Ma mère c'est un poème. Elle fait partie de ces gens que les gens aiment d'entrée de jeu. Elle est intelligente, intéressante, pleine d'humour, de tact, de caractère. En fait des fois je me demande si c'est parce que c'est ma mère que je l'idéalise, et je me rends compte que non, elle fait cet effet à tout le monde ou presque. Elle est forte et pourtant laisse passer ses faiblesses, en filigrane, ce qui la rend touchante et pas inaccessible comme un roc incassable. Elle a soutenu mon père jusqu'à son décès, tout en prenant soin de nous épargner mon frère et moi, de nous tenir éloignés des soucis d'adultes qui auraient empiété sur nos vies d'enfants. Elle a mené sa barque de main de maitre, avec deux préados à charge et un veuvage des plus douloureux. Elle nous a appris à réfléchir, à nous servir de notre esprit critique, à être respectueux, patients, ouverts, sans être naïfs et trop gentils. Elle nous a inculqué les valeurs qu'elles tenait de ses parents à elle, des valeurs de partage, de solidarité, d'écoute, de dialogue. Elle nous a ouverts sur le monde, rendus curieux, n'a jamais ménagé sa peine à faire de nous des personnes dont elle n'aurait pas à rougir. Elle nous a fait confiance, nous a soutenus quand nous avions raison, raisonnés quand nous nous trompions. Elle nous a appris à aimer, et par dessus tout, à nous aimer, par l'amour qu'elle nous a toujours donné et elle continue aujourd'hui.
Ca se passe comment avec elle ?
Merveilleusement bien. Je n'ai pas le souvenir de conflits réels avec ma mère, même à l'adolescence. A chaque désaccord que j'ai pu avoir avec elle, notre système de relation basé avant tout sur le dialogue a toujours permis de tout désamorcer. Le fait qu'elle soit une femme de conviction a toujours joué sur mon appréhension de ce qu'elle avait à me dire. Elle a toujours pris mes choix au sérieux, sans jugement arbitraire, et aujourd'hui à presque 30 elle reste tout autant ma référence que quand j'étais petite fille. Je sais qu'elle me conseillera dans mes moments de doute et je sais aussi qu'elle me fera confiance pour l'aider dans les siens. Notre complicité s'accroit avec le temps.
Vous êtes outé auprès d'elle, ou pas ?
Oui, dès que j'ai accepté moi même d'admettre que j'étais lesbienne, je l'ai dit à ma mère, qui n'a tout simplement pas réagi. Je m'étais fait un monde de cette annonce, en sachant par ailleurs qu'elle n'aurait aucun impact sur l'amour qu'elle me portait, et je me suis retrouvée bien con quand elle m'a dit ah bon, ok...
Je ne résiste pas à vous faire la scène de mon coming out à ma mère, tellement la situation est rêvée.
Appartement familial, salle de bain.
Personnages: moniiique (stressée), sa mère (en train de laver une culotte à la main dans le lavabo)
moniiique: Maman....j'ai un truc à te dire
maman: Oui mon coeur je t'écoute
moniiique: Hum....bah...euh....
maman: Bon alors? Qu'est ce que t'attends? La Saint Glinglin?
moniiique: Bah non, mais bon c'est pas si simple à dire...
maman: Beh si tu veux on attend un autre jour hein, moi je suis pas pressée. C'est toi là, on dirait une poule qui a trouvé un couteau, qu'est ce qui t'arrive?
moniiique: Oui oh ok, c'est bon, bah...je suis amoureuse voilà!
maman: Allons bon! C'est ton coloc?
moniiique: Euh...non c'est une fille
maman: Ah bon? Et c'est qui? Elle est mignonne? Elle fait quoi dans la vie? Je la connais?
Voilà, tout ça sans arrêter de laver sa culotte
. S'en est suivie une pause clope pendant laquelle elle m'a dit que de toutes façons c'était conventionnel d'imaginer que tout le monde était hétéro. Que la norme hétéro était voulue à la base pour des raisons de reproduction, mais que la sexualité hétéro étant depuis longtemps déconnectée des simples attraits reproductifs, elle ne se faisait pas de soucis pour des éventuels petits enfants. Que je n'avais pas perdu mes appareils reproducteurs et que si je voulais des gosses, j'en aurais avec la femme que j'aimerais. Mais surtout que je n'en aurais que si j'en désirais, qu'elle n'était pas le genre de femme à attendre une descendance de ses enfants pour la joie d'être grand mère. Que ça lui plairait sans doute, mais qu'elle ne nous avait pas faits mon frère et moi pour accomplir ses propres désirs.Elle est du genre envahissante ou elle oublie de vous appeler même pour votre anniversaire ?
Les deux mon capitaine. Elle peut être très collante et appeler 12 fois dans la journée, comme ça pour rien, et ne pas donner de nouvelles pendant un mois d'affilée. Elle peut envoyer un mail qui dit juste "je t'aime" et complètement oublier mon anniversaire.
Elle déteste votre partenaire ou elle l'a adopté comme son propre enfant ???
A chaque fois que j'ai eu quelqu'un dans ma vie, elle l'a accueilli à bras ouverts. Fille ou garçon. Je suis restée 5 ans avec un garçon avant de réussir à m'accepter, il était son gendre, et il lui plaisait bien. Quand j'ai commencé à vivre ma vie en m'assumant, elle a accueilli mes copines avec un grand intérêt. Elle est même assez marrante pour ça. L'année dernière, mon ex est venue à une fête, et comme on était célibataires toutes les deux, on a un peu dérapé, ce qui arrive fréquemment dans les anciens couples finalement. Et donc ma mère arrive avec une des ses amies que je ne connaissais pas, pour me présenter et elle dit à cette dame, "Alors ça c'est moniiique, ma fille, et ça c'est A. sa copine, euh, son ex, euh, on sait pas bien quoi, mais peu importe...."
Elle vous surprotège ou elle vous laisse vous débrouiller en toute situation ?
Un peu des deux. Elle a toujours peur que je manque et me met du fric régulièrement sur mon compte sans que je lui en demande. En revanche elle m'a toujours laissé mener ma barque dans tout ce qui concerne les démarches administratives, professionnelles, d'orientation et de choix de vie.
Voilà pour mon cas. J'aime ma mère, étonnant non?
) . . . Elle effraye même mon meilleur ami (j'ai eu le malheur de faire tomber une bouteille de vin sur les coussins, je vous laisse imaginer la scène 
).