Nihilisme et société.

Débats Gay et Lesbien
Avital.Ronell
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Nihilisme et société.

Message par Avital.Ronell »

Que pensez vous du nihilisme et des nihilistes?

Ces gens qui considèrent que rien n'existe, qui refuse le concept d'existence à proprement parler et estime que la vie n'est rien (nihil= rien en latin)

Au début de la terminale, quand j'ai découvert ça, je trouvais ça super et puis j'ai réfléchi à la notion et puis j'ai découvert Nietzsche et je me suis rendu compte que sa philosophie s'opposait complètement au nihilisme et ce dernier m'a paru être une aberration :
comment peut on nier la vie alors qu'on ne cesse de la sentir dans notre corps?
Dès lors j'ai donc estimé que les nihilistes étaient des contemptateurs du corps alors "hors de ma vue nihilistes pour moi vous n'êtes pas le surhomme!"

Mais depuis quelques temps j'y reflechis à nouveau et je trouve qu'ils sont forts les nihilistes. Rien ne peut les atteindre, ils sont vides mais en même temps ils ne sont pas remplis de choses mauvaises. Renier l'élan vital alors même qu'ils sont en vie, c'est une force immense quelque part.
Mais je m'interroge si l'existence d'un pur nihilisme est seulement possible?
N'est ce pas toujours un faux semblant que l'on se donne par dépit ou par une réaction à l'époque dans laquelle on vit ou tout le monde tend vers une certaine forme de "nihilisme" comme le montre certaines le dernier film de Araki (Kaboom) ou le dernier bouquin de Virginie Despentes qui a d'ailleurs eu le prix Renaudot : ces oeuvres récentes de vrais trips nihilistes avec tout qui saute à la fin.

On essaie de montrer que rien n'a de sens, que rien n'est important alors qu'en même temps on est hyper attachés aux biens materiels, les gens défendent leurs intérêts comme des enragés (comme on l'a vu dernièrement pour les retraites) donc je pense pas qu'ils soient nihilistes, mais j'ai l'impression qu'il y a comme une "culture nihiliste" on aime bien faire genre "aaaah moi j'men fous de toute façon"
mais ils me font bien rire ces gens là parce que c'est ceux qui accordent le plus de valeur à l'existence, qui sont amoureux, qui veulent avoir des enfants, j'ai l'impression qu'ils se revendiquent nihilistes par besoin de se rassurer eux même, de se dire qu'ils sont pas si faibles que ça au fond, qu'ils sont cyniques et qu'ils sont remplis d'amertume, que rien ne les touche, qu'ils ont même une dose de cruauté alors qu'ils sont des petits agneaux en sucre prêt à fondre à la première petite averse.

On retrouve même ce nihilisme factice ambiant dans les paroles d'une des chansons récentes de Mylène Farmer :


"On s'en fout, on nie tout, on finira au fond du trou"

J'ai l'impression qu'on tend vraiment le nihilisme comme une provocation, comme quelque chose de positif alors que par ailleurs les gens profitent un maximum de l'existence, parce que contradictoirement on vit dans une société ultra hédoniste ou on nous incite tout le temps à nous faire plaisir avec de la nourriture, des objets, des artifices sensuels (comme l'autre jour une membre faisait un article sur une pub pour un parfum sexy)

Donc pour ma part je trouve que ça fait pitié de se dire nihiliste quand on est amoureux ou quand on aime le confort materiel ou n'importe quoi qui se rattache à l'existence, je doute fortement qu'un pur nihilisme puisse exister, moi par exemple, je suis désillusionnée sur la vie, les manifestations anti retraites m'ont paru grotesques dans la mesure ou j'en ai rien à foutre de ce que sera ma vie à 60 ans ou même à 50, même à 40, même à 30, même à 25, même à 24, même à 23, même à 22, même à...bref :mrgreen:
Je ne me projette pas dans l'avenir, je ne crois pas connaître l'amour, ni l'amitié vraie, ni réussir professionnellement et pourtant je ne me considère pas comme une nihiliste.

Un vrai nihiliste peut vivre comme se suicider puisque pour lui "vivre" n'a pas de sens, est une abstraction, mourrir l'est aussi.
Mais une fois face au passage de l'état de vie à l'état d'inertie, quel être vivant peut ne pas s'interroger sur la possibilité du "après" , qui peut ne pas penser, même de manière implicite, à son salut?
Très curieusement, les fois ou j'ai été proche de passer à l'acte, la question du salut qui ne me préoccupe jamais d'habitude, m'est apparue comme une menace terrible, "et s'il y avait un après?"
Je pense qu'en nous tous, même dans le plus athée des athée sommeille cette crainte.

Alors le nihilisme factice et ambiant auquel on assiste à notre époque, n'est ce pas une manière justement de démystifier la mort?
De dire que quelque chose que l'on craint nous est égal?
Pensez vous qu'un pur nihilisme soit seulement possible?
Kefka
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Re: Nihilisme et société.

Message par Kefka »

Je vais me contenter de répondre à la dernière question.

Un véritable nihilisme est possible. Un véritable dépassement de celui-ci aussi.

Nier tout sens à toute chose, refuser une hiérarchie des valeurs n'est pas une idée si sotte qu'il ne le parait. Admettre que les conventions sociales ne sont pas transcendantes qu'aucune ne vaut plus qu'une autre, dans l'absolu, c'est faire montre d'un regard acéré sur les illusions volontaires qui entourent la société et ses avatars. Néanmoins, en conclure à leur inanité constitue une sacré raccourci. La particularité de l'homme est d'avoir inventé des concepts qu'il met ensuite en application. La question repose donc en cette affirmation : pourquoi "inventer" des concepts ?

Les essentialistes repousseront cette idée en la condamnant comme illogique : selon eux, il existe avant toute chose une notion de celle-ci. On pourrait rapprocher cette argumentation de la philosophie platonicienne des Idées transcendantales : il existe une Idée des choses sur laquelle on peut toujours se fonder pour reconnaître cette chose en tant que chose. De manière plus simple, c'est parce qu'il existe une idée de la chaise que l'on peut reconnaître une chaise comme étant une chaise. Il n'est donc nul besoin d'inventer des concepts qui existent déjà de manière indépendante à toute existence. Dans cette conception, l'essence précède l'existence pour toute chose existante : l'homme n'échapperait donc pas à ce déterminisme absolu. Les croyants y verront la marque de Dieu ou de sa version laïcisée, le Destin.

Au contraire de tout cela, je crois personnellement (et avec moi toute une école de la philosophie) que dans le cas de l'homme, l'existence précède l'essence. Ici, il s'agit de ne comprendre qu'une seule chose : nous sommes sans pour autant nous voir accorder une signification particulière transcendantale. De là, l'auto-réflexivité a des conséquences blessantes : à se savoir exister sans pour autant en trouver lui-même de cause transcendante ou immanente, l'homme se tourne vers le monde pour trouver des solutions à son vide intérieur. Or, il n'y a rien de plus silencieux que ce "monde" : en rien il ne pourra nous apporter de réponses convenables. D'où la naissance d'un sentiment que la vie est absurde en elle-même, qu'elle est dénuée de toute signification et de tout sens : "L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde" (Albert Camus).

De tout cela, on peut facilement en décider que rien ne vaut alors la peine ni d'être vécu, ni d'être défendu. On tombe alors dans un nihilisme qui, percevant cette absurdité du monde, ne sait faire que laisser gonfler son ego blessé de manière disproportionnée : si le monde n'a pas de sens pour moi, alors il n'en aura pas pour les autres, et il n'a pas raison d'être. C'est un nihilisme destructeur. Le suicide apparaît alors comme une solution viable. Mais comme le dit Cioran, le suicide intervient toujours trop tard, d'où une inanité de l'acte.

De mon point de vue, ce nihilisme est court de vue. Il nie justement la capacité de l'homme à inventer et son imagination débordante : si le sens n'existe pas, alors je vais l'inventer et le faire émerger ex nihilo. La pluralité des concepts vient justement de ce que le nihilisme peut impulser une formidable envie de vivre. Choisir de donner soi-même du sens à sa vie, c'est faire preuve de liberté. Soit l'on accepte cette nécessité (L'homme est condamné à être libre), soit l'on la refuse, ne dépassant ainsi pas le stade de la blessure narcissique infligée à tout individu qui perçoit enfin que rien n'a de sens.

On peut donc être purement nihiliste, et pourtant ne pas en accepter les conséquences primaires. On peut être nihiliste sans pour autant tomber dans un relativisme mesquin et enfantin. Être "réellement" nihiliste implique que l'on est capable de dépasser celui-ci. Le reste, ceux qui sont bloqués à la première étape, n'est que l'ensemble des personnes qui ont peur d'être libre.
Dernière modification par Kefka le mer. déc. 15, 2010 8:41 pm, modifié 1 fois.
Avital.Ronell
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Re: Nihilisme et société.

Message par Avital.Ronell »

Oui! Merci pour cette belle réponse conceptuelle fort bien formulée qui donne à penser! :D
Mais justement moi je me disais précisément, qu'à partir du moment ou le nihilisme est dépassé c'est plus du nihilisme c'est du vitalisme!

En fait si on y songe, ils sont sans doute concomittants (et c'est peut être pour ça qu'on entend dire parfois que Nietzsche est un nihiliste) : c'est vrai qu'il y a toujours ce flottement d'ailleurs dans les questions existential/existentielles : un desespoir affligeant et un furieux élan de vivre en même temps.


Le nihilisme vient aussi, je pense, du fait qu'on se sait être "en sursis", un être qui ne va plus être, ce que tu dis sur l'homme absurde me rappelle ce que dit Heidegger sur l'être jeté dans le monde ; "un être pour la mort".
Il dit aussi qu'il faut songer à la mort, pas se complaire dans l'idée de mort mais réfléchir dessus pour faire surgir son être pour la mort qui est un mode d'être du Dasein.

Donc en fait peut être que ne pas trouver de sens à la vie et ne pas lui attribuer d'emblée (c'est à dire sans que cela vienne de nous mais par préjugé que l'existence est ce qu'il y a de plus précieux) une valeur c'est le meilleur moyen pour réussir ce dépassement.
Encore faut-il parvenir à empêcher son Dasein de fuir le rien... :)
(autrement dit d'avoir la bougeotte et d'être incapable de s'arrêter, d'être en constant "dévalement" ce qui conduit à la fameuse angoisse)
Manchette
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Re: Nihilisme et société.

Message par Manchette »

Etonnant que tu ne parles pas de Cioran (dans le genre nihiliste), ni des nihilistes russes du XIXe siècle.
half_half
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Re: Nihilisme et société.

Message par half_half »

Cioran, Bierce, Nietzshe, Schopenhauer, Heidegger, Camus et Aristote, bien qu'ils ne s'inscrivent pas tous dans la pensée nihiliste se sont également penchés sur la problématique du poids de la vie et de manière grossière de son inutilité.

Bien que certains admettent que tout est rien, que tous nos actes s'inscrivent dans une logique répétitive (cf mythe de Sisyphe), il existe des sortes d'échappatoires et d'exutoires à cette condition.

Cioran de manière implicite parle du suicide ( cf de l'inconvénient d'être né) bien qu'il ne le revendique pas ( je vous l'accorde ce n'est pas la meilleure des solutions)
Bierce prend tout avec cynisme ; Schopenhauer parle d'un exutoire dans l'art et la création et du vouloir vivre, Camus dans la colére : la simple conscience que la vie n'est rien va orienter nos actions pour contredire la réalité si on veut, AINSI il faut imaginer Sisyphe heureux !

Bon ok depuis tout à l'heure je lance des phrases sans vraiment expliquer, suis pas en état de me lancer dans un débat philosophique je dois dire O_o

Bon... :roll: ok je file ! Bonne journée à vous :D
Manchette
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Re: Nihilisme et société.

Message par Manchette »

Précisons également que l'oeuvre de Camus est inachevée. Il a effectivement parlé de la révolte (L'homme révolté m'avait infiniment plus enthousiasmé que les écrits politiques de Sartre, mais c'est un autre débat), mais était-ce vraiment le seul exutoire ?
Il me semble avoir lu (chez Todd ou Grenier, je ne me rappelle plus) qu'il envisageait ensuite de parler d'un dépassement par l'amour, mais qu'il est mort avant.

Pour les Russes, il y a bien sûr le très classique Père et fils de Tourgueniev.
Et bien sûr ce cher Rozanov qui ecrivait : "La représentation est terminée. Le public se lève. Il est temps d’enfiler son manteau et de rentrer à la maison. On se retourne : plus de manteau ni de maison." (son bouquin est édité chez Champ libre :amour: ).

Pour ma part, je pense surtout que le nihilisme mène à tout, à condition d'en sortir. Exactement comme la foi.
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