Mais ce soir, des souvenirs remontent...
Années de rousseur? Je vous laisse découvrir, je n'en dis pas plus...
Retour dans le passé : entre marelles et tiédeurs d'août.
Je me souviens de ce jour particulier en maternelle, en pleine récréation, de cette petite fille qui m'a adressée la parole d'une petite voix de pelure de pomme :
"Tu veux jouer avec nous?".
Léa. Elle s'appelle Léa. Elle a les yeux noisettes et des tâches de rousseur, elle est d'une gentillesse incroyable.
Sans le savoir à ce moment précis elle allait devenir ma "meilleure amie" pendant de nombreuses années.
Un meilleur ami...Une meilleure amie? Qu'est ce que cela peut-il vraiment signifier? En quoi un petit garçon, une petite fille devient-il le meilleur ami de quelqu'un?
Est-il/elle "meilleur/e" que tous les autres petits garçons et toutes les autres petites filles qui galopent dans la cour de récré?
Cailloux
A partir de ce jour Léa est devenu ma meilleure amie et nous sommes devenus le duo le plus soudé de mon école primaire.
Léa...Les cheveux courts, cette rousseur désinvolte, ses lunettes, cette envie de vivre dans chaque phalange de billes dispersées dans la grande cour.
Cette habitude amusante de chercher des noises avec les garçons, de rire de tout et d'être vive, intelligente. Très intelligente.
Nous étions toujours une petite bande de quatre, cinq enfants, mais je préférais rester avec elle, la suivre dans le moindre de ses jeux...
A côté d'elle, j'étais là, pas encore bredouillant l'existence...Un garçon réservé, déjà, sautant à pieds joints dans les hautes herbes tout en craignant le moindre conflit.
Si les autres garçons organisaient des matchs de football, à cet âge déjà je n'avais pas un intérêt particulier pour cette première compétition. Je préférais jouer "à la maison", faire de l'élastique, ce qui m'amusait beaucoup même si je n'étais pas très habile, très loin de penser que je riais à un "jeu de filles".
Je l'écoutais tout le temps, elle me dirigeait un peu c'est vrai. Je m'entendais bien avec elle. J'avais l'impression que mes mots ne servaient à rien, ils étaient balayés par ses yeux tourbillonnant, on riait pour tout.
En primaire, en CM1 ou CM2 (le temps efface certaines certitudes, mais laisse dépasser de la surface des varans couchés au soleil...) nous étions donc "amoureux".
Les petits projectiles
Chaque année, quand on partait en vacances, on s'envoyait des cartes, avec nos écritures d'enfant, mal faites, tremblantes, des ratures, mais des cœurs sur chaque "i" et des "je t'aime" en noirs ou en fluo.
Au collège nous n'étions plus ensemble. Qu'importe, chaque dimanche, on se retrouvait.
Les jeux débutaient. Les histoires se multipliaient comme des marque-pages dans les yeux de petits reptiles. Jouer aux explorateurs, aux détectives privés, au "couple" d'affaires, aux chercheurs d'or.
Je me souviens de nos rituels...On montait dans sa chambre, on préparait nos jeux avec des chapeaux, des pistolets, des cartes, des cahiers.
Léa n'avait pas changé. Elle devenait une personne importante à mes yeux. Elle laissait pousser ses cheveux, des cheveux d'une rousseur attendrissantes.
Je me croyais amoureux. J'avais déjà développé mon complexe d'infériorité, je la trouvais belle, intelligente (elle l'est...), douée pour tout, surprenante, inédite, une vraie intrépide.
Je me trouvai déjà timide, peu sûr de moi. Avec elle c'était différent.
On buvait des bols de céréale à 16h, on s'amusait dans son garage rempli d'objets en tout genre : roues, bouteilles, balles, pistolets à eau, déguisements.
Tout devenait irrésistiblement amusant.
Nos films fétiches, nos petits play-backs, et nos recettes ratées...

On allait se marier, elle me l'avait dit quand nous étions plus jeunes, on aurait eu des enfants.
Même ma mère semblait touchée par notre relation.
Charançons noirs
J'aimais Léa, j'en étais sûr. Elle m'aimait aussi. Je l'aimais toujours même si elle m'avait annoncée qu'elle avait du sortir avec un garçon en 4ème car elle était obligée...
J'aurais du réfléchir parfois, briser des archipels, tuer quelques renards et les plonger dans le sable (maintenant, le sable commence à s'en prendre aux bronches....) et me demander pourquoi nous nous n'étions jamais embrassés.
Le lycée. Mes doutes. Le changement. Le début des squales endommagés, des premiers conflits.
A vrai dire, Léa avait changé. J'étais devenu timide, muet, absent, autiste. Elle était devenue populaire au sein du lycée, luminescence, infra-défrayante, captivante.
J'éprouvais beaucoup de gêne à la rencontrer maintenant qu'elle arborait sa cigarette entre ses lèvres et son maquillage noir, son long manteau en cuir et ses cheveux devenus rouges.
Je traversais une crise, le mur du son, les ondes, les mots devenaient des verrues, des obstacles, ma langue ne parvenait plus à dire, je n'arrivais plus à sourire et je préférais rester seul plutôt par peur, mes secrets devaient être protégés.
Il était loin le temps où nous étions collés l'un à l'autre, prenant nos guitares pour rigoler.
Visites de la nuit
Puis plus de nouvelles. Léa ma meilleure amie est partie faire des études d'arts et je l'ai perdu de vue.
Entre temps, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai pris du recul sur cette véritable amitié qui a été au fond ma véritable relation avec quelqu'un en dehors de mes relations familiales et amoureuses.
C'était une amitié purement platonique...Mais le mot "platonique" suffirait à lui-même pour jeter du feu délibérément sur la richesse de notre relation.
J'aimais Léa. J'aimais son petit rire malicieux, ses idées artistiques en dessin, en écriture, en musique. Elle semblait surpasser tout le monde.
Je me souviens qu'un prof de primaire qui avait dit qu'elle était peut-être surdouée.
J'avais une admiration sans faille pour elle.
Je l'aimais d'amitié.
Puis un jour, après bien des années, je la retrouve via Facebook, j'apprends très vite qu'elle est lesbienne...
Cela m'a fait un petit choc. Juste un espace mobile et évident dans le coeur.
Une révélation.
C'était comme si notre amitié avait été pure lorsque nous étions enfants, attiré l'un par l'autre par un trait particulier. Elle aimait ma sensibilité. J'aimais sa vaillance d'enfant.
En regardant des photos d'enfance avec elle, c'est vrai, elle ressemblait à un garçon, tout le monde le disait quand on était petits, c'était vrai mais je n'y pensais pas.
Est-ce que j'étais pour autant une fille?
Peut-être, je n'en sais rien, avec le temps, tout est bien différent...
Mais aujourd'hui quand je repense à nos parcours respectifs qui ne cessent de se croiser, qui se ressemblent en diffracté, je souris probablement avec le même sourire que j'avais lorsque nous nous regardions....
Et il m'arrive en écoutant certaines chansons de revenir des années en arrière, l'air devient plus léger, les branches murmurent, les murs pouffent, et je compte les pointillés de rousseur qui nous séparent, les années qui n'en finissent plus de frapper à la porte...
Et je n'ai plus qu'une seule envie : la retrouver.