Sur l'instant de la mort : on verra bien ce qui se passe à ce moment là, comment le corps réagit. Mais je peux sans difficulté m'endormir le soir en me disant que le lendemain peut-être il n'y aura plus rien. Ce n'est pas la mort en tant que telle qui m'effraie - ne m'a jamais effrayée, je n'ai pas de mérite - je n'ai en revanche pas envie de savoir quand.
La difficulté, ici c'est qu'on s'accroche à soi-même. "Soi-même", c'est une foutue idée. Avec des ramifications dans le passé et le futur et pas grand chose dans le présent. Lestump l'a dit : le présent, ça se trouve dans le corps, dans le corps, dans le corps - et donc aussi dans les émotions et les sentiments. Ici c'est un domaine où la tête ne peut quasiment rien sauf à l'avoir déjà accordée au corps et aux affects : l'avoir mise au service du corps.
On sait qu'on passe une bonne soirée, par exemple, parce qu'on est connecté à ce qui s'y passe : qu'on est incarné - pas juste qu'on a un corps, mais qu'on est ce corps, avec son épaisseur et le flux des affects qui le traversent. Ca veut dire aussi : que corps-émotion-tête sont bien accordés. Et donc que la tête prend pas trop de place.
S'il te faut y réfléchir après coup : c'est que tu n'es pas incarné (mal accordé) - j'ai vécu plus ou moins "désincarné" pendant près de 30 ans... je sais ce que ça fait, goût de poussière et de misère. Pas dans ton corps. Donc pas dans ta vie, ça va avec. Revenir dans ton corps, Brutal. J'ai eu du bol, de mon côté, je suis tombé sur des thérapies et des thérapeutes qui permettent ça. M'a fallu 8 ans, mais je suis assez résistant, intellectuellement parlant
Aujourd'hui, je commence à sentir des petits endroits au dedans, des petits moments dans ma journée, où tout est parfait. C'en est parfois à pleurer, réellement. Après on peut s'arrêter là ou aller plus loin. Ca peut toujours s'approfondir, la relation au corps : pour des hyper-cérébrés comme nous, c'est un continent un peu en friche, où tout est à explorer. Et... l'arrière pays est absolument immense. Faut juste prendre le temps. Mais une fois qu'on en a le goût... c'est magique.
Comment on fait ? Je ne sais pas trop. Pour moi, il y a eu une reprise en main de mon corps - c'est affreusement dur, de décréer des habitudes et de réflexes... Et il y a des idées, qui aident. Comme ces convictions que la tête crée des mirages. Que la pierre de touche du "réel", c'est de que je ressens. Que ce que j'éprouve est une somme de trucs qui me traversent. Que "je", "moi", "me", ce n'est qu'une construction, une fonction d'appropriation des choses (c'est pas du blabla théorique, je peux sentir ça). Et que quand on parvient à se désapproprier, il n'est plus grand chose dont on puisse avoir peur. Tout ça, c'est de l'expérience, pas des délires de théoricien. Qu'on n'a pas besoin de s'accrocher à soi pour vivre, que ce n'est pas vraiment important. Et que plus ce "soi" est gros, plus on risque de pas aller bien - mais là, j'avoue des influences indiennes
Bon voilà, c'est un peu rhapsodique, je ne suis pas non plus certain de te répondre - mais ce n'est pas facile, parce que c'est sans doute pari les choses les plus intimes.