Ray Steam a écrit :Pas moyen d'aborder ce sujet sans se faire traiter de raciste. Enfin. Le débat aura au moins tenu six pages. je crois que c'est un record.
Je savais que j'abordais un sujet casse-gueule ...

Mais tu ne te rends donc pas compte de la terrible violence portée par ton "débat" ? La question que tu poses au début, c'est celle de savoir dans quelle mesure l'islam pose un gros problème en France. L'argument, c'est Marine le Pen n'a pas tort. Le tout surmonté d'une bonne dose de paternalisme. Alors même que tu reconnais ne pas savoir grand-chose de l'islam.
La réponse est dans la question ! Et si on te dit que le problème n'est pas l'islam et que ton discours reprend des standards racistes et xénophobes, tu te plains de ne pas pouvoir en discuter sereinement, sans te faire traiter de raciste. Mais quoi, tu balances dans la gueule d'une partie de la population française qu'il faut qu'elle réponde de "dérives" largement fantasmées, tu te dis volontiers islamophobe, et tu attends qu'il y ait un débat serein là-dessus ? Mais débattre de quoi, précisément ? Tu pars du postulat que tes amis de gauche deviennent raciste pour en déduire qu'il y a une montée des extrêmes des deux côtés ? Pourquoi faut-il qu'il y ait les deux côtés ? Quand on est raciste, c'est un petit peu de la faute de l'autre aussi ? Tu oublies de te poser la question des responsabilités dans cette affaire. Les "problèmes", ils ne se posent pas tout seuls. On les pose, on les fait exister. Le voile, il existe depuis longtemps en France. Sauf que un beau jour, on décide que c'est un "problème" et qu'il faut le "traiter". Mais en quoi est-ce un problème, en vertu de quelle autorité, de quelle légitimité on peut décider du jour au lendemain de le considérer comme une preuve de non-intégration, d'archaïsme, proprement "musulman" (en ce qu'il aurait déjà été réglé en France, comme si on vivait tous de la même manière en France, comme si les musulmans n'étaient pas Français).
Le concept d'islamophobie n'est pas une invention de "mollahs iraniens" (on sent le slogan qui veut choquer, là) ; c'est pas parce que Fourest ou Bruckner le disent que c'est vrai. L'islamophobie, c'est le fait de craindre activement l'islam, non pour ce qu'il est (ce serait con, vu qu'il n'est pas unique ni homogène, on devrait en effet bien plutôt parler d'islams), mais pour ce que l'on croit qu'il est (généralement sans en connaître dalle). L'islamophobie est une réaction à l'islam en particulier, non pas en tant que religion comme une autre -les mots ont un sens, que diable. C'est à la mode : la laïcité est le voile de respectabilité jeté sur un racisme bien réel (d'ailleurs, islamophobie et "racisme anti-musulman" se confondent bien dans les faits parce que personne ne critique les musulmans dans leur personne, c'est l'islam qui est à chaque fois visé, comme idéologie et comme pratique). Le mot "race" ayant un passif un peu lourd depuis 1945, on l'a remplacé par "ethnie", "culture" ou "islam", mais le mécanisme, l'idéologie, la haine n'ont absolument pas changé. L'islamophobie, c'est la haine de l'Arabe dans le musulman (les deux ayant été bien amalgamés auparavant), c'est la haine de ce-qui-n'est-pas-français/européen/occidental dans l'islam ; la preuve en est que les discours islamophobes ne connaissent rien de ce que sont les islams en réalité, pour n'en garder que des caricatures, des approximations, des excès et, bien souvent aussi, de purs mensonges (comme cette histoire de mollahs/ayatollahs à l'origine du mot). L'islamophobie, c'est une xénophobie plus ou moins raciste sublimée, si on peut dire, en position "républicainement correcte" – ah qu'elle est belle, la République.
En France, il est séant de "réfléchir" entre pontes et autres experts bien propres sur eux et bien polis, si possible à la télévision, sur la problématique de l'islam vs. la démocratie. Il est séant de dire que arabe=musulman=intégriste=terroriste= misogyne= sauvage, au moins potentiellement, comme ce flic qui déclarait récemment qu'une avocate sans doute un peu trop basanée à son goût avait un accent et un comportement de délinquante. Et même quand on condamne ce genre d'observation hâtive, on s'empresse d'affirmer qu'il n'y a certes pas de fumée sans feu (si ce n'est toi, c'est donc ton frère, ou bien tu finiras par le devenir), parce que c'est chic de faire semblant d'avoir une pensée fine et nuancée sur la question (grand dieu, non, Jean-Philippe, ce ne sont pas tous des intégristes, mais l'islam n'est-il pas essentiellement exagéré, ne porte-t-il pas naturellement en germe quelque chose comme du totalitarisme génocidaire ?).
Quand Marine le Pen dit que les musulmans qui prient dans la rue, c'est comme/pire que l'Occupation, le Monde salue l'ouverture d'un débat sur la laïcité, nonobstant que la Marine, elle, ne dira jamais rien du poids des lobbies chrétiens dans la vie politique française - mais j'oubliais, ça c'est normal, la France doit assumer son héritage chrétien, suis-je bête. La Pen, si elle disait que franchement les tapettes dans le marais, c'est genre carrément comme une sorte de période d'Occupation oppressive des hétéronormaux, vous seriez les premiers à crier à l'homophobie, mais quand c'est sur les musulmans qu'on dirige les tirs, il n'y a plus aucun problème. Parce que bien entendu, les musulmans, ils ne sont pas Français de souche, ils viennent avec une culture différente, et si on peut vivre avec le christianisme sécularisé, on ne peut pas avec l'islam. Vous vous rendez-compte du caractère essentiellement xénophobe de cette position ? Comme si vous vous reconnaissiez des liens avec le christianisme malgré votre athéisme, comme si vous adhériez aux théories type choc des civilisations (et finalement, peut-être y adhérez-vous réellement….).
Mais bien sûr, quand on est Français, on est féministe et universaliste, ce que l'islam n'est vachement pas. Ha. L'universalisme à la Badinter me fait rigoler. Ca ne la gêne pas de critiquer les femmes musulmanes qui se voilent -forcément soumises à des maris forcément misogynes – en leur déniant toute capacité à développer une pensée autonome et à formuler une parole libre – tout en insistant sur l'égalité hommes-femmes (une égalité toute relative pour elle, de toute façon, si on la lit bien). Et elle, c'est bien sûr très librement qu'elle consent à rester à la tête d'une fort lucrative maison de publicité qui fait son beurre sur les corps nus et les seins protubérants (merci photoshop) de femmes réifiées (objets, vecteurs de consommation, elles sont aussi de magnifiques présentoirs -qui a dit qu'à Noël, la meilleure machine dans laquelle investir était une femme ?). Un peu comme si son respectable mari était l'actionnaire principal d'une usine à chaises électriques. Et en plus elle se permet de cracher sur le féminisme, ou du moins ce qu'elle appelle ses excès.
C'est quoi, le problème de l'islam en France aujourd'hui ? C'est la France, pas l'islam. En tout cas pour l'instant. Le seul vrai déni de réalité généralisé chez les gens de pouvoirs et dans une grosse partie de la population française, il est là.
On fout des gens dans des clapiers pour ensuite les accuser de communautarisme, on les soumet à une discrimination permanente pour ensuite les accuser de non intégration, on stigmatise tous les jours (et bien plus de cinq fois par jour) leur religion pour ensuite les traiter d'intégristes ; et que je te sors des menaces d'expulsion, des contrats d'intégration, des chantages aux allocations, des mariages blancs et gris, des contrôles d'identité inopinés, des menaces de transformateurs électriques et autres joyeusetés. Par-dessus le marché, on les somme en permanence de condamner les dérives de certains autres, dérives qu'on ne cherche jamais à expliquer. Ah ben les attentats, les pétages de plomb, l'intégrisme, ils sont sui generis. Mais on n'a rien à voir avec ça, ma bonne dame, on est tolérants nous -peut-être même un peu trop faudrait voir à ce qu'ils n'abusent pas de notre bonne volonté. De toute façon, on sait depuis le XIXe siècle que l'arabe est fainéant, le noir indolent et le juif chafouin. Et puis, entre nous, les églises, c'est vachement plus accueillant que les mosquées - ne trouvez-vous pas que ces dernières ont des airs de repaires de brigands, avec leurs minarets en forme de missiles. Et vazy qu'on en rajoute une louchée : sur le voile, sur les moutons dans la baignoire, sur la burqa, sur les menus hallal et les piscines non mixtes (pourquoi pas sur la barbe et le tapis de prière bientôt ?). Par contre, dès qu'il s'agit de condamner le racisme, la colonisation, la torture pendant la guerre d'Algérie, c'est pas notre faute, ils font chier, on n'est pas responsables, c'est l'entretien de la mauvaise conscience coloniale, faudrait un peu qu'ils se prennent en main, merde.
Donc, en gros, les Français-de-souche, ils ont le droit de ne pas digérer la guerre d'Algérie et la décolonisation, mais les immigrés et leurs enfants-issus-de-l'immigration, non. Les Français-de-souche, ils peuvent bien violer ou battre leur femme, on n'en parlera pas trop (on saluera même leur décès en pleurant, à l'occasion) ; il va de soi que seuls les immigrés et leurs enfants-issus-de-l'immigration se comportent comme des sauvages et brûlent leurs copines dans des poubelles. Les Français-de-souche, et notamment les susmentionnés pontes, ne sont en rien responsables des attaques de mosquées et des profanations de cimetières, encore moins des meurtres et des ratonnades ; mais le moindre Mohamed, même s'il est athée ou chrétien (comme dans l'immonde canular "cité du mâle"), doit répondre de tout ce qui est plus ou moins identifié (souvent à tort) comme musulman, du moindre poil de moustache de travers de Tariq Ramadan aux idées (confuses et confusément retranscrites) d'Ahmadinejad en passant par les émeutes-de-banlieue, le 11 septembre et la burqa.
Il est où, l'universalisme, là ? Elle est où l'égalité ?
Quand on arrêtera de taper à longueur de journée, de JT et de couvertures de magazines à sensation (le Point et l'Express inclus) sur l'islam - ses dangers, sa face cachée, ses secrets- , ou les musulmans - l'impossible intégration - on pourra peut-être discuter plus avant de cette religion (encore que, je n'en vois pas l'intérêt pour les gens qui ne la pratiquent pas ou qui ne s'identifient pas à elle). Avant cela, c'est juste se foutre de la gueule du monde.
Le pire, c'est l'hypocrite "dans les pays musulmans, on ne prend pas autant de précautions avec les non-musulmans". Alors donc c'est ça : il y a un autre État plus con encore (et une fois de plus, on ne s'interroge pas sur la réalité ou les raisons de cette connerie, non, on la déclame juste sur tous les tons), donc on peut se contenter de notre moindre (ahem…) niveau de connerie ?
Ceci dit, le débat public sur l'islam confronte en général des positions de principe totalement artificielles, ce qui donne l'apparence d'avoir en gros un clash entre "racistes-réalistes" et "bien pensant-aveugles", alors que des deux côtés on a affaire à des idiots cyniques qui pensent au fond la même chose : surfer sur un racisme qu'ils alimentent et attisent sans cesse pour qu'un tel débat existe et prenne toute la place, non pas parce qu'il est nécessaire en soi, mais parce qu'il est nécessaire de maintenir un écran de fumée. Et quel écran. On fait croire que le problème tourne autour de l'islam et de l'identité française, alors qu'en réalité il réside dans la structure de notre société, dans le fonctionnement de nos institutions et dans la corruption généralisée de nos pseudo-élites. Sur le point précis de la sortie de Marine Le Pen, c'est plus la partie "parallèle avec l'Occupation" (soit une référence à 39-45 qui paraît iconoclaste, c'est assez soufflant) que la partie "stigmatisation des musulmans" qui semble poser problème aux bonnes gens de l'UMP et du PS - sans compter les stratégies électorales d'un parti qui, à trop se rapprocher du FN, légitime ses théories et lui donne de nouveaux compagnons de route. Sur ce point (et sur les autres) je suis d'accord avec moniiique, mais je nuancerais un peu : on n'en est pas au bouc émissaire. Pas encore. On en est juste à la grosse diversion (qui fait mal).
2 scoops pour vous, donc :
1 - on n'est pas en démocratie en France.
2 - les musulmans jouent aujourd'hui le rôle dévolu hier aux juifs, Polonais, Belges et Italiens.
Édit :
Ray Steam a écrit :On est en plein dans le piège que je voulais éviter. Celui de disqualifier un discours en le qualifiant de racisme.
Alors je te pose la question : comment critiquer certaines manifestations religieuses avec lesquelles on n'est pas d'accord sans tenir un discours qualifié par certains de raciste ?

1 - On n'utilise pas l'argument du racisme pour disqualifier ton discours, on cherche à te montrer qu'il est effectivement raciste. Ou au moins xénophobe.
2 - Tu peux critiquer certaines manifestations religieuses. Tu peux toutes les critiquer. Tu peux tout critiquer. Mais pas en te fondant sur des mensonges, des fantasmes et des approximations.