Et toi, qu'as-tu fait pour fêter tes morts ?
Publié : mar. nov. 03, 2009 8:29 pm
Do ré mi fa sol, les filles et les gars,
Je suis venu vous parler d'un sujet sérieux.
Tu t'es planté de crémerie, asshole, me rétorquez-vous d'une seule voix. Que nenni, dickhead ; c'est juste que même si j'écrivais un article rébarbatif traitant de l'homophobie chez les pygmées, il se ferait quand même déplacer dans le café trois minutes après sa publication. Et oui, on m'a collé une étiquette de journaleux à scandale qui me fermera à jamais les portes du prix Pulitzer. Même ici, sur Et-Alors, il y a un pandore à chaque coin de rue qui s'empresse de mettre vos articles en fourrière dès que vous avez fini votre créneau. Alors, autant les garer tout de suite à la casse, non ? Voilà pourquoi je suis ici, dans le café, à discuter avec vous d'un sujet grave.
Oui, ce soir, je veux poser une vraie question : fête-t-on encore la commémoration des fidèles défunts ? Est-ce réservé à une élite catholique intégriste, ou cette tradition traverse-t-elle les frontières de la religion ? Qu'as-tu fait, toi, lecteur, pour honorer la mémoire de tes morts ?
Avant de vous laisser la parole, je vais vous livrer le témoignage poignant de mon expérience personnelle. Car cette année, c'est peu de le dire, j'ai mis le paquet pour célébrer mes chers disparus.
Dès mon réveil, vers 10 heures, j'ai sifflé une bouteille de sauvignon à la mémoire de l'oncle J.J., décédé des suites de la cirrhose que le seigneur lui a décerné l'année dernière pour l'ensemble de son oeuvre. Même au moment de passer le tire-bouchon à gauche, le saint homme n'avait rien perdu de ce panache qui le faisait danser sur les tables devant mes cousines et moi lorsque nous étions enfants. Je crois pouvoir affirmer qu'il est mort heureux, le frigo plein à craquer de bouteilles de Meursault, et des souvenirs un peu flous plein les mirettes. J'imagine qu'il était quand même un peu déçu de ne pas avoir fini ses stocks ; mais il vaut mieux ça que de subir en guise d'extrême onction l'atroce souffrance du bon vivant qui voit le carburant s'épuiser. Salut, l'artiste !
Dans la foulée, j'ai pris la voiture pour une petite promenade dans la campagne. Ce petit rituel, je l'accomplis une fois l'an, en pensant très fort à mon grand père maternel. La brave homme est mort comme il a vécu : à fond la caisse. Il y a quelques années de cela, le seigneur l'a rappelé au détour d'un virage qu'il avait abordé avec un peu trop de gourmandise aux commandes de son nouveau fauteuil roulant. Il le savait, pourtant, qu'il fallait la passer en seconde, cette foutue épingle ! Las, il voulait tellement améliorer son temps pour épater son infirmière qu'il a oublié de rétrograder. Salut, champion !
Ensuite, je suis allé déjeuner. Je n'ai pensé à rien d'autre qu'à mon assiette. Il faut pas pousser l'empathie trop loin.
L'estomac plein, je suis allé fleurir une de ces vieilles tombes austères que plus personne ne visite. Je l'ai choisi particulièrement esseulée, avec un nom marrant gravé en lettres d'or, et j'ai déposé au pied de sa croix un petit bouquet de cure-pipes. Tu nous manque, pépé, ai-je pleurniché quelques minutes en récitant un Notre Père dans sa version non censurée. Comme il a dû être content, le type en bas dans la boîte ! Sans doute a-t-il pensé que ses petits-enfants l'avait pardonné ; ou, s'il avait vécu dans l'ignorance de sa descendance, a-t-il cru avoir laissé par inadvertance un mioche dans un port quelconque. Enfin, s'il était parti vieux garçon ou inverti, sans doute a-il imaginé que les cloches du miracle sonnaient enfin pour lui.
J'ai arrêté là : trois défunts, c'est le bon chiffre pour une commémoration réussie. L'année prochaine, je ferai tourner l'effectif.
Je suis venu vous parler d'un sujet sérieux.
Tu t'es planté de crémerie, asshole, me rétorquez-vous d'une seule voix. Que nenni, dickhead ; c'est juste que même si j'écrivais un article rébarbatif traitant de l'homophobie chez les pygmées, il se ferait quand même déplacer dans le café trois minutes après sa publication. Et oui, on m'a collé une étiquette de journaleux à scandale qui me fermera à jamais les portes du prix Pulitzer. Même ici, sur Et-Alors, il y a un pandore à chaque coin de rue qui s'empresse de mettre vos articles en fourrière dès que vous avez fini votre créneau. Alors, autant les garer tout de suite à la casse, non ? Voilà pourquoi je suis ici, dans le café, à discuter avec vous d'un sujet grave.
Oui, ce soir, je veux poser une vraie question : fête-t-on encore la commémoration des fidèles défunts ? Est-ce réservé à une élite catholique intégriste, ou cette tradition traverse-t-elle les frontières de la religion ? Qu'as-tu fait, toi, lecteur, pour honorer la mémoire de tes morts ?
Avant de vous laisser la parole, je vais vous livrer le témoignage poignant de mon expérience personnelle. Car cette année, c'est peu de le dire, j'ai mis le paquet pour célébrer mes chers disparus.
Dès mon réveil, vers 10 heures, j'ai sifflé une bouteille de sauvignon à la mémoire de l'oncle J.J., décédé des suites de la cirrhose que le seigneur lui a décerné l'année dernière pour l'ensemble de son oeuvre. Même au moment de passer le tire-bouchon à gauche, le saint homme n'avait rien perdu de ce panache qui le faisait danser sur les tables devant mes cousines et moi lorsque nous étions enfants. Je crois pouvoir affirmer qu'il est mort heureux, le frigo plein à craquer de bouteilles de Meursault, et des souvenirs un peu flous plein les mirettes. J'imagine qu'il était quand même un peu déçu de ne pas avoir fini ses stocks ; mais il vaut mieux ça que de subir en guise d'extrême onction l'atroce souffrance du bon vivant qui voit le carburant s'épuiser. Salut, l'artiste !
Dans la foulée, j'ai pris la voiture pour une petite promenade dans la campagne. Ce petit rituel, je l'accomplis une fois l'an, en pensant très fort à mon grand père maternel. La brave homme est mort comme il a vécu : à fond la caisse. Il y a quelques années de cela, le seigneur l'a rappelé au détour d'un virage qu'il avait abordé avec un peu trop de gourmandise aux commandes de son nouveau fauteuil roulant. Il le savait, pourtant, qu'il fallait la passer en seconde, cette foutue épingle ! Las, il voulait tellement améliorer son temps pour épater son infirmière qu'il a oublié de rétrograder. Salut, champion !
Ensuite, je suis allé déjeuner. Je n'ai pensé à rien d'autre qu'à mon assiette. Il faut pas pousser l'empathie trop loin.
L'estomac plein, je suis allé fleurir une de ces vieilles tombes austères que plus personne ne visite. Je l'ai choisi particulièrement esseulée, avec un nom marrant gravé en lettres d'or, et j'ai déposé au pied de sa croix un petit bouquet de cure-pipes. Tu nous manque, pépé, ai-je pleurniché quelques minutes en récitant un Notre Père dans sa version non censurée. Comme il a dû être content, le type en bas dans la boîte ! Sans doute a-t-il pensé que ses petits-enfants l'avait pardonné ; ou, s'il avait vécu dans l'ignorance de sa descendance, a-t-il cru avoir laissé par inadvertance un mioche dans un port quelconque. Enfin, s'il était parti vieux garçon ou inverti, sans doute a-il imaginé que les cloches du miracle sonnaient enfin pour lui.
J'ai arrêté là : trois défunts, c'est le bon chiffre pour une commémoration réussie. L'année prochaine, je ferai tourner l'effectif.