Je fais donc l’impasse sur un résumé qui serait, de toute manière, fastidieux et long et qui donc ne rendrait pas hommage à la créativité et à l’imagination de Tolkien. Je vais donc me contenter donc de vous donner mes impressions, tirées directement de ma lecture du livre mais aussi des essais l’ayant pour objet. Ce sera aussi le moyen de peut-être vous donner envie de (re)lire le livre …
Tout d’abord, les accusations de racisme. Dès sa publication, Le Seigneur des Anneaux (1954) en fut taxé, suite aux traumatismes laissé par l’idéologie nazie : la blondeur des Elfes et la laideur des Orques causèrent bien des appréhensions. Le point le plus évoqué, sans doute le plus polémique, concerne les Orques : incarnation non seulement du mal, mais également de « sous-hommes », que l’on pourrait massacrer à sa guise, race entièrement mauvaise dès l’origine : ils révèleraient le mépris que Tolkien aurait pour les « hommes inférieurs », d’autant plus compréhensible que Tolkien est né en Afrique du Sud ! Cette idée est d’ailleurs très tenace car c’est peu ou prou la thèse majeure de l’essai Le Seigneur des Anneaux ou la tentation du mal d’Isabelle Smedja, un article du Figaro du 15 mars 2001 est titré « Le Seigneur des Fachos » et un article du Sydney Morning Herald, écrit par Chris Henning comporte le passage suivant : « Tout l'attrait du Seigneur des anneaux réside dans le fait que c'est un ouvrage fondamentalement raciste. La Terre du Milieu est peuplée de créatures qui se distinguent les unes des autres par des caractéristiques marquées : la langue, l'apparence physique et l'attitude. Une vision que n'aurait pas reniée Hitler : les Orques sont tous laids, répugnants et violents, sans exception ; les Elfes gracieux appartiennent à une élite aristocratique. Les individus n'échappent pas à leur race. Quand vous en connaissez un, vous les connaissez tous. Un Orque, n'importe lequel, reste toujours un ennemi. Un Hobbit ne sera jamais l'ami d'un Orque. Ainsi, l'univers de Tolkien est depuis longtemps très populaire dans les milieux d'extrême droite. Si vous avez des doutes, jetez un coup d’œil aux quelques sites Internet prônant la suprématie de la race blanche ». Je m’inscris en faux contre ces accusations, bien sûr … Elles résultent d’une lecture biaisée de l’œuvre complète de Tolkien et passent sous silence la personnalité de celui-ci qui, lors de son discours solennel d’adieu à Oxford en 1959, déclara : « I have the hatred of the apertheid in my bones ».
Tolkien n’était donc pas raciste (lors des tractations pour la publication de Bilbo le Hobbit en Allemagne, il fut demandé à Tolkien si son nom n’était pas d’origine juive. Celui-ci ne put que réfuter avant d’ajouter que cela aurait été un grand honneur s’il l’avait été ...) Mais il aurait pu être dépassé par son écriture me direz-vous … Pour lever ces accusations, je vais développer l’aspect philosophique présent dans l’œuvre. On a souvent accusé Tolkien d’avoir inventé un monde manichéen, ce qui est largement faux de mon point de vue … La nature, bonne ou mauvaise, des personnages inventés par Tolkien n’est pas le fait d’une race. Il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre, les méchants. L’Ennemi est très peu présent dans tout le récit. De fait, la lutte entre le Bien et le Mal se fait dans l’esprit des héros et des personnages. Boromir en est le meilleur exemple : guerrier courageux et de valeur, il tenta de voler l’Anneau à Frodo dans l’objectif de l’utiliser contre Sauron et de défendre sa cité. Et pour autant, ce n’est pas un « méchant » : son sacrifice à la fin de La communauté de l’Anneau en est la preuve ! On peut aussi citer l’exemple de Frodo, tiraillé entre sa mission et l’attrait maléfique de l’Anneau et qui finalement y succombe … Ou encore Gollum, un être abject et répugnant, respirant le meurtre et la traîtrise qui finalement est la cause même de la chute de Sauron … Le manichéisme prêté à Tolkien ne tient absolument pas la route quand on prend la peine de bien lire l’œuvre, car la notion de libre-arbitre, chère à Tolkien, est prépondérante dans Le Seigneur des Anneaux et dans ses autres romans. On devient pas mauvais pas sa race, on le devient par ses actes car « au commencement, personne n’est mauvais. Même Sauron ne l’était pas » dixit Elrond. Les Hommes et les Elfes ne sont pas des peuples « supérieurs » car ils sont eux aussi sujets à des comportements ignobles : évoquons enfin l’attitude des Númenoréens envers les peuples qu’ils rencontrent sur la Terre du Milieu : ils les traitent d’abord comme amis, puis, l’Ombre s’étendant sur Númenor, ils deviennent finalement plus des maîtres prélevant tribut que professeurs ; citons les conséquences funestes du Serment de Fëanor et notamment les différents massacres des Elfes par les Elfes, la trahison de Maeglin qui amena la chute de la cité elfique de Gondolin ou encore son père Eöl, l’Elfe Noir, dont la solitude finit par lui assombrir l'esprit, au point de tenter de tuer son fils (exemples tirés du Silmarillion. D’ailleurs, aucun héros n’est présumé bon ou méchant a priori. Pour être « classifié », ils doivent d’abord subir un test, celui de l’Anneau, c’est-à-dire, faire volontairement le choix de le refuser … Ce n’est qu’ensuite qu’ils peuvent être considérés comme bons ou mauvais mais là encore, les possibilités d’évolutions sont multiples (exemple de Boromir ) !
Pour contrer définitivement l’accusation de racisme, citons, pêle-mêle, les exemples de rencontres et d’amitiés inter-raciales : Gimli (un nain) et legolas (un elfe), l’amour immortel (chanté par Aragorn) entre Beren (un homme) et Lúthien Tinúviel (une elfe), Arwen et Aragorn, …
Je souhaiterais maintenant revenir plus en détail sur toute la philosophie du libre-arbitre développée par Tolkien. D’ailleurs, celui-ci a avoué n’avoir suivi aucun plan dans l’écriture du Seigneur des Anneaux et qu’il a préféré se laisser guider par les choix de ses personnages … Ce libre-arbitre est incarné par le miroir de Galadriel. Celui-ci « montre des choses qui furent, des choses qui sont et des choses qui pourront encore être. […] Certaines ne se produisent jamais, à moins que ceux qui contemplent ces visions ne se détournent de leur chemin pour les empêcher ». L’infinité des possibilités proposées par le Miroir représente le tiraillement incessant des héros qui doivent faire des choix constants. Le libre-arbitre représente donc un aspect vital de la littérature de Tolkien qui en fait la pierre d’angle de toute action : une action libre est une action voulue. Les Orcs, les Trolls et compagnies se sont vus privés de cette liberté et pervertis par Sauron ou Morgoth. Là réside le plus grand mal selon Tolkien : asservir un être vivant, le priver de sa liberté de choix, c’est choisir le mal absolu. Dès lors, ce sont nos actions, celles librement consenties, qui nous définissent et non nos objectifs. Il y a donc là une forme de pensée anti-machiavelienne : l’exemple le plus marquant est Saruman : sage entre les sages, chef de son ordre, il succombe à l’appel de l’Anneau alors que son souhait le plus cher était de s’en servir contre Sauron. Au final, il deviendra sa marionnette … Ce sont les actions qui définissent la finalité de nos actes et non le contraire.
Il y aurait tant d’autres choses à dire sur Le Seigneur des Anneaux : ses attaches chrétiennes avec la notion de sacrifice (« Il doit souvent en être ainsi, Sam, quand les choses sont en danger : quelqu'un doit y renoncer, les perdre de façon que d'autres puissent les conserver », Frodo), son merveilleux et ses attaches à la mythologie scandinave, le fait qu’il a initié le genre de l’heroïc-fantasy, … Mais je sens que si je me mettais à parler de ces sujets, je risquerais d’être débordé par mon écriture et de perdre mes lecteurs dans un verbiage verbeux … Tout ça pour dire que Le Seigneur des Anneaux est ma Bible personnelle et que je tenais à vous faire partager les réflexions qui ont été suscitées à sa lecture (et à son visionnage), à défaut de vous faire part de mon émerveillement constant devant ses pages et qui serait bien trop dur d’exprimer au travers de simples mots. J’espère ne pas vous avoir ennuyé par ce bavardage au fond sans réel intérêt et que je vous aurais donné envie de (re)découvrir ce pur chez-d’œuvre ! Et tout cas, merci d'avoir lu ce pavé !
