quelqu'un, je fuis en prenant les jambes à mon cou. Pire, quand quelqu'un manifeste de l'intérêt pour moi, y a quelqu'un qui me dit derrière, fais gaffe, tu t'exposes à des ennuis.

Un truc très con, la cigarette. J'ai commencé à fumer (mes amis disent crapoter :roll:) à 26 ans, exclusivement en soirées. Quand je suis stressé j'ai tendance à fumer également le soir. Mais dès que je m'aperçois que machinalement je me gare sur le bord de la route pour aller acheter un paquet de clopes, je me dis stop, là tu deviens dépendant, ce n'est pas possible, j'arrête ! C'est un très bon moyen de ne pas être dépendant, mais cela illustre parfaitement bien mes rapports avec les humains.

A l'inverse, un objet, un livre, un crayon, c'est quelque chose qui à mes yeux est terriblement inerte et fiable. C'est constant, cela ne va pas m'exploser à la figure, ni même me trahir ou me surprendre. Et j'avoue quand je perds un objet qui m'est devenu cher car j'ai traversé plein de moments avec lui, je souffre autant que s'il s'agissait de la mort de mon cochon d'inde ! (quand j'avais 10 ans). Je n'écris pas humain, car cela aurait été déplacé. Mais en comparaison, la mort de certaines personnes de mon entourage ne m'avait pas plus émue que la perte d'un objet :oops: bien au contraire :oops:

A la question "aimes-tu ton père ?". J'ai répondu lors de cette fameuse conversation téléphonique citée en début de post, non... :oops:
J'y suis attaché, il y a un lien indéfectible et puissant qui nous lie, mais en fait je pense que je ne l'aime pas. C'est juste un lien. De toute façon, je ne sais pas ce que c'est aimer donc... difficile d'établir une comparaison objective.

Je relie ainsi beaucoup de choses. Quand je "flashe" sur une personne, je m'arrête sur son apparence, pas sur son intérieur. Et bien souvent, le "flashage" disparaît de lui-même au bout de peu de temps dès que je sens de l'imprévisibilité humaine dans cet humain. Dès que je sens de l'inconstance à l'intérieur, ça annihile tout.

Et pourtant les humains sont capables de m'émouvoir tel la pauvre dame qui est habillée en haillons ou ce pauvre papy qui est incapable de payer avec ses pièces tellement il est paralysé de tremblements qui l'empêchent de saisir les bonnes pièces. Un couple qui se tient la main, un humain qui joue avec son chien, une famille qui joue avec ses enfants, une soirée quand je vois des amis se chahuter. Ce sont autant de scènes qui suscitent en moi des émotions, des scènes qui m'apparaissent crument/terriblement dangereuses d'imprévisibilités à bien y réfléchir. Des scènes que donc je m'interdis de vivre par peur d'être abandonné, par peur d'être trahi, par peur d'être frappé...

C'est en fait plus fort que moi, c'est devenu un réflexe, tel le chien qui bave devant sa boite de pâté que son maître ouvre devant lui pour l'heure du repas.
C'est quelque chose sur laquelle je bute, et je ne parviens pas à dépasser le stade du décorticage, de l'analyse, de l'observation, de l'interprétation. Je suis capable de "schizophrénie" pour étudier mes comportements, mes réactions pour être objectif. Mais je ne parviens pas à aller au-delà, c'est dire si j'ai été littéralement traumatisé dans cette foutue enfance :(

Je parviens à mettre des mots sur les maux, mais je n'ai pas encore découvert le pansement, c'est incoercible, et c'est surtout très fatigant, très prenant tellement ça vient comme ça sans pouvoir maitriser quoique ce soit. Je détecte à présent les gestes et les situations de stress. J'anticipe même énormément sur le déroulement d'une scène pour éviter de me retrouver au front. Mais du coup, cela avorte toute tentative de réelle sociabilisation.

L'illustration parfaite, une personne proche de moi simule un geste pour me frapper ou fait un geste ample trop brusque trop proche de moi, combien de fois je me retrouve malgré moi en train de me rétracter et de me protéger en levant mes bras dans un réflexe atavique de défense. La personne est des fois même confuse de la "violence" et de la rapidité de mon geste de défense et se confond en excuses... Et moi comme un con je rougis car je réalise que c'est gravé en moi ce réflexe, que je n'ai pas pu m'empêcher de le réaliser car des souvenirs d'enfance refont ainsi surface sans demander mon avis :(
Kliban
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Message par Kliban »

Bon.
Merci.
Wow.

Dans l'ordre.

J'ai failli pleurer. Yeux humides, tout ça. Je suis très très ému, je t'avoue. Plus que très.

Ce qui se cache dans ton enfance est assimilable à un _gros_ traumatisme. Un vrai gros traumatisme. Ne le sous-estime pas.

A te lire, j'ai senti - c'est viscéral - l'appel du petit garçon qui a besoin d'être consolé. Un geste que sans doute tu redoutes et appelles tout à la fois. Redoutes très fort et appelles très fort.

On ne survit que rarement à l'abandon sans séquelles. Tu as pu parler à tes parents de tout ça, ou jamais ?

Ta sensibilité et l'acuité (étonnante-impressionnante) de ton analyse te permettent de voir bien des choses qui sont en jeu. Et même que c'est insuffisant pour te permettre de trouver des remèdes. Ce qui est assez normal, puisque c'est du côté de la relation que se trouvent les difficultés, alors que l'analyse est solitaire - d'où l'effet de schizophrénie - qui n'en est pas, pas plus qu'il ne s'agit d'autisme.

Le petit garçon que l'on balade ailleurs pour s'occuper d'une autre, pour donner son affection à une autre - oui, je le fais exprès - est toujours très très vivant au-dedans. C'est même lui qui dirige toutes tes relations avec les autres. Comme tu sais.

Il faut trouver le moyen de consoler ce petit garçon. Et ça, ça passe par une relation - un psy serait idéal, à ce stade, je crois, un bon psy - qui te permette de réaliser que tu peux trouver à le consoler par toi-même, que tu disposes des ressources pour le faire. J'en ai chialé, le jour où ça m'est arrivé, ça.

Ce petit garçon ne sera pas consolé par quelqu'un d'autre que toi. Et quand tu auras su faire ça, avec des tas d'aides extérieures - et la vie est pleine d'aides, le tout est de se laisser aller à les saisir, voire à les provoquer, à son rythme, avec ce qu'on peut, au fur et à mesure - alors je pense que tu pourras entrer en relation pour de bon, sans te laisser enfuir parce que le petit garçon est terrifié, parce que ça recommence, parce que tout ça est trop douloureux.

Tu n'es pas très loin de tout ça. Tu as vu de quoi il retourne - ce qui n'est pas suffisant, tu le réalises très bien - faut juste que tu fasse sauter les verrous.

Je partage avec toi : c'est très-épuisant, très-fatigant. Mais ça en vaut le coup. Ce n'est pas de l'énergie mal placée, celle qui nous pousse à changer notre économie intérieure, quand elle est mortifère.

Bon courage. Ne t'arrête pas. On en sort. Toujours. Surtout avec le fond de profonde gentillesse que tu as aussi. Big hugs virtuels :) :gentil: :copain:
spécimen
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Message par spécimen »

J'ai beau retourner ça dans tous les sens depuis 3 semaines, je pense je connais à présent parfaitement les contours de mon problème de sociabilisation, de relation durable.

C'est quelque chose qui a dû pousser dans mes tripes, dans mon cœur, dans mon cerveau, à la fois dedans et autour, telle une carapace qui envoie des signaux de stress et de peur quand je tente d'aller vers l'autre. J'en viens même à me demander si ce n'est pas ça qui fait qu'aujourd'hui je suis homo. J'ai d'abord aimé des femmes, mais elles m'effrayaient également ! Je me souviens d'une femme (une stagiaire un peu plus jeune d'1 an ou 2 que moi) avec qui j'avais accroché. Je me sentais bien avec elle. On s'est même fait plusieurs resto. Et un soir chez moi, je crois elle n'a pas envoyé les bons signaux ('fin si ils étaient bons pour une personne normale je pense :roll:) et dans mon esprit, dans mon cerveau, mon corps entier m'hurlait, me vociférait, m'ordonnait de fuir, de m'éloigner, de me détacher de cette personne. Pas de bol on était chez moi :roll: donc dur dur de la virer comme ça.

J'en viens même à me demander si inconsciemment je n'ai pas choisi l'homosexualité (sujet autrement tabou et anormal/impensable pour ceux qui ont connu l'inextricable à ses débuts sur le forum) pour justifier mon non rapprochement vers les femmes et donc m'interdire naturellement toute autre forme de relation.

J'ai "osé" expliquer mon problème de dépendance à des amis que j'ai ici dans la région. Je crois je les ai fortement déçus et surtout effrayés :(
Je leur ai expliqué que ce n'était pas volontaire, que c'était un réflexe acquit depuis toujours, depuis de trop nombreuses années. Mais je crois ils l'ont mal pris et m'ont fait réaliser qu'en effet il y a un problème à ce non engagement, à ce non investissement que j'impose dans n'importe quel type de relation.

Surtout pas de dépendance, surtout pas de contact physique, surtout pas d'attachement ni d'affection. Ils ont bien senti de toute façon que quelque chose clochait, étant le seul à ne pas embrasser, ou à toujours s'éloigner dès qu'il y avait des demandes à ce sujet de leur part.

Mais ce n'est pas volontaire ! C'est comme si j'étais sur un rail qui m'éloignait inexorablement de là où je veux pourtant aller !
Je sens bien que ce blocage n'est pas constitutif/organique de mon cerveau puisque c'est de la peur que je ressens et non de la non envie, ou de l'envie.

Ce n'est pas du dégoût, ce n'est pas de la haine, c'est juste de la peur ! Mais je ne sais pas comment résoudre/surmonter cette peur. Et j'ai surtout le sentiment que cela peut durer ainsi jusqu'à la fin de mes jours ! J'ai toujours mis de côté ce point très noir très sombre de ma vie, pensant qu'il ne s'agissait que d'une question de maturité. Et que donc ça allait s'améliorer avec le temps, ou que certaines images, certains souvenirs, certains réflexes allaient s'estomper/s'effacer/s'annihiler avec le temps et l'oubli. Ben non, crotte.

Et du coup je ne vois pas de chemin de sortie possible, d'issue de secours. Et tout comme quand je ne comprenais pas l'hypersensibilité et l'homosexualité, tout comme je ne comprenais pas comment j'ai tant envie d'affection sans pour autant être en mesure d'aller en chercher, j'ai des idées noires, très noires qui reviennent. A ressasser un avenir prévisiblement vide et esseulé comme je le suis aujourd'hui. Et là c'est pas bon.

Il va falloir que je change d'air car en plus l'éponge est revenue. J'absorbe sans me maîtriser tout le malheur des autres par empathie, tous ceux que je vois aller plus ou moins bien, ça me rajoute une couche de merde en plus qui me fait voir la vie pas dans le bon sens, pas du bon côté. Le côté qui me pousse à avoir des idées pas joyeuses, des idées suicidaires (sans pour autant passer à l'acte, je suis bien trop lâche pour ça). Mais ça revient comme un retour de force, c'est comme une claque !

Au moins quand j'avais mes soucis de santé, je ne pensais pas trop à ça ! Grumph :(
Adyton
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Message par Adyton »

Moi aussi j'ai tout lu, ben, je ne peux rien faire pour toi que te dire que tu m'a beaucoup ému, que j'admire ton travail et ta lucidité et que j'espère que tu trouveras un jour le moyen de soulager ces contraintes qui t'empêchent de vivre tant de relations et de satisfaction. Désolé de ne pas pouvoir faire plus.
Kliban
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Message par Kliban »

Tout a été dit déjà, je crois.

Nous ne pouvons que t'assurer de notre soutien.

Mais tout a été dit.

Un malaise comme le tien ne se dissout pas sans aide externe.

Qu'il faut choisir avec soin.

Et ne jamais, jamais, jamais baisser les bras.

Je n'ai rien de plus à ajouter.

*air soucieux*

Tiens bon. Accroche-toi à ce que tu peux. Tiens-bon.

:gentil:

( :copain: )
Dernière modification par Kliban le ven. nov. 06, 2009 8:36 pm, modifié 2 fois.
Brouzouf
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Message par Brouzouf »

Specimen,

Il y a un certain nombre de choses que tu as écrit ici -ou là - qui ont fait écho à ce que j'ai moi aussi pu traverser. Cela fait un petit moment que je me dis que je devrais rebondir et puis... je suis paresseuse et je préfère écrire des conneries dans le café.

La terreur que tu as eue sujet des relations avec autrui, je l'ai eue moi aussi. Mais peut-être que, contrairement à toi, ma chance a été que cette terreur se manifeste par un symptôme particulièrement lourd qu'il fallait absolument soigner si je voulais seulement continuer à vivre normalement : j'ai été 'agoraphobe' (mais c'est juste un mot qui ne veut rien dire, un mot pour simplifier et pour réduire aussi) pendant sept ans, c'est-à-dire : impossibilité d'entrer dans une salle de cinéma, de restaurant, impossibilité d'aller à la fac, de prendre la voiture, d'entrer dans un magasin et puis, finalement, impossibilité même d'aller dans la rue. Durant ces sept années, il y en a eu trois pendant lesquelles je ne pouvais plus sortir de chez moi. Trois ans de prison c'est long.
Description de mon symptôme : l'impression de me décomposer dès que je mettais un pied dans la rue, palpitations, suées, nausées, peur de l'évanouissement et peur surtout de mourir, de mourir du simple fait d'être dehors. Avec les gens c'était tout simplement impossible : prononcer un son me donnait l'impression que j'allais me fendre en deux. J'avais l'impression que les gens ne pouvaient que se moquer de moi, que j'étais un monstre, une chose ignoble.

Quand tu dis ça :
J'ai le sentiment que pour vivre en communauté, il faut être extrêmement courageux pour ne pas voir tous les dangers auxquels on peut être confrontés. Ou alors il faut être littéralement inconscient de ne pas voir ce à quoi on peut être soumis. J'ai l'impression qu'il faut être extrêmement courageux pour ne pas voir en un geste brusque et imprévisible d'une personne la volonté de frapper ou de blesser. J'ai la certitude qu'il faut être extrêmement courageux de ne pas penser qu'une personne est en train de vous humilier ou de vous gronder/punir quand elle élève le ton de sa voix dans une conversation anodine/banale Confused Je suis convaincu qu'il faut être extrêmement courageux pour ne pas voir qu'une personne que vous apprécier fortement est en train de vous abandonner lâchement alors qu'elle ne vous dit au revoir que le temps d'une semaine.
j'ai l'impression de te comprendre parfaitement. J'avais moi aussi peur de me faire gronder par les gens avec qui je parlais, d'ailleurs personne ne pouvait venir me voir, à part mes parents. Quand c'était quelqu'un d'autre, un ami par exemple, il me semblait qu'il pouvait voir dans ma tête, que je lui étais transparente. Bref, je n'avais plus aucune consistance. Ce qui me mettait dans un état d'angoisse terrible. Rester simplement assise en face de quelqu'un, chez moi, me demandait des efforts considérables. Quand la personne était partie, j'étais épuisée.

La même impression que toi aussi que ça ne s'arrêtera jamais, qu'il n'y a pas d'issue, que c'est constitutif de mon être...

Bon, il faut bien faire quelque chose, pas le choix. D'abord j'ai vu une psychanalyste. Ensuite j'ai vu un comportementaliste (il y a déjà un débat là-dessus donc je ne dirai rien). Toutes ces rencontres se passent dans des contextes particuliers, des époques qui ont un sens. Bref, tout cela n'y a rien fait. Un ou deux ans plus tard, je me décide quand même à retourner voir un psychanalyste. Et je suis restée en analyse avec lui pendant cinq ans. La première année a été particulièrement violente. ET puis, au fur et à mesure, il me semblait, littéralement, que je rentrais dans mon corps. Que j'avais été à côté de mon corps pendant toutes ces années et que là, j'arrivais enfin à l'habiter. Ensuite, c'est la vie, les rencontres qui ont achevé de me soigner.

Je ne te raconte pas tout ça pour te dire que tu dois aller voir un psychanalyste, là n'est pas la question. Chacun doit trouver la personne qu'il lui faut. Je dis juste qu'on y arrive, que ça va mieux, ou que, quand ça ne va pas trop, on n'en fait juste plus tout un plat. En fait, il s'agit de créer de l'espace en soi, de ne plus être perpétuellement intrusé (ça ne se dit pas mais tant pis) par les autres, un espace en soi et à soi dans lequel on peut se reposer, que l'on peut tout à fait ouvrir aux autres, où l'on peut les y inviter mais dans lequel on peut surtout se réfugier, se lover, s'aimer à la fin.

Et je suis encore timide et un peu asociale. Quand il y a plus de trois personnes, je n'ouvre pas la bouche (les gens du meating sushis peuvent en témoigner). La différence c'est que maintenant je m'en fous. Et si ça gène les autres, je m'en fous aussi.

Voilà, garde espoir. Les moments de bonheur sont tellement forts après ça. Bon courage à toi :copain:
spécimen
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Message par spécimen »

Je ne suis pas spécialement agoraphobe. Je parviens à surmonter la foule en écoutant de la musique avec des écouteurs intra-auriculaires pour m'isoler du bruit ambiant. J'arrive aussi à me noyer dans la foule. C'est juste que je suis associable.

Mais je crois je comprends bien ce que tu décris dans tes malaises, notamment cette décomposition. Pourtant je parviens à m'exprimer en public, devant une assistance pour présenter mon travail par exemple.

Non c'est vraiment quand je sens qu'il peut y avoir de l'affect ou que les gens sont trop proches de moi physiquement.

Soit. Je tombe le masque, je ne sais pas ce qu'un psychiatre peut me dire de plus que je sais déjà. Tu écris Kliban qu'il faut bien le choisir... super... y a un mode d'emploi ? Y a des guides, une notice d'emploi pour expliquer comment choisir son bon psychiatre ?

Et puis avec un psy, ce n'est pas la même chose qu'ici où je peux m'exprimer avec la pire des impudeurs. Je ne vous vois pas, je ne vois pas vos réactions, ni ne vous sens.
Avec un humain en vrai, y a des signes, des détails, des trahisons comportementales qui échappent à la personne et qui je sais me bloqueront.

Des fois, je préfère penser que je suis un mytho en fait... juste histoire de se dire "bon faut arrêter les conneries et faut avancer". Avec le psy, comme l'a écrit Brouzouf, je crains que cela ne soit trop violent et j'ai surtout peur que je me retrouve face à mes démons à la fin d'une séance sans la possibilité de les effrayer pour qu'ils aillent se cacher en attendant la prochaine séance. Ce sont des démons qui me filent des sueurs froides, qui me mettent dans des états pas possible.

'fin bref, j'ai l'impression qu'il y a une trêve fragile qui s'est installée entre eux et moi. Ça me convient tout à fait en mettant de côté ma situation actuelle, où les états dans lesquels ils peuvent me mettre. J'ai peur de remuer trop de trucs anciens et de devoir affronter des démons déchaînés.

Ce n'est rien d'autre que de la couardise que j'écris là. Je me dis qu'il vaut mieux que je sois en pais précaire avec moi-même plutôt que d'aller les asticoter :(

Merci à vous 3 pour votre soutien :gentil:
moniiique
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Message par moniiique »

Même si le psychiatre ou autre type de psy ne te donne pas plus d'info sur ce que tu sais déjà, il peut éventuellement t'aider à trouver des parades et à agir en conséquence quand les circonstances l'imposent. J'arrive à comprendre que tu parviennes partiellement à te livrer ici grâce à la barrière de l'écran et le relatif anonymat, mais rencontrer quelqu'un avec qui travailler ne devrait pas déclencher d'affect. Pas plus qu'avec une bande de personnes qui te connaissent déjà un peu mieux que lui, ne serait ce que parce que tu as eu l'envie par moments de venir t'exprimer ici. Se livrer devant un professionnel ne fait pas le même effet que se livrer devant des amis, des potes ou qui que ce soit que tu as laissé t'approcher. Et je comprends aussi que tu préfères laisser sommeiller tes démons comme tu les nommes en pâtissant de cette gêne au quotidien plutôt que de prendre le risque d'être dévasté si jamais tu les réveilles, mais je ne suis pas sûre qu'à terme tu y gagnes. C'est le principe du sparadrap qu'on enlève d'un coup ou qu'on enlève petit à petit. De toutes façons il faut l'enlever et tu es en train de le laisser en place quitte à ce qu'il pourrisse, te démange et soit de plus en plus collé à toi, presque soudé. Il n'y a pas de mode d'emploi pour le choix du psy, si la séance ne t'a pas plu, pour n'importe quelle raison, c'est que ce n'est pas le bon et qu'il faut en chercher un autre. Après en avoir vu quelques uns et abandonné au bout d'un moment, j'ai su à la première minute dans le cabinet de celui qui m'a aidée à remonter la pente que ça serait lui. Je ne sais pas si c'est la même chose pour tout le monde, mais ça a été flagrant pour moi.
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