L'athéisme idiot ?

Débats Gay et Lesbien
Manchette
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Message par Manchette »

Attention, je n'ai jamais dit que la politique devait être rationnelle. Les politiques ont souvent aimé se fonder sur l'irrationnel pour entrevoir ce que serait la conjecture : des astrologues aux devins, et aujourd'hui leurs dignes épigones que sont les économistes.
Je me méfie effectivement des gens qui arrivent avec un système clés en mains, nous disant qu'il suffit de les écouter. Je préfère de loin une analyse critique (comme aujourd'hui Moïshe Postone, Anselme Jappe ou Robert Kurz) à ceux qui "formulent des recettes pour les marmites de l'avenir" (Marx, qui raillait déjà ces critico-utopistes dans le Manifeste : "A l’activité sociale, ils substituent leur propre ingéniosité ; aux conditions historiques de l’émancipation, des conditions fantaisistes ; à l’organisation graduelle et spontanée du prolétariat en classe, une organisation de la société fabriquée de toutes pièces par eux-mêmes. Pour eux, l’avenir du monde se résout dans la propagande et la mise en pratique de leurs plans de société." Il critiquait déjà avec 150 ans d'avance l'altermondialisme !).
La politique n'est jamais qu'un arbitrage entre des intérêts inconciliables.

Mais si quelqu'un entend m'imposer une conception morale, il faut que ce soit fondé sur des arguments rationnels. La peine de mort n'est pas dissuasive : Dawkins (dont tu n'aimes pas la démarche, je sais, mais lui est rationaliste au moins) le montre très bien, statistiques à l'appui. Voilà un argument rationnel pour s'opposer à ce châtiment défendu dans l'Ancien et le Nouveau testament.
Or après Darwin et le Big bang, je ne vois pas grand chose à sauver dans la Genèse. Il est même amusant d'entendre les créationnistes dire que l'on vivait avec des dinosaures dans le jardin d'Eden, alors qu'il n'est jamais fait mention -pour cause de découverte bien ultérieure- des dinosaures dans la Bible. Pourquoi dès lors s'entêter sur Sodome et Gomorrhe, dont rien ne me prouve l'existence ?
Quant au Lévitique, il faudrait leur demander pourquoi ses partisans continuent d'attaquer l'homosexualité, sans pour autant songer à rétablir l'esclavage : je voudrais bien comprendre pourquoi ils maintiennent cette haine contre les homos, mais pas l'esclavage, pourtant autorisé par le susdit livre.
Garcin
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Message par Garcin »

Olivierz a écrit : Quant au Lévitique, il faudrait leur demander pourquoi ses partisans continuent d'attaquer l'homosexualité, sans pour autant songer à rétablir l'esclavage : je voudrais bien comprendre pourquoi ils maintiennent cette haine contre les homos, mais pas l'esclavage, pourtant autorisé par le susdit livre.
Tu oublies de parler de l'interdiction faite aux femmes de porter des vêtements faits de deux tissus différents.
Manchette
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Message par Manchette »

Ah, ces pauvres adeptes de la Bible : que ne doivent-ils pas endurer pour justifier leur homophobie ! Tout ça à cause de nous...
OFF-Topic :
[quote]Et la graine de Staline que fut Breton me déplait toujours un peu plus - mais je vais creuser pour savoir de quoi relève chez moi cette détestation que j'ai de ce grand homophobe, nonobstant Crevel. [/quote]
Autant je conçois que l'on critique Breton, hautement critiquable pour son autoritarisme, autant je n'accepte pas qu'on le compare à Staline. Il a toujours été un anti-stalinien, contrairement à tant d'autres poètes devenus chantres du Petit père des peuples, d'Aragon à Eluard. Même après la mort de Staline, il est resté extrêmement critique.
Son homophobie est aussi largement le produit de son époque : il me semble que la France dans laquelle il a vécu n'était pas un paradis de tolérance. Il n'en a pas moins admiré Rimbaud, Gide (en particulier Les caves du Vatican, son texte de fiction le plus gay !), et puis une amitié constante à Crevel, homosexuel ET mondain (alors que Breton haïssait les mondanités).
Et il n'en demeure pas moins un homme important, aussi critiquable soit-il. Mais qui ne l'est pas ? Orwell parlait bien de la pansy left (gauche tantouze) pour désigner les staliniens et les philo-staliniens. Il n'en reste pas moins un homme des plus admirables à mes yeux. Sans doute parce que je ne juge surtout pas les gens selon leur opinion sur l'homosexualité.
Kliban
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Message par Kliban »

Allons y dans l'ordre d'importance croissante :
OFF-Topic :
1. Breton : en effet, j'entends tout cela. Je n'ai encore que des opinions sur Breton, rien de ce que j'en lis ne me plait - et je n'ai pas tellement plus d'amour pour Aragon ou Eluard de ce côté là. Mais ce ne sont que des opinions, et je compte bien les confronter à des avis contraires.
Sinon, bon, ce n'est pas parce qu'il a critiqué Staline que Breton ne pourrait pas avoir agi en stalinien - mais là je ne parle que sans savoir, par vague métaphore irritée. Lacan, que tu n'aimes sans doute pas des masses, a passé son temps à ne pas analyser dans son comportement ce qu'il décrivait et analysait avec minutie dans ses théories et chez ses patients... Nul n'est à une contradiction près.
2. Dawkins : ce n'est pas l'approche de Dawkins que je n'aime pas, ce sont ses outrances. Je trouve l'approche rationaliste des plus intéressantes. Je la déteste lorsqu'elle prend des accents de prêtrise.

3. La Bible : il y a plein de façons de lire la Genèse, la faute d'Adam, etc. Moins de lire le Lévitique. Je te rejoins de toute façon pour dire qu'une lecture littérale, de l'un comme un texte scientifique, ou de l'autre comme un texte de lois légitimes, est entièrement et de part en part grotesque. Je reconnais que je ne me soucie pas de ces façons de faire, essentiellement parce que je n'ai pas eu à discuter avec des militants de la chose. Il en est d'autres, bien plus intéressante - ce sont des réservoirs de métaphores, des portes d'entrée sur la compréhension de l'âme juive, des clefs anthropologiques pour saisir la structuration de notre façon de vivre le monde, des points d'appui pour la vie spirituelle - ne serait-je franchement ni chrétien, ni même monothéiste, etc.

4. Sodome et Gomorrhe ne sont pas des faits historiques, mais la source (lointaine et très déformée) d'une réprobation qui ne trouve sa forme contemporaine (homophobie) qu'au Moyen-Âge, je crois - sodomie signifiant auparavant un tas de pratiques sexuelles réprouvées allant de l'onanisme à la zoophilie - la bestialité, comme on disait. Ce n'est pas d'être historique, ni même d'être crues historiques que S&G sont problématiques, c'est d'être le lieu symbolique d'un châtiment opposé à un certain type de comportement. L'anhistorisme de S&G n'empêcherait pas qu'on continuât (?) à les utiliser contre l'homosexualité. Les pastorales pro-homo - il y en a - s'attaquent donc à réformer ce symbole, et à montrer qu'il ne traite pas d'homosexualité - mais de viol, d'attente au droit d'hospitalité, etc.

A ce tire, le corpus paulinien - reconnu comme authentique - est bien plus gênant pour les homos chrétiens croyants. Les analyses de Boswell à ce sujet ne sont pas toutes partagés par les érudits - même homos et croyants - et il faut faire un certain nombre de contorsions désagréables pour montrer que Paul ne visait pas l'homosexualité telle qu'on la vit aujourd'hui. Mais toute exégèse fait cela. Personnellement, peu me chaud, tant que le religieux ne transpire pas sur le politique.

5. Sur l'argumentation morale, je te rejoins, entièrement, même si je suis bien persuadé que nous avons des comportements moraux que nous n'ancrons pas sur des arguments rationnels - actes spontanés, dont l'absence peut nous choquer, ne pas remercier, manger dans l'assiette de son voisin, se m*strber en public, etc.
OFF-Topic :
6. Les vérités générales que nous énonçons ici sont indexées sur nos engagements respectifs. Le mien n'est clairement pas politique, au sens de la négociation autour des valeurs ici et maintenant. Venu d'une famille assez libérale, je n'ai jamais eu à le faire. Pour ce que tu en dis, tu t'es très jeune constitué - entre autres - une "bibliothèque de combat", là où je bâtissais une "forteresse de livres". Je n'ai donc pas d'autre système que celui des labyrinthes, là où tu t'es forgé des poinçons : je ne vise pas à percer puis désintégrer les systèmes, mais à voir sur quels pieds ils tiennent réellement - fussent-ils d'argile. Mais j'ai aussi peu d'amour que toi pour leur composante idéologique. Je ne fréquente donc pas les débats hantés - ou cancérisés - par les extrémismes. Je suis donc sans doute bien moins efficace dans la controverse. Mais beaucoup plus libéral :) En temps de guerre, qui demande à tout engagement de se rigidifier, ma position serait difficilement justifiable, je le reconnais.
Manchette
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Message par Manchette »

2. Dawkins : ce n'est pas l'approche de Dawkins que je n'aime pas, ce sont ses outrances. Je trouve l'approche rationaliste des plus intéressantes. Je la déteste lorsqu'elle prend des accents de prêtrise.
Je pense que c'est malgré tout nécessaire : n'oublions pas qu'il évolue dans le monde anglo-saxon, autrement plus religieux que la France (où l'on perçoit à peine les allusions religieuses dans les discours de Sarkozy sur la crise).
3. Il en est d'autres, bien plus intéressante - ce sont des réservoirs de métaphores, des portes d'entrée sur la compréhension de l'âme juive, des clefs anthropologiques pour saisir la structuration de notre façon de vivre le monde, des points d'appui pour la vie spirituelle - ne serait-je franchement ni chrétien, ni même monothéiste, etc.
Absolument. Freud par exemple, dans son dernier livre, qu'il consacra à Moïse fait une lecture passionnante.
4. Sodome et Gomorrhe ne sont pas des faits historiques, mais la source (lointaine et très déformée) d'une réprobation qui ne trouve sa forme contemporaine (homophobie) qu'au Moyen-Âge, je crois - sodomie signifiant auparavant un tas de pratiques sexuelles réprouvées allant de l'onanisme à la zoophilie - la bestialité, comme on disait.
Cela commence avant, avec Constantin, le premier empereur romain converti au christianisme. Il y avait quelques lois contre l'homosexualité, mais elles n'étaient pas appliquées. Il en promulguera de nouvelles, et fera en sorte de les faire appliquer. La lecture de Van Gulik (La Vie sexuelle dans la Chine ancienne) est à cet égard passionnante, sur le statut de l'homosexualité dans une société non-judéo-chrétienne.
Kliban
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Message par Kliban »

Olivierz a écrit :
2. Dawkins : ce n'est pas l'approche de Dawkins que je n'aime pas, ce sont ses outrances. Je trouve l'approche rationaliste des plus intéressantes. Je la déteste lorsqu'elle prend des accents de prêtrise.
Je pense que c'est malgré tout nécessaire : n'oublions pas qu'il évolue dans le monde anglo-saxon, autrement plus religieux que la France (où l'on perçoit à peine les allusions religieuses dans les discours de Sarkozy sur la crise).
En effet, ceci explique - non pas justifie - relativement cela. Même si la posture de Dawkins est malgré tout critiquée en milieu anglo-américain par d'autres athées, qui trouvent contre-productif son militantisme parfois outrancier.

J'ai peu d'amour pour les armes de guerre, quelles qu'elles soient - tendance à y voir toujours la même immondice sous-jacente. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent la fin justifier n'importe quel moyen. Le bellum que tu prépares si vis pacem ne peut pas être de la même nature le bellum qu'on t'oppose si l'on recherche la guerre. Sinon, tu ne vis pas véritablement pacem.

Mais je parle dans le vague, il faudrait que je lise sérieusement Dawkins - mais s'il est aussi ridicule que se le sont montrés par endroits Sokal et Bricmont dans leur genre, ça va me coûter...

Olivierz a écrit :
3. Il en est d'autres, bien plus intéressante - ce sont des réservoirs de métaphores, des portes d'entrée sur la compréhension de l'âme juive, des clefs anthropologiques pour saisir la structuration de notre façon de vivre le monde, des points d'appui pour la vie spirituelle - ne serait-je franchement ni chrétien, ni même monothéiste, etc.
Absolument. Freud par exemple, dans son dernier livre, qu'il consacra à Moïse fait une lecture passionnante.
Je ne partage pas vraiment. Encore une fois : c'est une arme de guerre contre la religion. Pas une analyse objective. Aucune analyse objective ne peut dévaloriser son objet parce que les catégories de l'objectivité et des valeurs ne sont pas a priori compatibles (phrase à consonance un peu trop kantienne pour être totalement honnête, j'admets, mais je force le trait pour que ça soit lisible : on ne peut pas prétendre vouloir connaître rationnellement une chose ("telle qu'elle est") tout en renforçant l'une ou l'autre de axiologies à laquelle elle est soumise.)

Les entreprises d'un certain rationalisme pour dévaloriser la religion sont très singulièrement similaires à celles qu'a employées le christianisme pour évacuer rites et mythes "païens" qu'il taxait de superstitions. Où je vois une continuité surprenante mais pas inattendue entre ces deux types idéologiques.
Olivierz a écrit :
4. Sodome et Gomorrhe ne sont pas des faits historiques, mais la source (lointaine et très déformée) d'une réprobation qui ne trouve sa forme contemporaine (homophobie) qu'au Moyen-Âge, je crois - sodomie signifiant auparavant un tas de pratiques sexuelles réprouvées allant de l'onanisme à la zoophilie - la bestialité, comme on disait.
Cela commence avant, avec Constantin, le premier empereur romain converti au christianisme. Il y avait quelques lois contre l'homosexualité, mais elles n'étaient pas appliquées. Il en promulguera de nouvelles, et fera en sorte de les faire appliquer. La lecture de Van Gulik (La Vie sexuelle dans la Chine ancienne) est à cet égard passionnante, sur le statut de l'homosexualité dans une société non-judéo-chrétienne.
Moui, même si l'homosexualité, catégorie contemporaine, n'existait que de notre point de vue d'hommes du XXIè siècle. Ce sont des catégories d'actes qui ont été réprouvés - cf. les travaux de Foucauld. Et "sodomie" ne désignait pas encore (uniquement) le coït anal. Les lois répressives de la sodomie (mais y en eut-il faisant explicitement référence à ce terme ? Un historien pourrait-il nous dire ?) avaient un spectre bien plus large que les seules amours masculines - qui y sont néanmoins incluses, pour ce que j'en sais.

Tu as des références sur la modification et l'application des lois morales de l'Empire romain sous Constantin ? J'ai essayé de chercher - rapidement - dans le Boswell (christianisme, tolérance sociale et homosexualité) et je n'ai pas trouvé. D'instinct, j'aurais pensé que le durcissement moral aurait été postérieur - vers l'époque d'Augustin, fin du IVè siècle, sous Théodose ou un peu avant.

EDIT : j'ai trouvé des éléments concordant avec cette intuition sur ce site. La première loi chrétienne (contre l'hs passive) date de 342 - sous Constant Ier, après la mort de Constantin en 337. Et, sous l'influence notamment de ce salopard d'Augustin - formidable écrivain au demeurant... -, la législation se durcit jusqu'à aboutir à un rejet définitif sous Théodose en 390.

La thèse de Boswell à ce sujet n'est pas, si ma mémoire est, bonne que le christianisme est directement responsable de ce fait, mais plutôt que l'accession à la dignité d'évêque d'individus issus non des villes mais des campagnes - où la variabilité des normes est bien plus faible - a eu tendance à resserrer la morale sur une forme d'ascétisme séculier. Pour autant, le christianisme fut religion à savoir amplifier ce resserrement jusqu'à lui donner valeur de dogme...
Manchette
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Message par Manchette »

mais s'il est aussi ridicule que se le sont montrés par endroits Sokal et Bricmont dans leur genre, ça va me coûter...
Ridicules, non. Outranciers peut-être, mais comme ils tirent à vue sur des gens que je méprise et qui m'ennuient profondément, j'avoue que la lecture des deux comparses fut une profonde jubilation.

Sur Constantin, il me semble que j'ai dû lire ça dans le Mourre. L'article sur l'homosexualité est d'ailleurs vachement bien fait.
Les entreprises d'un certain rationalisme pour dévaloriser la religion sont très singulièrement similaires à celles qu'a employées le christianisme pour évacuer rites et mythes "païens" qu'il taxait de superstitions.
Sauf qu'entre temps, nous avons eu le Big bang et la théorie de l'évolution, seules explications rationnelles. Ce n'est donc plus la lutte d'une superstition contre une autre, mais la lutte, commencée sous la Renaissance (Galilée, Bruno) voire avant (Avéroès) et qui s'est continuée jusqu'à nos jours (Bertrand Russell), visant à séparer la raison de la foi, pour cause d'incompatibilité fondamentale (contrairement aux bêtises d'un J-P II dans Fides et ratio). Mais aussi à élaborer une morale commune qui ne soit pas religieuse, seule garante des libertés de croire et de ne pas croire, autrement dit de la liberté de conscience.

Dawkins peut paraitre outrancier, mais quand tu as face à toi des abrutis par millions, qui te disent que l'homme a été crée à l'image de dieu, et vivait avec les dinosaures (qui ne sont pas dans la Bible, mais ce n'est pas la seule imbécilité des créationnistes) dans le jardin d'Eden, je comprends la vigueur de la réaction de ce darwinien pur sucre.
Et si tu le lis, tu verras que le bonhomme se montre aussi autrement plus humaniste que les bigots us (il offre de solides arguments contre la peine de mort, en vigueur dans toute la Bible belt). Et je ne peux que partager son inquiétude face à ce que montre un film comme Jesus camp.
Je te conseille cette passionnante itw du bonhomme :
http://www.prochoix.org/cgi/blog/index. ... eu-de-peur

Et histoire de te convaincre que je ne suis pas un anticlérical obtus, sache que j'apprécie quand un athée et un croyant s'unissent pour défendre par l'art une juste cause : http://www.youtube.com/watch?v=QjHGFsRLon8
Une raison de plus d'aimer Eddie Vedder, dont la sensibilité à fleur de peau me touche
Kliban
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Message par Kliban »

Merci pour les liens !

Mais du tout, je ne te prends pas pour un anticlérical obtus :) ! Je m'interroge surtout sur la nature potentiellement idéologique de ton rationalisme athée. Je ne suis un militant ni du rationalisme, ni de l'athéisme - mais sur les questions de connaissances des choses et du monde, je reste un rationaliste.

Il y a mieux à faire, je trouve, de cette insistance de la question d'un créateur ou d'un dieu que de vouloir en forcer les sentiments et les mythes dans un discours de vérité qui aurait la même valeur que celui de la science. Ce ne sont tout simplement pas des questions du même ordre.

Mais encore une fois, je n'ai pas à me battre contre un croyant qui essaierait de m'imposer ses opinions par éventuellement le truchement de l'action politique. Tant que je ne suis pas confronté à cela, je préfère largement ne pas me polluer l'esprit avec des considérations plus stratégiques qu'elles ne concernent réellement leur objet.

Parfois il faut, contre des ennemis redoutables, des armes redoutables. L'athéisme militant en est une - il a l'avantage de ne pas proposer de morale contraignante - mais de ne pas mesurer la charge de désillusion qu'il porte avec sa volonté de désensorcellement. A court terme, no problem. Mais ça reste short sighted.


Je comprends donc la position militante de Dawkins.

Nos visions sont pourtant incompatibles. De l'interview que tu cites :

Il y a des scientifiques religieux, il est donc apparemment possible pour l’esprit humain d’unir ces deux visions du monde. Mais il m’est difficile de le comprendre. A mes yeux, l’évolution supprime les raisons principales de croire en Dieu.

Il se trouve que je peux très bien comprendre comment les deux se concilient : j'ai passé mon existence à concilier des trucs bien plus bizarres que cela.

Dawkins comprend moins le religieux, son interview en témoigne, que les manifestations effrayantes de certaines ses manifestations. Le fond du problème, c'est pourquoi les religions - et surtout les religions du livre - se montrent aussi intolérantes et, pour une part de leurs activités, nuisibles à vaste échelle ? Je rejoins bien l'inquiétude de Dawkins quand il affirme :
Je ne m’attaque pas aux rituels. Je m’intéresse aux fidèles qui pensent, par exemple, que Dieu leur a dit d’aller en Irak, de faire sauter des cliniques où l’on pratique l’avortement, ou d’empêcher la recherche sur les cellules-souches.


Quant à une explication scientifique du religieux, les explications de Dawkins restent grotesques. Un savant du XIXè siècle n'aurait pas fait mieux dans le mélange entre conviction personnelle, mauvaise vulgarisation de concepts scientifiques et idéologie scientiste. Ca ne rend hommage ni à la science, ni à la vulgarisation, ni à la démarche rationnelle. On nage dans l'idéologi, parce que le phénomène présenté par Dawkins est totalement mélangé à des jugements de valeurs qui ne sont pas analysés comme tels. Bref : le canada dry de la science. Beurk.
C'est une attitude (aussi stupide que celle des premiers ethnologues à l'égard de leur objet dit "primitif" ou frustre) que l'on retrouve dans tout un courant des sciences humaines "cognitivisées". Attitude qui ne permet pas de savoir de quoi l'on parle exactement. Qui fera sans doute progresser le savoir mais qui devra être entièrement révisée d'ici 50 ans, non pas parce qu'on aura trouvé des choses neuves, mais parce qu'on sera enfin en mesure d'entendre des avertissements anciens. Je passe, ça me navre, autant de certitude confite.


Mais je retiens surtout cela du bonhomme : Je ne veux qu’aiguiser les consciences. Comme on affute une arme.

Mon propre athéisme, fait de demi-teintes et de complexités, ne voyant là qu'un nouveau terrain de guerre, n'a que peu à y faire.
Manchette
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Message par Manchette »

Mais encore une fois, je n'ai pas à me battre contre un croyant qui essaierait de m'imposer ses opinions par éventuellement le truchement de l'action politique.
Le problème justement, c'est qu'aussi laïques que puissent se proclamer nos institutions, elles restent essentiellement une laïcisation des valeurs judéo-chrétiennes. Nietzsche était l'un des seuls à l'avoir compris (même si l'on pourrait dire qu'elles sont platoniciennes, le christianisme n'étant jamais qu'un platonisme pour le peuple, cf Par-delà le bien et le mal).

Concernant Dawkins, je ne te cache pas non plus que sa théorie des mèmes me laisse sceptique, surtout appliquée à la religion. Mais il a au moins le mérite d'essayer de l'expliquer au regard de l'évolution, de façon peut-être plus nuancée -et plus convaincante pour moi- dans son bouquin : "La sélection naturelle construit le cerveau de l'enfant en lui donnant une tendance à croire tout ce que lui disent ses parents et les anciens de la tribu. Cette obéissance en toute confiance est précieuse pour la survie au même titre que le guidage sur la lune pour le papillon de nuit. Mais le revers de l'obéissance en toute confiance est la crédulité aveugle. "
Je partage tout à fait son opposition à certaines pratiques.

Mon approche reste beaucoup plus freudienne (L'avenir d'une illusion), même si je suis très critique de Freud sur beaucoup d'autres points.
Kliban
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Message par Kliban »

(désolé, les questions soulevées par Olivierz sont compliquées et me demandent déjà beaucoup de temps, je n'ai pas la force de remettre tout ça dans un style plus lisible, mais pour moi moins spontané. J'espère que ceux que le débat intéresse pourront suivre. Dites moi sinon, je verrai ce que je peux faire - d'autant que ça m'amène rudement à préciser certaines de mes opinions, travail ô combien précieux.)

(La partie que je trouve la plus intéressante de ce post est à la fin, n°4)

1. C'est amusant, alors que je serais bien plus intéressé par Freud sur ces autres points wahahahaha ;) . Mais c'est que je l'ai vu fonctionner - non pas la théorie Freud, mais la pratique thérapeutique qu'on en tire - alors que sa théorie des religions ne fonctionne tout simplement pas - mais euh... comment peux-tu, sans inconséquence, être freudien sur ce point sans l'être sur les autres ?


2. Que nos institutions - mais au-delà même de cela : nos façons de nous représenter le monde - soient trufféés de valeurs d'origines religieuse ne me gène en rien (je suis très content de n'avoir à as à travailler le dimanche pour tout dire). Cela ne me gène que lorsque cela interfère dans le débat, en revanche - mais je pense qu'on est d'accord.


3. La citation de Dawkins - que je glose en : les crédules sont des enfants - ne rend pas compte du fait que nous sommes loin d'être tous crédules. Pourquoi ce trait de crédulité aurait-il perduré ici et pas là ? Les macro-explications de la biologie évolutionniste appliquées aux sciences sociales ont leur intérêt, il faut bien que cette science avance. Mais sincèrement, à ce jour : on ne dispose que d'hypothèses, et aucune des assertions du type de celles que tu cites n'a été encore scientifiquement validée - je gage d'ailleurs que la réalité est bien plus complexe : deux références passionnantes là-dessus (sur le langage) :

- Aux origines du langage - Jean-Louis Dessalles - Hermès science
- La naissance d'une langue chez les robots - Frédéric Kaplan, Hermès science

C'est un peu technique, mais ça cause assez bien des constitutions d'ordre à partir de règles locales (chez les robots) et des principes d'évolution, modélisations à l'appui - et surtout réserves à l'appui. Il y a dans le Dessalles des considérations fort intéressantes sur la naissance du langage, le mensonge et la détection du mensonge. Ce ne sont d'ailleurs, l'auteur en convient, que des hypothèses.

Bref. J'aimerais un peu plus de science et un peu moins d'intimidation. Mais comme indiqué, Dawkins fait la guerre... Je ne dis pas que ce qu'il dit n'est pas vraisemblable - pour ma part, je suis persuadé de l'intérêt des concepts évolutionniste pour expliquer certaines des macro-caractéristiques de la vie intérieure de l'homme depuis bien avant que ce sujet devienne à la mode en France. Je dis simplement que sa rhétorique n'est pas scientifique - elle est matérialiste, elle s'appuie sur des éléments de vulgarisation scientifique, elle est vraisemblable, mais elle n'est pas scientifique - et peine à convaincre quelqu'un moins assoiffé de prouver une thèse métaphysique (Dieu n'existe pas) que de s'assurer de la scientificité de ce qu'on lui raconte.

En gros : Dawkins moblise les énoncés de la science de façon ad hoc. Parce qu'il est pressé. Parce qu'il veut vaincre. Discours du militant. Pas discours de l'homme de science. Mais discours du militant se réclamant de l'homme de science. Je n'aurai pas la naïveté - crédulité, disais-tu ;) - de confondre les deux.


4. Pour conclure, je crois qu'on assiste aujourd'hui à la naissance d'une idéologie athée, nourrie de références scientifiques, et outrepassant les résultats avérés d'une bonne démarche scientifique. La montée des fondamentalismes religieux en est très largement responsable. Cet athéisme ne dispose pas de toutes les vérités sur lesquelles il pourrait se fonder. Mais il dispose d'un programme d'ensemble, qui se tiendrait sur les deux pieds :

- des modélisations de la physique fondamentale (unification des forces fondamentales) ;
- du paradigme évolutionniste, qui rend compte de la structure d'ensemble et de la vie humaine et de la vie en général - les hypothèses de Kupiec en biologie cellulaire sont à cet égard fascinantes.

Ces deux grands secteurs dessinent un monde où les questions de l'origine temporelle, de l'extension spatiale de l'univers, de l'origine du vivant et de la structuration de la conscience humaine peuvent trouver des réponses matérialistes - jusqu'à un certain point.

Je pense qu'on n'a pas commencé à penser les conséquences éthiques de ces actes et de ces monuments de la pensée humaine. Mais c'est essentiellement parce qu'on ne sait toujours pas ce que c'est au fond que l'éthique - ou plutôt : cette image du monde ne nous met à disposition de l'éthique que des représentations inutiles à notre propre action - nous ne pouvons pas nous nourrir de considérations dans lesquelles l'espèce humaine est considéré comme une espèce de corail un peu particulière, ou un animalcule extraterrestre. C'est précisément contre cela que se battent les non-athées : cette terreur de se voir réduits à des objets.

Car le gap entre le discours objectivant de la science et le discours subjectif qui sous-tend nos engagements, éventuellement scientifique, n'a pas été comblé : nous ne savons encore produire que l'un ou l'autre, pas les deux en même temps. Si bien que projeter un discours de type objectivant (what is a ma?) dans des modes où l'on attendrait un ancrage subjectif (what is it like to be a man?) - ça ne fonctionne pas.

C'est tout le problème contemporain. Et celui-là, j'avoue, il me passionne - parce qu'enjeu d'un programme pour le coup authentiquement athée - car il ne suffit pas d'évacuer dieu, encore faut-il évacuer un rapport au langage et aux choses qu'il désigne qui fonctionne comme un langage théologique - sans quoi on fait de la science une forme de langage structuré différemment certes et axé sur l'enquête, mais tout aussi extérieur et comminatoire par rapport à son objet que le langage impératif des commandements trouvés dans un texte sacré. Je crois que la science, sans rien en rabattre sur sa méthode et ses objectifs - est susceptible d'un autre type d'ancrage dans les mots, d'un autre type d'usage par rapport à nos subjectivités que d'encore venir en dire le vrai - là ou la Bible, dans un registre pas si différent que cela, en dit simplement en outre le devoir (mais on y vient : les tentatives de naturalisation de la morale sont en germe).

Et je me désole - et m'agace - un peu de voir de brillants esprits, dont Dawkins, passer littéralement et complètement à côté de ce problème - réellement nietzschéen et autrement complexe.
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